Tout est une question de regard, de curiosité, d’acuité mentale, de goût du mystère. Car avec Mickaël Launay, le moindre détail de la vie de tous les jours peut se transformer en un abîme de perplexité – un abîme qu’il vient méthodiquement combler avec des connaissances inattendues, des théories scientifiques et des explications convaincantes. Considérez votre aspirateur, par exemple. Comme diable s’y prend-il pour déplacer des miettes à distance ? Et surtout vers lui-même, car si l’on s’en tient aux forces décrites par les physiciens, pour qu’un aspirateur fasse se déplacer des objets dans sa propre direction, alors il lui faut appliquer une pression derrière eux. Ce dont il n’est aucunement capable. Mais comment diable se fait-il que… Nous vous laissons le plaisir de le découvrir avec lui. En tout cas, si les araignées ne parviennent pas à tenir tête à votre femme de ménage, vous, au moins, serez capable de lui clouer le bec avec la physique de son instrument de travail, ou de la plonger dans des gouffres de désespoir en lui apprenant que chaque millimètre cube d’air de votre salon contient (à quelques-unes près) vingt-cinq millions de milliards de molécules qui vont certainement se déposer un peu partout dès qu’elle aura tourné le dos !
Encore n’est-ce là pas grand-chose. Déjà, dans « Le Théorème du parapluie », Mickaël Launay abordait des nombres colossaux inventés en Inde au troisième siècle ; il récidive ici à grands coups de septilliards et de singes dactylographes (non, n’essayez pas de compter sur vos doigts). Si ces nombres ébouriffants, des nombres vertigineux au sens propre du terme, vous donnent le tournis, laissez-vous tomber dans votre fauteuil mais cramponnez-vous tout de même aux accoudoirs, car vous n’êtes pas au bout de vos surprises. Il se pourrait bien, même dans votre douillet intérieur, que la salive se mette à bouillir sur votre langue ou que, fenêtre ouverte ou non, un invraisemblable hasard vous fasse périr d’asphyxie – on n’est décidément en sécurité nulle part. Or, il s’avère que le seul élément qui à chaque instant vous sauve d’un abominable destin est celui dont vous vous plaignez tous les jours, celui que, tous, nous accusons des mille maux de la vie quotidienne : celui qui vous immobilise derrière les feux rouges, vous fait choisir la caisse la plus lente ou vous pousse vers une boutique le seul jour de l’année où elle est fermée pour inventaire. Car “Le monde”, explique l’auteur, “serait un véritable chaos s’il n’était protégé, chaque instant, par la prodigieuse et très discrète puissance organisatrice du hasard.”
Mais si le hasard nous sauve du chaos, cela n’empêche pas le déterminisme auquel nous avons toujours fait confiance de venir, justement, se fracasser contre le mur infranchissable dudit chaos. Et ceci en toute innocence, à partir d’un acte banal de la vie quotidienne : la cuisson des pâtes. En tout cas, si vous n’êtes pas un cordon bleu et que vos expériences culinaires tournent à la catastrophe, vous ne vous étonnerez pas de voir l’auteur, à partir de ses propres coquillettes, et après quelques étapes savoureuses et météorologiques, arriver à la théorie mathématique du chaos.
Mais est-il vraiment possible, pour reprendre un néologisme de Mickaël Launay, de « déparadoxifier » tout ce qui apparaît paradoxal ? C’est à partir de phénomènes très communs – la propagation des sons, puis la musique – que le lecteur se fait insensiblement emporter vers les révélations médusantes du monde des particules. S’il s’y trouve rassuré en étant sûr d’échapper au démon de Laplace (dont il est question dans « La Parallèle Vertov » et « Les manuscrits de Kinnereth » de Frédéric Delmeulle), son soulagement sera de courte durée car, revers de la médaille, il pourrait bien à chaque instant exploser en mille autres soi-même(s) par un phénomène de contamination quantique.
Nous n’en dirons pas plus. En une petite cinquantaine de chapitres rassemblés en cinq grandes parties – “La Puissance organisatrice du hasard”, “Un Monde d’illusion”, “Chaos”, “L’Onde et la symphonie”, et “Dans l’infiniment petit” –, dans une prose très simple, parfois presque trop (on ne compte plus les occurrences de « tout un tas », auquel on préfère les quelques apparitions de « toute une ribambelle »), Mickaël Launay invite le lecteur à déambuler à travers les découvertes et les théories scientifiques régissant notre monde, et, ce faisant, l’incite à faire preuve d’une curiosité accrue et à considérer toute chose avec un regard plus aiguisé.
Mais au fait, et l’équation de la chauve-souris dans tout ça ? L’auteur aurait-il résolu le problème de l’humoriste Jean-Marie Bigard, qui se demandait quelle était la probabilité pour qu’une chauve-souris enragée ayant voleté jusqu’au hall de son immeuble y tape le bon numéro sur le digicode ? Non, il s’agit de tout autre chose. Une chose pour laquelle, comme pour bien d’autres curiosités nichées dans ce volume, nous laisserons au lecteur le plaisir de la découverte.
Titre : L’Équation de la chauve-souris
Auteur : Mickaël Launay
Illustrations : Chloé Bouchaour
Éditeur : Hugo
Collection : Hugo Doc
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 316
Format (en cm) : 15 x 22
Dépôt légal : octobre 2024
ISBN : 9782755675979
Prix : 20,95 €
Mickaël Launay sur la Yozone :
« Le Théorème du parapluie »