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Choses Immobiles (Les)
Michael Roch
Mnémos, Mu, roman (France), anticipation, 139 pages, aout 2023, 16€

Futur proche, peut-être 2037. Charles retrouve son frère à la Martinique, après des années de séparation, et la mort du père. Il a tout oublié de son pays, le créole... il redécouvre l’île au prisme de son frère, militant forcené d’une expropriation des Blancs, des multinationales qui ravagent les terres pour la bétonner, l’urbaniser à outrance. Ballotté d’un logement à une planque, Charles se perd dans un tourbillon de souvenirs, de sensations, de torpeur hallucinée, sans plus rien maîtriser... Des visites de son frère, de sa copine Tanya (qui joue clairement un double jeu), de Gloria qui comble sa misère sexuelle, tout s’emmêle.
Et cette anguille sombre qu’il voit, incarnation du mal qui possède les hommes...



Lire Michael Roch, c’est se prendre une claque. Son nouveau court roman, anticipation d’une (nouvelle) lutte armée pour l’indépendance de la Martinique, est une expérience de lecture haletante, tant dans le fond que sur la forme.
Dans le fond, donc, c’est Charles qui parle, qui raconte, qui se laisse porter, maître de rien, gardé là sous le coude par Apollon qui prépare le Grand Soir contre les békés et les holdings. Charles qui attend, qui prend son mal en patience, qui est témoin de ce qu’on veut lui montrer : une lapidation pour l’exemple sur une coupe de cannes... Les infos tombent au compte-gouttes, Apollon comme Tanya lui cachent plus qu’ils n’en révèlent. Dans sa solitude, la moiteur antillaise, le voilà qui désire l’impossible, Tanya, et se rabat sur Gloria, plus accessible, plus consentante...

Sur la forme, c’est là que tout prend une autre dimension. Charles parle. La narration à la première personne fait jaillir les mots, les pensées, parfois bien tournées, parfois brutes, succinctes. L’auteur ne s’embarrasse pas de ponctuation de dialogue, les répliques s’enchaînent, nous laissant parfois confus (surveillez les majuscules et leurs absences, ça aide), ça fuse, ça pique, tout se mélange. L’immersion dans l’esprit torturé de Charles est totale. Chaque paragraphe est un moment donné, le temps de quelques battements de cœur, d’une respiration saccadée, d’une cigarette à la datura qui brouille davantage encore les perceptions. Il réapprend le créole (et nous aussi), grappillant peu à peu des bribes de ce qui se dit autour de lui, mais la rupture a sans doute été trop forte, il ne retrouve pas le chemin. Trop de traumatismes, dont l’essentiel, la mort du père, dont les détails jailliront avant la fin, sans surprise un fait divers bien trop fréquent.

C’est une histoire d’exaltation. En face, celle d’Apollon, qui se voit leader du mouvement de libération, machette brandie contre l’oppresseur. Déjà dans les livres d’histoire. Kamikaze pour la cause, adoubé par les sorciers ougan. Mais pour Charles, cette ferveur-là ne prend pas. Incapable de se transcender pour une cause, il reste accroché à ses démons de chair, qu’il va projeter sur Tanya, Jidé et Gloria. Dans son désir jamais assouvi de sexe, avec garçon ou fille, il y a sans doute la trace des abus du père, ou de leur absence, puisque ce fut Apollon la victime, lui étant jugé trop vilain, pas assez noir. Pour le quadra, la jeunesse de Jidé est un moyen de tenter d’oublier, et la beauté inaccessible de Tanya un espoir de libération. Gloria n’est qu’un palliatif.

Dans cette descente aux enfers, les démons internes de Charles se mélangent aux scènes d’horreur auxquelles le convie son frère : passage à tabac, lapidation, attentat contre une rhumerie. Et lui de voir des hommes jaillir une anguille noire, qui le poursuit. Cette touche de fantastique vient marquer le roman d’une horreur supplémentaire, à demi réelle, comme si les faits, passés et présents, n’y suffisaient pas.

Cela finit mieux que cela avait commencé. Sous la houlette des femmes, véritables décisionnaires politiques, charmé par Tanya, Charles retrouve une part de ses esprits, exorcise son passé, parle à son frère, a le courage de faire un choix, un choix pour lui. Nous, nous sortons suffocants de ce court roman, comme jaillis hors de l’eau juste avant l’asphyxie, échappant à la noyade, sauvés nous aussi.
J’ai probablement raté des choses, mal compris d’autres. « Les choses immobiles » a sûrement des clés qui échapperont aux lecteurs. Et il y a ceux qui resteront sur leur faim d’anticipation ou de fantastique. Il n’en demeure pas moins que c’est une lecture envoûtante, qui met notre souffle et notre cœur au diapason de son narrateur, pour peu qu’on accepte de se perdre à ses côtés sans forcément l’espoir de se retrouver.


Titre : Les Choses Immobiles
Auteur : Michael Roch
Couverture : Kévin Deneufchatel
Éditeur : Mnémos
Label : Mu
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 139
Format (en cm) : 20 x 14 x 1,5
Dépôt légal : août 2023
ISBN : 9782382670774
Prix : 16 €



Nicolas Soffray
17 septembre 2023


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