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Rêves qui nous restent (Les)
Boris Quercia
Pocket, Imaginaire, n° 7311, traduit de l’espagnol (Chili), science-fiction, 205 pages, mai 2023, 7,30€


« Comme mon électroquant, je me balade avec un problème dans la tête. C’est pour ça que ce modèle m’a plu. Je suis ce bout de ferraille recroquevillé dans un coin de ma chambre, qui commence à trembler doucement. »

Dans le futur proche imaginé par Boris Quercia, oubliez le portable, c’est désormais le robot qui est l’objet de tous les prestiges et de toutes les convoitises, le robot représentant ce que vous êtes selon la formule un brin flaubertienne revue par les publicitaires : “Mon robot, c’est moi”. À flic passablement pourri, robot quelque peu vérolé. Son androïde précédent ayant été détruit lors d’une intervention, le flic Natalio s’en racheté un autre, une occase qui, il s’en rendra progressivement compte, apparaît quelque peu déviante.

« Toute notre société s’est effondrée si vite qu’on n’a pas eu le temps d’inventer autre chose, et, à la longue, on s’est habitués à tout. Plus personne n’est impressionné par les incendies, ni par les morts. »

Déviant, qu’est ce qui ne l’est pas dans le futur très dystopique de Boris Quercia ? Depuis les distractions télévisées encore plus grotesques et plus abominables que celles que nous connaissons jusqu’aux affrontements armés qui certains jours font des centaines de morts, tout part à vau-l’eau. Natalio, le flic, travaille aussi bien pour la Cité, ou ce qui en reste, que pour le privé, car il faut bien vivre et toute tâche est bonne à prendre. Un flic tantôt trop intègre et tantôt capable d’exécuter les basses œuvres voulues par la hiérarchie, comme dézinguer les migrants et autres irréguliers et faire passer leurs trépas pour de simples accidents. Mais si dans ce futur très proche tout s’est effondré, c’est de la faute des androïdes, des intelligences artificielles qui se sont mises à quelque peu déraper. Non pas la classique révolte des robots des littératures de genre, mais quelque chose de bien plus insidieux, de bien plus indirect, de bien plus troublant. Nous laisserons au lecteur le (dé)plaisir de la surprise.

« Cette lumière n’est pas donnée à tous et tous ne peuvent pas la comprendre. Peut-être vaut-il mieux vivre dans les ténèbres, où l’on ne voit que le contour des choses, que d’être aveuglé par cette lumière du feu primordial puis rejeté dans la profonde insécurité d’un univers froid et sans étoiles. »

Mais pourquoi ce titre étrange, « Les rêves qui nous restent » ? Parce que dans ce monde en déréliction les grandes firmes capables d’exploiter au mieux les humains sont toujours debout, sinon plus puissantes que jamais, et proposent à des individus de vivre dans des rêves perpétuels plutôt que d’affronter le réel. Mais pas, on s’en doute, sans quelque hideuse contrepartie, dont le traficotage de leur ADN et sans doute bien d’autres expérimentations / exploitations non précisées.

Mais la police découvre qu’un individu de substitution fait partie de ces rêveurs. Une personne qui n’est pas la bonne. Un homme au lieu d’une femme. Peut-être en existe-t-il d’autres. De telles failles pourraient bien faire trembler le système. Ou peut-être pas. Peut-être la firme est-elle elle-même à l’origine de nouvelles manipulations. Peu importe : on demande à Natalio de trouver une suspecte, ou plus exactement on la lui désigne. Qu’elle soit innocente ou coupable importe peu : à lui de trouver des preuves. Mais le peu d’éthique qui subsiste en lui le poussera à se rebeller.

Un schéma classique du polar, une multitude d’éléments tirés de la vaste panoplie de la science-fiction : le mélange polar-thriller-cyberpunk fonctionne souvent, on l’a vu par exemple avec le mémorable « Neuromancien » de William Gibson, l’ambitieux « Void star » de Zachary Mason, l’ingénieux « Drone Land » de Tom Hillenbrad, les enquêtes du Greg Mandel de Peter F. Hamilton ou les nouvelles du recueil « Manhattan stories » de Jonas Lenn. Si cela fonctionne également chez Boris Quercia, c’est sans doute pour d’autres qualités encore, au premier plan desquelles on retrouve la concision. En à peine deux cents pages tendues, nerveuses, dégraissées, l’auteur fait passer l’essentiel. Son narrateur explique le monde tel qu’il est devenu, une exposition constante et progressive qui, sur la tonalité polar, ne tourne jamais à l’artifice. Les péripéties font le reste. La noirceur est là, le pessimisme également, mais l’essentiel – l’humanité – n’est jamais absente, donnant au récit son âme pleine et entière. Un roman bref, un format court comme on aimerait en trouver plus souvent, avec, cerise sur le gâteau, une très belle couverture, à la fois évocatrice et sobre, de Julien Rico Jr.


Titre : Les Rêves qui nous restent (Electrocante, 2021)
Auteur : Boris Quercia
Traduction de l’espagnol (Chili) : Isabel Siklodi et Gilles Marie
Couverture : Julien Rico Jr
Éditeur : Pocket (édition originale : Asphalte, 2021)
Collection : Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7311
Pages : 205
Format (en cm) : 11 x 17,5
Dépôt légal : mai 2023
ISBN : 9782266329729
Prix : 7,30 €



Hilaire Alrune
3 juin 2023


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