Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Ensorceleur des choses menues (L’)
Régis Goddyn
L’Atalante, La petite dentelle, roman (France), fantasy, 550 pages, juin 2022, 10,70€

Un vieil ensorceleur urbain accepte accompagner une jeune fille à la recherche de son fiancé, parti en voyage initiatique pour devenir mage. Cette escapade va à l’encontre de toutes les règles et des traditions, mais peu à peu Barnabéus découvre le monde donc on l’a privé et remet (très lentement) en cause l’ordre social, jusqu’à chercher à le renverser lorsque certaines vérités se révèlent.



Que voilà un habile résumé, bien peu révélateur. Et pour cause, je m’en voudrais de trop nuire à votre découverte de l’univers tissé par Régis Goddyn, tout aussi touffu et travaillé que dans sa saga du « Sang des 7 rois ». Cet « Ensorceleur des choses menues » est d’ailleurs une excellente entrée dans son écriture riche et dense, et sa sortie au format poche balaiera les dernières excuses pour ne pas y succomber.

Allons tout de même un peu plus loin : Barnabéus est donc un petit enchanteur urbain, c’est-à-dire que dans la cité il est une sorte d’artisan magique. il ne connait que 3 sorts, l’un pour réchauffer les cataphons, sorte de radiateurs en pierre réfractaire, un autre pour permettre l’eau courante dans les maisons... des petits sorts à durée déterminée, qui nécessite un renouvellement régulier et assurent ainsi à la Guilde une rente sur le dos de la population. Tout cela est très organisé, hiérarchisé, compartimenté. Car les enchanteurs sont généralement les cadets de mages, et lorsque l’ainé revient de son initiation avec son parent (père ou mère), il quitte la ville haute et ses ors pour une petite vie bien moins reluisante. C’est, entre autres, cet ordre des choses acquis et estimé immuable que Barnabéus va remettre en cause au contact de Prune, qui s’inquiète de la disparition de son fiancé mais aussi, de fait, de sa déchéance sociale qui suivra si elle ne l’épouse pas.

Le duo vieux barbon / jeune rebelle fonctionne à merveille, d’autant plus que chacun a ses secrets. Barnabéus tente de convaincre Prune de la relative stabilité à devenir ensorceleuse, et il est prêt à la prendre sous son aile. Mais pas encore à lui transmettre ses sorts, seule richesse du métier jalousement gardée par chacun. Prune ne lui dit pas tout, et peu à peu on fait le tri entre ses craintes affichées et les non-dits. Incarnation de la jeunesse, elle refuse l’ordre établi, elle voudrait avoir le choix de sa vie, et remet en cause toutes les règles, lois et traditions qui, on le voit à travers elles, freinent la société.
Bien entendu, ce frein est volontaire et savamment entretenu, comme ils vont le découvrir durant leur périple sinon interdit, au moins fortement réprouvé. De fait, on ne sort que peu de sa ville, et même les marchands ne commercent qu’avec une ou deux cité voisines, mais pas plus. Arpenter le monde est le seul privilège des mages.

On découvrira également à leurs côtés les rites autour de la mort : les riches mourants peuvent s’assurer un guide en la personne de nécromanciens, mages noirs grassement payés pour vous emmener à bon port. Et c’est là aussi un secret bien gardé que ce qui se passe de l’autre côté, secret que Barnabéus et Prune vont éventer et qui va les horrifier. Toute la seconde partie du roman y sera d’ailleurs consacrée.
On peut en effet couper « L’ensorceleur des choses menues » en deux : le voyage du vieux sorcier et de la jeune fille, puis leur combat contre le mal qu’il ont découvert au cœur de leur société. Deux parties bien distinctes : la première est un voyage initiatique typique de la fantasy, l’occasion de découvrir un univers fabuleux, ses règles, ses étrangetés en même temps que les personnages, et alliée au talent littéraire de Régis Goddyn, cette seule première moitié avec la révélation finale au se fait lentement jour forme un très bon roman, une fantasy à la fois sobre en créatures et riche en petits détails de fond, comme chez Miyazaki par exemple. La seconde, faisant la part belle au monde gris après la vie et à la revanche de Barnabéus, est beaucoup plus sombre, cruelle mais aussi déstabilisante, car cela se joue sur plusieurs plans, dans des lieux dont il faut s’accrocher pour suivre la topographie, les tenants et les aboutissants. Mais c’est très bien fait, et cela donne une toute nouvelle dimension au récit, beaucoup plus violent et épique jusqu’à sa dernière ligne.

L’auteur alterne rires et larmes avec son vieux héros, sorcier bougon mais finalement pétri de compassion pour la jeune Prune, un rien jaloux, et fortement modelé par une vie de boutiquier qui n’est pas sans rappeler nos artisans, féroces gardiens de leur savoir qu’ils monnayent à prix d’or pour peu que vous les ayez pris à rebrousse-poil. La gentillesse, le don et le contre-don, la coopération plutôt que la concurrence sont parmi les leçons qu’il tire de son voyage, même si quelques réflexes demeurent. Tous deux sont fortement attachants, et les voir lentement évoluer, changer tandis qu’ils se dessillent sur leur monde ne fait que renforcer ce sentiment.

Bref, un roman très riche sur le fond comme la forme, palpitant jusque dans ces toutes petites péripéties, très émouvant, souvent drôle et malin, à cent lieues de la fantasy batailleuse. Une fantasy des petites choses, à hauteur de petites gens, mais qui s’avéreront le levier pour changer bien des choses. A dévorer lentement mais sûrement.


Titre : L’ensorceleur des choses menues
Auteur : Régis Goddyn
Éditeur : L’Atalante
- Grand format
Couverture : Benjamin Carré
Collection : La Dentelle du Cygne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 480
Format (en cm) : 20 x 14,5 x 3
Dépôt légal : février 2019
ISBN : 9782841728893
Prix : 24,50 €
- Poche
Couverture : Ieraf
Collection : La Petite Dentelle (poche)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 550
Format (en cm) : 18 x 11 x 3
Dépôt légal : juin 2022
ISBN : 9791036001185
Prix : 10,70 €



Nicolas Soffray
29 mai 2023


JPEG - 14 ko



JPEG - 13.8 ko



Chargement...
WebAnalytics