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Ars Obscura tome II : Second sorcier
François Baranger
Denoël, Lunes d’Encre, dark fantasy, mars 2023, 486 pages, 23 €


Avant d’aborder ce « Second sorcier » il nous faut, comme le fait l’auteur en début de volume, revenir sur le contexte du premier tome, Ars Obscura Livre I : Sorcier d’Empire. Dans les années 1815 imaginées par François Baranger, la technique n’a pas été la seule à prendre son essor. Une inquiétante forme de magie, l’Ars Obscura, est apparue dans l’Empire après le retour de Napoléon d’Égypte. Personne ne sait qui est exactement le sorcier Élégast qui semble être au service de l’Empereur, ni d’où il vient, mais il est le seul à maîtriser l’Art Obscur, un art que d’autres sorciers effleurent à peine. Dans le château de Versailles, Élégast, qui a entre autres permis la victoire de Napoléon à Austerlitz, poursuit ses expériences occultes sans négliger la science qui peut lui donner d’autres pouvoirs encore. Mais la magie, fort utile lors des combats contre les ennemis de l’Empire, n’est pas sans effets indésirables : de manière imprévisible, des manifestations surnaturelles surviennent ici et là, emportant les habitants et libérant les terribles résurgions, également nommés malebêtes, qui une fois occis se délitent en poussière. Et tout ne va pas pour le mieux pour Napoléon : à l’Est s’élaborent des alliances contre l’Empire. Nicolas, le frère du tsar Alexandre de Russie, non content de constituer des réseaux voués à l’art occulte comme l’Escadre Astrale, travaille à réveiller des puissances depuis longtemps endormies. Pire encore, en France, les généraux, qui n’ont aucune confiance en Élégast et considèrent que son aide ne fait qu’étouffer le génie tactique de Napoléon, préparent un coup d’État.

Ce « Second sorcier » s’inscrit donc, toujours en 1815, dans la suite immédiate de « Sorcier d’Empire ». On y suit les aventures de Ludwig Arcerèse, un chasseur de Résurgions, d’Ethelinde Ordant, fille de Charles Ordant, naturaliste disparu pendant la Campagne d’Égypte, du capitaine Irénion Brégante et de son amie libertaire et féministe, de Pavel Laptev, serviteur au Palais de Saint Petersbourg et victime d’expériences abominables, de Jonas Whisby, espion anglais en lien avec la courtisane et aventurière d’Irina Uliatine, de Thomas Eutrope, paysan doté de pouvoirs de divination, de Piqueur, hidalgo déchu du nom de Toribio de Gajates passant sans cesse d’une faction à une autre, d’Ivan Kanybekov, grand amateur d’occultisme à la solde de Nicolas de Russie, et enfin de Lithian, une étrange magicienne rencontrée en fin de premier volume. S’y ajoutent de nouveaux personnages parmi lesquels on trouvera l’américaine Eleanor Rockwell, jeune fille ambitieuse à la recherche des secrets des armes occultes.

« Ainsi, chaque utilisation d’un cristal d’uchronite, par la conversion du potentiel magique qu’il possède, génère de fortes turbulences ésotériques qui sont compensées par l’apparition d’une bulle d’énergie maléfique pure, ouvrant une brèche vers un autre monde. À en croire les monstres qui en sortent, cet autre monde doit être l’Obscuri Fines, le monde des esprits où grouillent des créatures innommables. »

