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Bifrost n°110
La revue des mondes imaginaires
Revue, n°110, nouvelles - articles - entretiens - critiques, avril 2023, 192 pages, 11,90€

Après les Presses de la Cité et Bragelonne, Le Bélial’ semble avoir repris le flambeau pour permettre aux lecteurs francophones de lire Alastair Reynolds : la novella « La millième nuit », le roman « Éversion » et la traduction courant 2024 de « House of Suns ».
Un « Bifrost » spécial Alastair Reynolds est donc tout à fait d’actualité et l’occasion de découvrir plus avant cet auteur de premier plan.



Un long entretien retrace son parcours : ses jeunes années, ses soumissions à « Interzone » longtemps refusées avant une première acceptation, la difficulté d’écrire pendant ses études dans l’astrophysique, son poste aux Pays-Bas et son premier roman publié (« L’espace de la révélation »)... Après avoir travaillé douze ans pour l’Agence spatiale européenne, il est devenu écrivain à plein temps, car concilier les deux n’était plus possible. Aujourd’hui, s’il est connu par ici pour ses romans (21 au total dont une bonne partie a été traduite), seule une dizaine de nouvelles nous est arrivée, la moitié au Bélial’. Bien peu par rapport à sa production de presque 80 nouvelles. Erwann Perchoc balaye justement ce champ méconnu, alimentant les regrets qu’une plus grande partie ne soit pas accessible en français. La bibliographie concoctée par Alain Sprauel permet d’en saisir l’amplitude. Les divers ouvrages de l’auteur sont chroniqués par l’équipe, le cycle des « Inhibiteurs » qui l’a fait connaître du grand public ayant droit à un article d’Emmanuel Tollé.
Bien sûr, une nouvelle accompagne le dossier, il s’agit de “Bleu Zima” abordant notamment un thème cher à Alastair Reynolds, l’art. Zima est un artiste alimentant toutes les spéculations : des œuvres toujours plus démesurées, un corps transformé au possible le rendant capable de vivre n’importe où et surtout, n’accordant aucun interview, il représente une énigme. Pourtant à l’occasion d’une dernière performance, il accepte de s’entretenir avec une journaliste, revenant sur son passé. Le cadre, des tableaux à l’échelle démentielle, un artiste qui s’interroge sur son existence et décide de revenir à ses sources... en font un texte prenant, marquant et surprenant quand la compréhension arrive. Forcément, le lecteur espère qu’il y en aura d’autres, surtout au vu de la disponibilité.

Comment ne pas faire le même constat avec Ian R. MacLeod si peu traduit par chez nous. “Bien-aimé” est une nouvelle choc se finissant de manière douce amère. La technologie de l’échange a des effets pervers dont une prostituée fait les frais. Elle voit une porte de sortie à cette vie de souffrances et sans espoir... La chute particulièrement bien vue fait un sacré effet. Superbe !

Ken Liu est un habitué de « Bifrost » et les “Idoles” sont des avatars numériques de personnes décédées ou vivantes. Dans un couple, monsieur échange avec un père qu’il n’a jamais connu et qui a été reconstitué d’après la matière disponible (souvenirs de ses proches, réseaux sociaux, enregistrements...), alors que madame s’en sert pour simuler des jurés et donc connaître les choix à faire avant un procès. La question de leur utilisation se pose, les dérives potentielles, les autorisations pour des personnes qui n’ont pas leur mot à dire... Une fois de plus, Ken Liu interroge avec brio l’humain face à la technologie : que va-t-il en faire ? Efficace et stimulant.

“L’avertissement” d’Olivier Caruso n’est pas sans faire penser à « Minority report » ou encore au « Crime de Lord Arthur Saville » d’Oscar Wilde. La société est modifiée par une thèse que le jury était incapable de comprendre tant l’idée était novatrice et brillante. Plutôt que de guérir, la justice prévient en avertissant les possibles auteurs de délit et en leur versant notamment une somme d’argent plus ou moins grande. La vie de Giorno bascule le jour de l’avertissement. Comment est-ce possible, lui qui est si gentil et apprécié des gens qu’il côtoie ? Il se méfie de tout, n’ose plus sortir de peur de passer à un acte dont il ignore tout, alors que cela ne lui était jamais passé par la tête auparavant. D’un autre côté, certains essaient justement de se faire remarquer par un comportement de délinquant pour toucher le pactole. Mais attention, une fois averti, pas de seconde chance !
L’auteur montre l’importance de la causalité. La suite des événements découle clairement de l’avertissement reçu par Giorno. Sans lui, rien ne serait peut-être arrivé. Pourtant les faits donnent raison aux algorithmes. Manipulation du destin ? Tragédie évitée ou provoquée ? C’est brillant et retors, car les interprétations prêtent à confusion. Et puis comment vivre dans une telle société avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête ? Olivier Caruso, une voix originale de l’imaginaire français.

Roland Lehoucq et Fabrice Chemla s’intéressent à la cristallographie, revenant notamment sur quelques œuvres abordant les cristaux : « Cristal qui songe » de Théodore Sturgeon, « La forêt de cristal » de J. G. Ballard... Définition, croissance, structures, applications, tout sur le cristal présenté de manière ludique.
Les nouvelles de la SF, de nombreuses recensions d’ouvrages et un entretien avec l’équipe de la librairie spécialisée Le Basilic à Bordeaux, ouverte fin d’année passée et dont un membre fondateur semble déjà avoir quitté le projet, complètent ce numéro fourni de « Bifrost ».

Un numéro idéal pour découvrir ou mieux connaître Alastair Reynolds, un écrivain majeur de science-fiction, surtout orienté hard SF, et faire regretter la faible proportion de nouvelles disponibles en français. Un très bon dossier, de fort belles nouvelles, du rédactionnel intéressant, un « Bifrost » à ne pas manquer.


Titre : Bifrost
Numéro : 110
Rédacteur en chef : Olivier Girard
Couverture : Manchu
Illustrations intérieures : Matthieu Ripoche, Aldaran, Olivier Jubo et Anthony Boursier
Traductions : Pierre-Paul Durastanti (Idoles), Michelle Charrier (Bien-aimé) et Laurent Queyssi (Bleu Zima)
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, nouvelles, entretien, etc.
Sites Internet : le numéro 110, la revue (Bifrost) et l’éditeur (Le Bélial’)
Dépôt légal : avril 2023
ISBN : 9782381630847
Dimensions (en cm) : 15 x 21
Pages : 192
Prix : 11,90€



Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
7 mai 2023


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