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Fiancée du Dieu de la Mer (La)
Axie Oh
Lumen, roman (USA), conte fantastique, 399 pages, mai 2023, 17€

Tous les ans depuis un siècle, on sacrifie une jeune fille au dieu de la mer, pour calmer les tempêtes. Mais cette année, Mina prend au dernier moment la place de Cheong, dont son frère Joon est amoureux. Parvenue dans le royaume sous-marin des esprits, une ville d’abord déserte, elle découvre un dieu de la mer apathique, gardé par trois étranges jeunes personnages qui lui dérobent son âme ! Peu déterminée à se laisser faire, Mina va les suivre, découvrir qui ils sont et pourquoi, ici-bas, il est si important que la malédiction du dieu de la mer ne soit pas levée. Et si, malgré les apparences, c’était elle qui allait brisait le sort ?



Le roman d’Axie Oh est très prenant, car il emprunte à la structure et la matière des contes d’Asie dont les lecteurs européens sont familiers grâce à Hayao Miyazaki. Ici, difficile de ne pas établir de parallèles avec « le Voyage de Chihiro » : un passage dans le monde des esprits, diverses malédictions à lever pour en sortir, un jeune homme tourmenté, des complots entre grandes puissances dont l’héroïne n’a pas idée...
Bien évidemment, c’est loin d’être tout, et l’autrice tisse une très belle histoire autour d’une héroïne forte, indépendante et déterminée, mais pas insensible à certaines émotions.

Mina a 16 ans, et elle est trop « ordinaire » pour être une Fiancée du Dieu de la Mer, généralement une très belle jeune femme. Une beauté qui est leur malheur, puisqu’elles sont jetées à l’eau pour leurs 18 ans. Si Mina souffre d’un complexe à ce titre, la notion de destin, forte dans sa culture, vient contrebalancer pour la pousser à ne pas renoncer et tenter de mettre fin à ces sacrifices annuels.
Mais ce statut d’ « inattendue » surprend aussi les gardiens du dieu : Namgi, Kirin, et surtout Shin, une divinité non identifiée qui tranche le fl rouge du destin qui la relie au Dieu de la mer et lui vole son âme. Première grosse péripétie, ce fil rouge se renoue tandis que la jeune fille pénètre la Maison du Lotus, le manoir de Shin, et récupère son âme. Mais elle est désormais liée à ce jeune dieu mélancolique !
Les lecteurs le devinent, un drôle de triangle « amoureux » se dessine : Mina doit aimer (et être aimée) le dieu de la mer pour briser le sort, mais elle est liée à Shin dont elle tombe sous le charme, intriguée par sa loyauté envers le dieu et curieuse de son rôle auprès de la divinité.
Le nouveau lien fait aussi les gorges chaudes dans le royaume des esprits, relativement immuable et où toute nouveauté est la bienvenue et occasion de fêtes. Fêtes durant lesquelles Mina découvre les autres dieux, mais échappe aussi à des attentats grâce aux deux gardes du corps de Shin.

Les personnages secondaires sont attachants et leur histoire tragique et travaillée. Kirin est le dernier de son espèce (un kirin, donc, si vous connaissez) et est assez austère, voire froid avec Mina, tandis que Namgi est son contraire, buveur, dragueur, tête brûlée. C’est un Imugi, un démon serpent qui doit remporter mille batailles ou vivre mille ans pour devenir dragon. Il en est à 19.
On s’interrogera longtemps sur les attributs divins de Shin, tandis qu’on découvre ceux des autres dieux. On lui découvre une rivalité avec Shiki, le dieu de la mort, qui a épousé une ancienne Fiancée (oui, parce qu’elles ne disparaissent pas comme ça) pour laquelle ils se sont battus. Autre triangle. Ces intrigues amoureuses, et surtout le chaos des émotions de Mina, partagée entre son devoir, son « destin » et les élans de son cœur qu’elle peine à s’avouer, se suivent avec grand plaisir.

Mais ce qui est le plus agréable, et apporte une vraie dimension supplémentaire à ce roman, c’est la réflexion autour de la famille, de la mort et de la foi. Mina découvre qu’on peut mourir dans ce royaume des esprits, et que ceux qui « vivent » ici sont en transit, refusant d’aller plus loin pour prendre soin des leurs, accomplir une dernière tâche, attendre un proche... Et les dieux qui règnent ici sont des gens cruels, qui profitent de l’apathie du Dieu de la Mer, la puissance suprême, pour tenter de s’approprier le pouvoir. Shin, en rompant le lien des Fiancées, assure une sorte de statut quo qui, on le constate, est en train de s’effriter, rongé par les ambitions de quelques-uns. Et la mort de Mina semble leur objectif. Elle est sauvée par Mask, Dai et Miki, un drôle de trio qui surgit de la basse ville quand elle est en danger. Qui sont-ils ? On s’en doute, mais on le découvrira tout naturellement dans la dernière partie de l’ouvrage.
Face aux dieux, Mina ne se laisse pas faire, au contraire : elle les prend à partie, leur reprochant notamment de ne pas protéger les humains qui les prient et leur adressent des offrandes. D’être sourds, voire malveillants, et en aucun cas à l’écoute de leurs fidèles. La relation de Mina au Divin est agressive, et certains lui rétorquent la violence inhérente aux humains, et se dédouanent de toute responsabilité. Des questionnements intéressants, surtout pour nous lecteurs qui n’avons, contrairement à Mina, aucune preuve de l’existence d’une quelconque divinité.

La conclusion, en deux temps, l’un brutale, l’autre lent, est plus que satisfaisante, apportant toute les réponses et la magie attendue.

Avec une bonne dose de fantastique, pétri de la matière des contes, ce qu’il faut d’action, de complots, de mystères, d’amour et d’émotion, « La Fiancée du Dieu de la Mer » est un roman merveilleux, à tous les sens du terme, qu’on dévore, s’imaginant sans mal une adaptation en anime, peut-être davantage dans le style du studio Ghibli (par habitude) que le non moins remarquable graphisme de couverture signé Kuri Huang.


Titre : La Fiancée du Dieu de la Mer (the girl who fell beneath the sea, 2022)
Autrice : Axie Oh
Traduction de l’anglais (USA) : Sarah Dali
Couverture : Kuri Huang
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 399
Format (en cm) : 22 x 15 x 3
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9782371023727
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
2 juin 2023


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