Dans son introduction, plus proche d’un essai que d’une présentation, Laurent Mantese inscrit cette collection dans le contexte de son époque et dans le courant de la littérature fantastique qui prit véritablement son essor au 19ème siècle. Il démontre que cette collection, à priori plus populaire qu’académique, représenta en vérité un jalon essentiel dans l’histoire de ce genre en France. Elle capitalisa et démocratisa toute la palette des superstitions encore éprouvées par un large public sensible au message religieux, et donc enclin à croire aux manifestations occultes ou relevant du surnaturel. Mais « Angoisse » est aussi le chant du cygne d’un fantastique raffiné, romantique. Sa forme évoluera avec la société. Passé mai 68, cauchemar ou tragédie perdront de leur subtilité pour verser dans l’épouvante grotesque où barbarie, éviscérations et flots d ’hémoglobines se surpasseront pour susciter écœurement et effroi au premier degré. La collection « Gore » est représentative de cette évolution.

« Angoisse » s’est longtemps enveloppée de mystère quant à certains de ses auteurs, et nombreux sont celles et ceux qui ont cru y voir s’inscrire l’ombre de Frédéric Dard. Il convient d’admettre, après lecture de cet ouvrage, que l’apport du dit Frédéric fut quasi-inexistant, si ce ne sont peut-être quelques contributions argotiques dans les romans de Marcel J Prêtre, et encore ! Saluons ici le magistral travail de recherche qui permet d’exhumer de l’oubli nombre d’écrivains, d’éclairer leurs vies, de reconstituer leurs carrières et, surtout, de proposer une iconographie abondante et des pièces particulièrement rares, des photos en particulier.

L’énumération commence avec Marc Agapit, surnommé « Monsieur Angoisse », qui livra pas moins de quarante-trois titres à la collection, la plupart de grande qualité. La biographie de cet écrivain est difficile à établir en raison de la discrétion dont il fit montre de son vivant et du nombre restreint de personnes l’ayant approché. Cependant on parvient à cerner sa personnalité. Sa carrière littéraire par contre est retracée dans le détail et l’on ne peut qu’apprécier la publications de photos de l’auteur inédites. Agapit est bien sûr un grand nom de la littérature fantastique française, injustement oublié et peu réédité. A l’exception de Franc Puig dont on ne sait rien, les recherches menées par Philippe Gontier et Laurent Mantese dévoilent les véritables identités d’un Patrick Svenn, d’un Jean Murelli ou d’une Virginia Lord. Nous ne déflorerons pas le sujet en livrant leurs noms ici. Soulignons que, contrairement à une rumeur bien établie, les archives du Fleuve Noir ne sont pas parties en fumée, mais sont stockées quelque part en région parisienne. Leur propriétaire, le groupe Editis, en refuse l’accès aux chercheurs. C’est donc par une voie détournée que nos deux compères ont pu avoir communication de quelques données essentielles permettant de résoudre certains mystères.

Un tel ouvrage reflète forcément l’opinion de ceux qui le composent, et le lecteur partagera ou non leur avis sur tel ou tel écrivain. Pour ma part, j’ai un peu de mal à considérer Jean Murelli comme un auteur de premier plan. Ses livres sont, à mon sens, désordonnés, les intrigues incohérentes, les histoires bâclées mais, c’est là affaire de goût. De même, le conflit Bessière/Richard est ici longuement évoqué et le parti pris en faveur de ce dernier évident. Bien sûr les protagonistes sont décédés et l’on ne peut que spéculer sur la bonne ou mauvaise foi de l’un ou de l’autre. Autre auteur majeur dont on ne peut certes, ignorer les opinions extrémistes : Peter Randa. Beaucoup de détails biographiques nous sont ici révélés, mais la complexité du personnage n’est pas vraiment mise en lumière. En effet, comment un écrivain professant une certaine idéologie a-t-il pu commettre des titres comme « Qui suis-je ? », « Reconquête » ou encore « Les survivants de Kor  » qui sont à l’opposé de la radicalité affichée dans d’autres ouvrages ? Il y a là un paradoxe curieux. Par ailleurs, même si ses cinq « angoisses » ont été étudiés dans les tomes précédents, ils ne sont pas ou peu évoqués alors qu’ils figurent parmi les titres les plus marquants et les plus originaux de la collection. Max-André Rayjean, l’un des rares auteurs d’Angoisse encore vivant, fait ici l’objet d’une vraie réhabilitation tout à fait méritée. Parmi toute la galerie de portraits qui défilent page après page, on retiendra particulièrement ceux d’André Caroff, de sa mère qui publia sous le nom de José Michel et dont les photos attestent d’une vie trépidante, ou de Jane Péheu. Quelques fiches s’enrichissent d’interviews, parfois inédites.
On le voit, le travail réalisé par Philippe Gontier et Laurent Mantese (auxquels il convient d’ajouter quelques collaborateurs) est une bénédiction pour qui s’intéresse à cette collection à nulle autre pareille. Un quatrième et dernier opus traitera des adaptations BD, théâtrales et cinématographiques de certains titres d’Angoisse.
En résumé, un ouvrage aussi beau qu’indispensable.

Lire également : La chronique des volumes 1 et 2

Titre : Angoisse - exploration d’une collection - Vol.3
Auteurs :Philippe Gontier, Laurent Mantese
Éditeur : Artus
Couverture : Philippe Gontier
Pages : 458
Format (en cm) : 16 x 22,8
Dépôt légal : juin 2023
ISBN : 9782954843605
Prix : 39 €
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