Déjà autrice d’autres romans dont un polar primé, dont l’inspecteur apparaît dans « Aveuglément », Laurence Voïta écrit aussi pour le théâtre. Et dans ce thriller qui prend son temps pour faire monter la tension, cette casquette de dramaturge se ressent à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, elle prend le temps de mettre en place ses personnages, Marco, José, Sophie la policière, Bruno son chef en congé, les enfants, l’ex-femme Claire... et l’on voit se tisser lentement mais sûrement la toile qui les relie tous les uns aux autres. Si Marco bouscule José par inadvertance au tout début, et que rien ne semble les lier, on découvrira finalement que si.
L’autre révélateur tient aux dialogues. Si certains personnages sont assez bavards, et leurs répliques pas toujours très naturelles (José peut être encyclopédique), ces dernières pâtissent d’une absence quasi totale d’incises. Seule la ponctuation permet de vaguement cerner le ton de chacun. Pas même une didascalie, mais de grands blocs d’échanges, un ping-pong vocal jusqu’à ce que l’action, narrée au présent, reprenne le pas.

Et l’action n’est pas violente (on est en Suisse, je le rappelle). Au contraire, Laurence Voïta mise tout sur l’ambiance, la tension qui s’installe entre les pensées de Marco et tous les non-dits de chacun. Au fil de scènes successives, cadencées heure par heure façon série américaine, on découvre le passé proche des personnages en plongeant avec eux dans leurs souvenirs, leurs petits ou grands malheurs, et il faut un bon nombre de pages, presque la moitié, pour que jaillisse la raison du départ de Marco et que le roman délaisse la galerie de portraits pour prendre de doux accents de thriller, avec un personnage antipathique. Qui va le devenir de plus en plus, jusqu’à ce que lui-même confirme le faisceau de soupçons que les lecteurs collecteront de-ci de-là. L’homme sans histoire, pilier de la communauté, se révèle un dangereux psychopathe contraint de récidiver du fait du retour de Marco.
On bascule dans le dernier tiers dans une véritable course contre la montre, que le découpage date/lieu des chapitres accentue, tandis que l’étau se resserre et qu’une victime a disparu, Sophie et Bruno menant l’enquête officielle tandis que José et Mathilde, misant sur la mémoire sensorielle de l’aveugle, tentent de renouer les ficelles d’une histoire dont les autorités n’ont que les fils épars. L’autrice joue finement, et par cette virevolte de points de vue, on réalise assez facilement comment les choses, présentées sous un jour plutôt qu’un autre, peuvent conduire à accuser un innocent, toujours le même, et avec quelles conséquences.

« Aveuglément » s’avère finalement étrange, un thriller lent au démarrage et qui finalement se rappelle la tension qui doit coller aux battements de cœur de ses lecteurs. À mettre en scène toutes les générations, des enfants aux personnages âgées, il nous immerge bien dans cette ambiance de petite ville, de petites habitudes, de repères qu’on croit sûrs. A l’image du lac, la surface lisse peut brutalement être troublée, avant de revenir au calme.

Titre : Aveuglément
Autrice : Laurence Voïta
Couverture : Jérémie Voïta, Steve Guenat
Éditeur : Favre
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 191
Format (en cm) : 22 x 14 x 1,5
Dépôt légal : juin 2023
ISBN : 9782828920890
Prix : 17 €