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Ravage
René Barjavel
Gallimard, Folioplus Classiques n°95, roman (France) & dossier, Anticipation, 355 pages, 7,20€

Paris, 3 juin 2052, l’humanité connaît une ère d’opulence technologique sans faille. L’énergie, sous les traits de la fée électricité, coule quasi gratuitement, comme sortie d’une fontaine aux réserves illimitées, permettant aux hommes d’assouvir tous leurs besoins.
Néanmoins, tous les problèmes du monde ne sont pas résolus et la guerre gronde aux portes du Paradis... Et l’incroyable se produit !
Du jour au lendemain, Paris, la France, le monde sont livrés au chaos et à la destruction.
Un homme, François Deschamps, accompagné de quelques proches, comprend rapidement qu’il faut très vite quitter la capitale afin d’avoir une chance de s’en tirer.
Une seule solution, rejoindre la campagne et reconquérir la « terre nourricière ». Elle seule pourra assurer la survie de l’humanité et la renaissance d’une civilisation basée sur le rejet de toute technologie.



Roman quasi “fasciste” pour les uns, premier chef d’œuvre d’un genre littéraire naissant pour les autres, les braises de la discorde couvent toujours sous le foyer allumé par le « Ravage » de René Barjavel.
Publié en 1943 alors que l’auteur avait à peine 32 ans, le roman lance avec succès le genre du “roman catastrophe” à la française. On le constatera, l’auteur innove et bouleverse la donne grâce à une approche iconoclaste des thématiques qu’il va explorer (et exploser ?).

Pourtant, tout comme Albert Camus qui traîna longtemps derrière lui l’appelation de “philosophe de classes terminales”, symbole d’une simplicité malvenue au royaume du complexe, « Ravage » est auprès de certains, lesté du peu glorieux titre de « roman des professeurs de Français ». Cest-à-dire - et rigolons franchement- que l’on refuse à ces bonnes gens et à leurs élèves, le droit d’aimer un texte au style assez pur, à l’intrigue enlevée et à l’intemporalité des sujets abordés. Tout cela sous le prétexte que René Barjavel agiterait le spectre du Pétainisme triomphant et des idées rétrogrades...

À ne retenir que les arguments qui font avancer ses idées, on frise bien souvent une partialité assez insidieuse.
Bonjour l’ambiance et les a priori et oublions que la figure de l’Empereur Noir Robinson qui surgit dès le début du récit, rappelait franchement les traits du dictateur Nazi et que le retour à la terre prôné par le personnage principal (François Deschamps) s’accompagnait d’une bonne dose de crimes que l’auteur ne câchait jamais...

Que René Barjavel ait été de droite n’est pas un secret, il ne s’en est jamais caché. Son « Ravage » fut publié par Denoêl sous l’Occupation et connut aussitôt un succès critique et populaire qui ne s’est jamais démenti depuis.
Certes, le roman agite quelques idées qui peuvent choquer. Le héros a une forte tendance au messianisme et manque franchement de tolérance. Il fait preuve d’une grande cruauté et ses remèdes s’avèrent parfois pire que le mal. Sa fonction de natural born leader d’une petite troupe de survivants lui confère très vite une aura frisant le fanatisme aussi.
On l’a déjà dit, René Barjavel ne masque rien des atrocités commises par son personnage. Si l’extrémisme du “héros” peut être légitimé par la situation catastrophique et cataclysmique qu’il doit affronter, l’écrivain n’en fait pas non plus un modèle. Ou alors, il faudrait accorder au romancier -et c’est bien connu, on ne prête qu’aux riches- une certaine perversité dans le propos.
Plus novateur qu’il n’y paraît, le roman rompt consciemment avec la philosophie classique de la SF (ou du roman d’anticipation) qui s’inspirait largement de l’optimisme scientifique de Jules Verne. Dans « Ravage », l’absence de science, sa disparition, va même devenir le principe fondateur de la renaissance d’une humanité viable !

