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Inconnu et les problèmes psychiques (L’)
Camille Flammarion
Hugo, ésotérisme, essai, 814 pages, mai 2023, 9,90€


« Remarquons, à ce propos, que l’homme de science étant, par sa nature même, foncièrement honnête (car il n’y aurait pas de science sans honnêteté) et n’étant pas accoutumé à se défier des objets sur lesquels il travaille, il est plus facile à duper que beaucoup d’autres. »

Avec “Les Incrédules ” et “ Les Crédules”, deux chapitres nourris d’anecdotes édifiantes tirées de l’histoire des sciences, l’astronome Camille Flammarion introduit l’objet de ses recherches : “Les Manifestations télépathiques des mourants et les apparitions”. Chacun a entendu un jour ou l’autre le récit – que son interlocuteur à tout coup jure authentique – de la vision en rêve d’une personne, dont il apprendra le lendemain qu’elle a trépassé loin de là et au moment précis du songe. Intrigué sans doute par la récurrence de telles histoires, Camille Flammarion pense qu’il est possible d’en avoir le cœur net. Il lance donc un appel à témoignages destiné aux lecteurs des « Annales politiques et littéraires », les invitant à lui envoyer leurs témoignages s’ils ont vécu ou eu vent d’un épisode de ce type, ou même leurs témoignages négatifs s’ils ne l’ont jamais vécu. On imagine sans peine la déferlante de lettres qui s’ensuit. L’anecdote parfaitement stéréotypée revient encore et encore, les témoignages répétitifs se succèdent. Le scénario est parfaitement rôdé, avec tous les ingrédients d’une bonne histoire : le trépassé est une personne dont on ignorait le plus souvent qu’elle était malade, il s’agit d’un décès inattendu. Le rêve est précis et génère le plus souvent une certaine angoisse. Immuablement, le lendemain, arrive une lettre, un télégramme, un messager venant confirmer la mauvaise nouvelle. Cerise sur le gâteau (et c’est là l’ingrédient final, la chute d’un bon récit), on apprend que la personne a trépassé à l’heure même où lae rêve a été fait. Le lecteur ne pourra s’empêcher de remarquer que cette propension qu’ont les rêveurs de noter l’heure précise de leurs rêves apparaît bien suspecte, et ; au sujet des trépassés défuntant sous d’autres latitudes que certains prennent soin de respecter le décalage horaire, mais d’autres semblent bel et bien l’oublier. À ce schéma stéréotypé, standardisé, à ces récurrences lassantes viennent heureusement se greffer quelques belles variantes, car au rêve porteur d’information claire viennent se substituer ici et là d’autres phénomènes : la phantosmie avec l’hallucination de l’odeur d’une eau de Cologne répandue autour de la mourante à plus de trente lieues de là, le piano qui se met à jouer de lui-même à chaque fois qu’un décès survient dans la famille, le contact – le plus souvent glacial – avec une apparition, des fenêtres qui claquent en dehors de tout vent, une photographie qui s’anime, l’apparition d’un chien, un spectre terrorisant un chat, la vision ici d’un cercueil, là d’un corbillard, le cri d’un oiseau dans la cave, des coups sourds à l’étage supérieur, des pas entendus dans le grenier, des feux follets sur les toits, des vacarmes de chaises bousculées, le battement subit d’un volet, le grincement d’une porte sur des gonds rouillés (que la narratrice reconnaît comme celle d’une maison située dans un pays voisin et où réside une connaissance), un bruit de pièces dansant dans un tiroir, la tasse de café sauteuse, la vaisselle qui se brise, tout ceci mis en rapport avec un trépas subit, parfois avec un enterrement.

