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De la BBC en plein dans ton PAF
Séries télévisées : une polémique constructive
14 mai 2007

Un dur constat s’impose : les séries hexagonales souffrent douloureusement de la comparaison avec leurs homologues « anglo-saxonnes ». Même les chaines de service public, supposées garantes de « l’exception culturelle » n’ont jamais été aussi terne en matières de séries. Il suffit pourtant de traverser le Channel pour se rendre compte que la créativité est plus que jamais possible - et souhaitable - sur les télévisions publiques européennes.



le cauchemar d’un déjà-vu sans fin

Soir après soir défilent sur les séries de France 2 les indéboulonnables héroïnes de premier plan, femmes fortes jouant les policiers (à moins ce que ne soit le contraire), autour desquelles gravitent des faire-valoir d’une affligeante insipidité, directement issus des stéréotypes et des préjugés d’une « classe moyenne » remplie à ras bord de bons et convenables sentiments.

Rien ne manque au tableau depuis le « beur » de service au « flic commettant des écarts racistes », jusqu’à la prostituée « roumaine » (vu à la télé). Le tout d’une épuisante platitude.

Les timides et récentes tentatives de création de séries fantastiques sont plus que mitigées. « Des Fleurs pour Algernon » présente un scénario original, mais retombe vite dans l’ornière sentimentaliste, excluant d’emblée tout écart, toute ambiguïté pour ne conserver que la mièvrerie du face à face amoureux.

La mini-série « Les Zygs » marque le sommet d’une ambition qui renoue avec l’anticipation, dans un style « fantastique réaliste  » qui prend sa place dans une tradition française très originale. Malheureusement, la forme n’est pas au rendez-vous, et l’ensemble ne dépasse pas le stade de commande vaguement dans l’air du temps (la peur du génie génétique), sans véritable propos.

Quant à « Greco », ce brun ténébreux voit la série dont il est le héros s’essouffler dès les premières minutes sur une trame sans inspiration ni surprise, en s’essayant à imiter des séries américaines vues dix ans auparavant.

On ne s’est guère éloigné des séries policières habituelles, si ce n’est pour y injecter encore plus de déjà vu, et un mâle argument à la mâchoire carrée, mal rasée et au regard profond.

Un veau d’or de la télévision publique ?

Car la « ménagère de moins de 50 ans » règne sur l’audimat public comme une vache sacrée. Ou plutôt une vache à lait, tant elle est devenue la bouée de sauvetage, fidèle au poste, d’une télévision publique lancée dans une course désespérée à l’audience, face à ses concurrentes plus fortunées du secteur privé qui peuvent s’offrir des séries américaines.

La production fantastique nationale s’en trouve repoussée aux marges. Le genre a pourtant, ces dix derniers années, connu un renouveau plébiscité par le public.

Renouveau de sa structure tout d’abord, passant d’un récit traditionnel, dominé par un héros, à un récit en réseau dans lequel plusieurs protagonistes sont placés sur le même plan (« Heroes », « Lost », etc..). La vieille structure narrative hiérarchique a fait place à la matrice, plus conforme à l’idée que se fait le public contemporain d’un récit « proche » de la réalité.

Mais l’évolution principale réside surtout dans la réduction du fossé entre le genre fantastique et la fiction « réaliste ». De plus en plus, l’Histoire, la vie quotidienne et le fantastique ne sont plus séparés, mais mêlés de manière inextricables ( « Carnivale », « Jericho », etc... ).

Cette évolution de la représentation de la réalité crédible, en réconciliant les publics (féminins et masculins notamment) a créé une large et nouvelle demande pour la production télévisuelle fantastique, qui s’y est engouffrée outre-Manche et outre-atlantique. Elle a permis la naissance de productions à la fois innovantes et populaires, où les récits métaphoriques sur le monde réel, se prêtant à des lectures ouvertes, dépassent le caractère anecdotique pour devenir porteur du sens...

La BBC, télévision publique européenne ?

La médiocrité ou le suivisme passif national en la matière ne sont pas une fatalité. Même le manque relatif de moyens ne constitue pas une excuse au manque de créativité et d’audace. Dans les années 70-80, les productions françaises ont su compenser ce désavantage financier par un surcroit d’inventivité.

« L’Île aux Trente Cercueils », « La Poupée Sanglante », « Le Voleur de Cerveaux », le culte et méconnu « Noires sont les Galaxies »... La plupart de ces séries reposaient sur des histoires imaginatives « hors format » pour l’époque, et, malgré le peu de moyens dont elles disposaient ont marqué durablement les esprits de ceux qui ont pu les voir. Au moins autant que « La Croisiere s’amuse » et autres « Starsky et Hutch ». Puis tout s’est arrêté, il y presque une génération.


Quand La television publique s’exportait en Europe : Un extrait du « voleur de cerveaux », serie française... en version allemande.

Les Britanniques, eux, n’ont jamais battu en retraite. Des productions psychédéliques du style du « Doctor Who » au kitch assumé, dont une nouvelle version et un spin-off, « Torchwood », viennent de voir le jour, jusqu’à la science-fiction du saisissant Tripodes (coproduit par TF1 avant sa privatisation et désormais introuvable en VF...), en passant par « Life on Mars » ou la récente adaptation de « Neverwhere », le roman de Neil Gaiman, les séries, en particulier fantastiques, ont toujours trouvé à s’exprimer sans complexes sur la BBC.


Bande annonce des « Tripodes ». Malgré les effets spéciaux qui accusent leurs vingt ans, les commentaires affluent toujours de toute l’Europe...

Loin d’être seulement un média de « l’évasion », les séries britanniques se sont alimentées de l’esprit du temps sans le scléroser. Les années 70-80 ont ainsi vu fleurir outre-Manche un grand nombre de séries post-apocalyptiques, faisant s’incarner de manière cathartique les difficultés et les angoisses du Royaume-Uni d’alors, confronté à une grave crise post-industrielle .

Les Français, eux aussi, sont habités à leur tour en ce début de siècle par une crise de civilisation diffuse, angoisse de ce qui disparaît, peur de l’inconnu encore à naitre.

Sous couvert d’imaginaire, la fiction télévisuelle, ultime vicaire dans une France aux églises désertées, peut cristalliser ces angoisses personnelles, et les élever au rang de fantasme collectif, en réunissant les Français autour d’une fiction non pas neutralisée mais déversoir de toutes les pulsions contradictoires. Sans apporter des réponses, mais en suscitant des questions.

Espérons que la télévision publique choisisse un jour de dépasser l’horizon facile, lisse et fonctionnel de la production fictionnelle actuelle, pour retrouver le goût de l’aventure créatrice authentique, au service de toute la société... et non d’une fraction pourvoyeuse d’une rente sûre.

Elle y gagnerait en légitimité et en rayonnement.

Au final, la notion de service public télévisuel pourrait prendre enfin du sens, et jouer le rôle qui est le sien en rééquilibrant un PAF qui patauge dans la médiocrité.


Maître Sinh
22 mai 2007



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