Tout ces éléments doivent-ils conduire le lecteur à goulagiser « Ravage » comme le fit (et le fait encore) la bonne société littéraire ? Bof et quel intérêt ?
Ensuite, le débat n’est pas là. Barjavel n’a jamais adhéré à de quelconques idéaux fascistes, tout au plus était-il ce que l’on nomme aujourd’hui un conservateur.
D’autre part, le héros d’un roman doit-il toujours être, et seulement, le strict reflet des opinions de l’auteur ?
Et paradoxalement, on oublie au passage le René Barjavel apôtre des sixties hyppies avec « La Nuit des Temps ». Un roman beaucoup plus sentimental -et moins brillant- qui raconte plus ou moins la même chose que ce « Ravage » : la destruction d’une brillante civilisation. Trente ans plus tard, Barjavel était-il devenu un dangereux gauchiste pacifiste, pas vraiment non plus !!!

Autre argument en prendre en considération, on a finalement reproché à René Barjavel les mêmes “défauts” qu’à Clifford D. Simak -des écrivains bien sympas mais un rien réactionnaires et passéistes- avant que les problèmes écologiques contemporains qu’ils soulignaient dans leurs écrits n’entraînent une bascule idéologique.
Ainsi, les miracles scientifiques (OGM, clônage, le nucléaire, etc) sont aujourd’hui des objets d’inquiétude.
Et les réacs d’hier devinrent les penseurs progressistes du 21ème siècle en alertant avant l’heure l’humanité sur les dangers de l’hypertechnologie... On ne compte plus les alter-mondialistes rêvant d’une vie sans fast food, ni soda chimiques, ni TV, ni électricité « nucléaire », etc.
Ô tempora, ô mores...

Sur le fond et grâce à la hardiesse des idées développées en son temps, « Ravage » est déjà un roman d’écrivain véritable. Maîtrisant un style et une plume qui engendre le plaisir et l’envie de lire, René Barjavel prouvait d’emblée qu’il faudrait compter sur lui. La énième relecture de l’objet ne modifie pas la donne.
Elle confirme même tout l’intérêt que l’on doit y porter.

L’édition Folioplus Classiques propose un appareil critique de haute tenue. Conseils de lectures, analyse critique comparée entre le roman et le tableau de Ludwig Meidner illustrant la couverture de la présente édition, choix de textes, fiches de lectures et explications de termes ou mots désuets utilisés par l’auteur, etc.
On ne regrette qu’une seule petite chose, nulle part on ne tombe sur une page proposant aux jeunes lecteurs de dire (et de comprendre) pourquoi ils aiment (ou pas) le présent roman.
Oublier les choix du cœur est en soit une petite lacune qui serait facilement corrigée par une simple page engageant, par exemple, à la rédaction d’une simple critique du roman.
N’étant pas habitué de la collection, peut-être faut-il supposer qu’il est d’usage de laisser cette opportunité et cette requête aux enseignants ?

Au final, on rêve quand même de retrouver le même type de travail sur l’ensemble des livres de poche que l’on aime (pour 7,20€, c’est que du bonheur !), tout en sachant que ce n’est pas demain la veille !

Titre : Ravage
Auteur : René Barjavel
Couverture (illustration) : Ludwig Meidner, « Paysages Apocalyptiques » (1913, tableau)
Appareil critique - dossiers : “Un roman publié sous l’Occupation”, “Vers la science-fiction”, “Romans apocalyptiques”, “Entrer dans le monde de demain”, “René Barjavel et son temps”, “Des pistes pour rendre compte de sa lecture”, “Du tableau au texte”.
Dossiers et notes : Marianne Chomienne
Lecture d’image : Sophie Barthélémy
Éditeur : Gallimard
Sites Internet : Gallimard & Infos Folioplus nouveautés
Collection : Folioplus classiques, n°95
Précédente édition : Folioplus n°9 (1996, dossier réalisé par Yves Ansel).
Catégorie : F9
Format (en cm) : 10,8 x 1,5 x 17,8 (Poche)
Pages : 355
Dépôt légal : 22 février 2007
ISBN : 978-2-07-034366-9
Prix : 7,20€


Stéphane Pons
6 juin 2007


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