De son appel à témoignages destiné aux lecteurs des « Annales politiques et littéraires », Camille Flammarion écrit sans rire “L’occasion me parut excellente au point de vue de la sécurité, de l’authenticité de la valeur des témoignages”. Il est bien difficile de ne pas sourire devant la naïveté de l’astronome qui malheureusement semble n’être pas suffisamment sorti de son observatoire pour connaître la propension, et même la jubilation qu’éprouve tout un chacun à propager, modifier, embellir et reprendre à son compte (par jeu et parfois en s’abusant soi-même) de telles histoires dont le caractère à la fois cinétique et réplicatif est de nos jours parfaitement décrit par les sociologues s’intéressant à ce que l’on nomme les « légendes urbaines ». Camille Flammarion, qui manifestement sous-estime fortement la propension humaine à la supercherie et à l’humour – une propension qui, contrairement à ce qu’il croit, existe tout autant chez les scientifiques que dans la population générale – tombe dans le double piège de la respectabilité et du nombre. Car la respectabilité (affichée ou réelle) du signataire du témoignage apparaît pour l’astronome comme la garantie de l’authenticité des faits relatés, et le nombre de témoignages semblables, au lieu de lui paraître suspect, constitue à ses yeux un élément de preuve qu’il s’évertue à étayer par une démonstration statistique.

On ne peut s’empêcher de songer aux lecteurs des « Annales politiques et littéraires » ou à toute autre personne entendant parler de l’enquête de Camille Flammarion (au premier plan desquels, peut-être, certains de ses propres collègues), et à la délectation qu’a dû éprouver plus d’un fabulateur ou d’un plaisantin en écrivant et postant l’un de ces « témoignages » que l’astronome aura pris au premier degré. On remarquera également que l’auteur ne se limite pas à sa méthodologie initiale car il précise dans le texte que d’autres témoignages lui viennent d’une même annonce passée dans « La Revue des revues » et même dans « Le Petit Marseillais » (sans doute le scientifique ignorait-il tout de la propension à l’exagération des Marseillais), mais aussi d’une enquête du même type effectuée par Gaston Méry (journaliste engagé dans une démarche similaire, à la frontière entre science et spiritisme et fondateur de la revue « L’écho du merveilleux »), ou des annales de sociétés spirites anglo-saxonnes. Tout témoignage supplémentaire vient donc nourrir au fil des éditions successives de ce volume – dont l’auteur précise qu’il y eut dix-huit éditions entre 1900 et 1906 – ce qui apparaît plus comme une conviction que comme une démonstration scientifique de l’authenticité des phénomènes évoqués. Reste une belle compilation de contes composant une étonnante anthologie de ce que l’on pourrait nommer nécrologie onirique ou nécrologie télépathique, ou plus exactement télépathie agonique dans la mesure où Flammarion les considérait comme des messages émis au seuil de la mort par des personnes encore vivantes.

«  Pour nous, ces phénomènes psychiques sont certains et incontestables. Ils doivent désormais constituer une nouvelle branche de la Science. »