Des nouveaux personnages, mais aussi de nouveaux éléments, car, en marge de péripéties tournant pour beaucoup autour des pierres d’aiönite, également connues sous le nom cristaux cérulés ou lapis lucidus, ou encore pierre d’uchronite, indispensable catalyseur et combustible de l’Art obscur, apparaissent d’étranges trouées temporelles. Les recherches de Lithian et de ses collègues de L’ordre des Magi Karoli Magni, les Mages de Charlemagne, orientent vers des « persona absens a suo tempore », c’est-à-dire vers des personnages ayant voyagé à travers le temps, dont ils retrouvent trace à travers le Liber Eidelus danois, les chroniques et autres textes de temps passés. Les cristaux d’uchronite seraient capables de susciter chez les sorciers des visions élucidant une part de ce mystère. Il y aurait donc d’étranges réincarnations, d’étranges récurrences – Obéron et Mérovée, Roland de Roncevaux et d’autres encore – un Autre-Monde et un Entre-Monde, et des points d’inflexions temporelles : pas de Mérovingiens dans l’Histoire, mais des Clodingiens, du nom de Clodovald, le frère d’un Mérovée disparu, sans doute « persona absens a suo tempore ».

« Après quelques instants, les fumerolles s’étaient élevées pour s’assembler en silhouettes vaguement humanoïdes. Des doigts s’étiraient au bout de mains vaporeuses, des têtes se formaient, aux orbites creuses et aux dents brillantes. »

Dans notre chronique du premier volume, nous signalions, avec la mention de William Ashbless et l’apparition d’un groupe de tsiganes, un hommage ouvertement rendu aux « Voies d’Anubis » de Tim Powers. Avec ces étranges connexions entre époques différentes, la filiation apparaît plus évidente encore et laisse augurer, dans les deux tomes à venir, des développements nouveaux. Pour autant, les péripéties de l’année 1815 ne sont pas en reste. Si l’on peut noter ici et là quelques facilités scénaristiques (la manière dont Arcerèse obtient les informations nécessaires à la tentative de libération d’Ethelinde ou la manipulation d’Uliatine pour entrer en contact avec Nicolas Romanov qui n’est guère crédible), les péripéties – combats, embuscades, poursuites, rencontres, retournements de situation – sont suffisamment nombreuses pour emporter le lecteur. Et la diversité des lieux – Le Jardin des Plantes Médicinales à Paris, le château de Larroque Mobron dans le causse Méjean, (sans doute un équivalent du château de Larroque Toirac), les catacombes sous le cimetière Montparnasse, le palais impérial de Saint Petersbourg, la plaine sanglante de Waterloo, le château de Vincennes – compte également pour beaucoup.

« Il n’avait pas la moindre envie d’entrer en contact avec Vakt sans les digues que représentaient les sceaux de confinement. Un simple mortel ne pouvait espérer communiquer avec un dieu sans s’entourer d’un minimum de protection. »

Des péripéties donc, mais aussi une part d’horreur qui tend vers le lovecraftien, avec le difficile - et peut-être fallacieux – contrôle du terrifiant Bog Krovi, ou Dieu Sang, qui sera mis à contribution lors la bataille de Waterloo. Un combat qui apparaît comme le point d’orgue du roman avec un affrontement qui n’est pas seulement celui de deux armées, mais aussi et surtout, un duel spectaculaire entre deux sorciers.

Avec ce second volume d’Ars obscura, François Baranger ne se contente donc pas de continuer sur la lancée d’Ars Obscura Livre I : Sorcier d’Empire. Il apporte des éléments et des personnages nouveaux, suggère un cadre magique et temporel plus vaste que celui qui était esquissé dans le premier tome, et laisse deviner un univers romanesque d’une envergure supérieure à celle que l’on pouvait initialement percevoir. Un univers qui, avec son mélange d’aventures, de magie et de steampunk – on rencontre dans ce volume, par exemple, l’ancêtre steam ou même électropunk du quadricoptère – n’est pas sans évoquer les univers de Tim Powers ou de Larry Correia, et que l’on retrouvera dans les deux derniers tomes de cette tétralogie, à venir dans la même collection.

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Titre : Second sorcier
Série : Ars obscura, tome 2
Auteur : François Baranger
Couverture : François Baranger
Éditeur : Denoël
Collection : Lunes d’Encre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 448
Format (en cm) : 14 x 31
Dépôt légal : septembre 2023
ISBN : 9782207165850
Prix : 23 €



François Baranger sur la Yozone :

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Hilaire Alrune
25 septembre 2023


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