Tout comme la première partie intitulée Tome I, la seconde partie ou tome II occupe près de quatre cents pages. Composée de quatre chapitres “L’action psychique d’un esprit sur un autre”, “Le Monde des rêves”, “La vue à distance en rêve de faits actuels” et “Les rêves prémonitoires et la divination de l’avenir”, elle apparaît au vu de la table des matières bien plus structurée qu’elle ne l’est réellement. On peine en effet à trouver un véritable fil conducteur à travers ce vaste pot-pourri de témoignages disparates, et l’examen scientifique non pas des faits, mais tout au moins des témoignages, s’y efface au profit d’une crédulité que pas grand-chose ne vient justifier. Sans cesse, Camille Flammarion proclame le caractère indiscutable des phénomènes et affirme que l’on ne peut que considérer qu’ils sont pleinement démontrés. Pêle-mêle, on trouvera dans cette seconde partie une nouvelle volée de rêves ici encore souvent annonciateurs de décès (et parfois même jusqu’au nombre et aux détails des cercueils), mais aussi d’autres types de rêves prémonitoires, tantôt vagues et tantôt précis : rêves de lieux dans lesquels on ne s’est jamais rendu mais que plus tard l’on reconnaîtra à coup sûr, anticipation en rêve des numéros gagnants de la loterie nationale ou d’une trouvaille archéologique, mais aussi de rencontres, d’évènements, de tableaux, de scènes sans importance de la vie quotidienne, sans compter l’écoute en rêve et par anticipation d’une mélodie de music-hall. Viennent s’y ajouter des témoignages de vue à distance relevant du somnambulisme (un somnambulisme figuré puisqu’il s’agit ici de déambulations fictives d’un sujet « magnétisé », on dirait plutôt aujourd’hui « hypnotisé », capable de décrire avec précision, comme s’il y était, des lieux ou des œuvres d’art dont il ignore tout), de la prise de contrôle par un « magnétiseur » des déplacements de son sujet d’expérience (et ceci avec une force physique dépassant celle de plusieurs témoins non magnétisés essayant de retenir ledit sujet), de la capacité d’endormir par la seule force mentale d’innocentes victimes à distance (un loisir à pratiquer pendant ses propres périodes d’insomnie), ou la lecture de l’avenir par les lignes de la main ou par le tirage des cartes. Témoignages de télépathie ou transmission de pensée, lecture dans l’esprit, magnétisme animal, suggestion mentale, mais aussi bien d’autres évènements guère surprenants comme le fait de penser à quelqu’un avant de le croiser par hasard ou de recevoir une lettre d’une personne à laquelle on a pensé la veille, ou encore la sensations de déjà-vu dont chacun, ou presque, a déjà fait l’expérience, tout cela semble, pour un Camille Flammarion qui partout voit de la science (qualifiant par exemple hypnose et suggestion de “déséquilibration expérimentale”), non pas prétexte à hypothèse, mais preuve flagrante de l’existence d’ « ondes psychiques ». De fait, on pourrait multiplier les citations semblables à celles que nous faisons figurer en tête de ce paragraphe, qui montrent à quel point Flammarion a pu se laisser abuser par ce qui n’apparaît guère que comme un éclectique et savoureux fatras de relations invérifiables, un pot-pourri de racontars, un mélange de ce que l’on qualifiait alors d’« histoires de bonnes femmes » trouvant leur source dans les contes et les légendes, mais que l’auteur s’obstine à prendre au pied de la lettre.

On a donc dans ce fort volume de plus de huit cents pages deux ouvrages distincts, le premier dont l’on peut comprendre et discuter la méthodologie, le second qui en semble singulièrement dépourvu. Mais il est nécessaire de replacer cet ouvrage dans son contexte historique. N’oublions pas que Camille Flammarion n’est pas un cas isolé : à l’époque, la science ouvrait tant de voies nouvelles que bien des scientifiques respectables ont pu croire qu’elle donnerait également accès à l’au-delà. Ajoutons même que Flammarion, qui se moquait des tables tournantes et des conversations avec les défunts, apparaît bien moins crédule que nombre d’autres scientifiques avant lui, et qu’il n’admet certains phénomènes qu’en leur donnant une explication scientifique, comme celle des ondes psychiques dont il hasarde l’existence.

Pour l’amateur de contes fantastiques, malgré certaines répétitions, la lecture d’un tel ouvrage est un véritable régal. On y retrouve bien des éléments constitutifs du récit fantastique classique et du merveilleux scientifique et l’on comprend comment fables anciennes, légendes urbaines et littérature de genre se sont mutuellement nourries. Mais cet épais volume, de par sa position à la frontière entre de nombreux domaines, pourra également surprendre et passionner bien d’autres lecteurs attirés par la sociologie, l’histoire des recherches psychiques et métapsychiques, l’histoire des croyances et des légendes et même l’histoire des sciences.


Titre : L’Inconnu et les problèmes psychiques
Auteur : Camille Flammarion
Couverture : Shutterstock
Éditeur : Hugo Publishing (édition originale : Flammarion, 1900)
Collection : Hugo poche ésotérisme
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 814
Format (en cm) :11 x 17,5
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9782755664959
Prix : 9,90 €



Hilaire Alrune
19 août 2023


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