Ce gros roman de 850 pages coupé en deux pour les besoins de l’édition française s’intéresse au réchauffement climatique. « Choc Terminal » se déroule dans un futur proche, la situation n’y est guère réjouissante, mais malheureusement découle en droite ligne de notre quotidien. Là où Neal Stephenson apporte du neuf, c’est dans le projet de T. R. inspiré de l’éruption du volcan Pinatubo en 1991 qui a projeté d’énormes quantités de soufre dans la haute atmosphère. Cela a entraîné une baisse des températures sur le globe. Sur le papier, l’idée tient la route, même s’il s’agit plus d’un pansement en agissant sur les effets et non les causes. Personne ne savait ce qu’il tramait, aussi la visite des installations dans le désert du Chihuahua est-elle une découverte, aussi bien du procédé que de l’avancement, car les invités assistent rien moins qu’à une première. Cette initiative privée à la barbe des grands dirigeants mondiaux débouche sur des résultats concrets. T. R. cherche à séduire, à persuader du bien fondé de son projet qui ne demande qu’à faire des émules pour se révéler vraiment efficace.

La mise en place se révèle assez longue, car « Choc Terminal » débute par le périple de Saskia et son équipe pour arriver à Houston. C’est l’occasion de faire le point sur la situation, sur le climat détraqué entraînant de vastes mouvements de foule pour échapper aux catastrophes se succédant, l’adaptation des habitats rehaussés pour ne pas être sous l’eau à chaque crue... Bien sûr, elle permet aussi de s’habituer à quelques-uns des personnages principaux du roman, à savoir Saskia qui a surtout un titre honorifique, Willem son plus proche conseiller et Rufus, le chasseur de cochons vite embauché par T. R.
L’écriture de Neal Stephenson est assez déroutante, plus fonctionnelle qu’élégante, mais après un temps d’adaptation, le lecteur ne prête plus guère attention à ce point.
Une fois au fait du procédé pour lutter contre le réchauffement climatique, le récit explore ses conséquences. Les simulateurs tournent à plein régime pour voir qui en profitera. Bien sûr, il y a des bénéficiaires et des perdants, mais le projet de départ sert surtout à montrer une voie possible pour retarder l’inévitable. La cité de Venise est condamnée si rien n’est fait, mais comme elle est liée à l’Italie, certains savent qu’il faut agir en catimini, ne pas se perdre en interminables négociations sous peine d’immobilisme et de la condamnation de la Sérénissime. D’autres sites se construisent avec les tensions inhérentes au développement du projet, maintenant qu’il est connu. Qui est derrière tout ça ? La politique s’en mêle, ce qui n’est jamais simple comme Willem pourrait en attester. Le récit se révèle vraiment passionnant, car le lecteur est brinquebalé au fil des événements, catastrophes, sabotages, visites de sites...

Neal Stephenson intrigue aussi beaucoup avec le fil rouge autour de Laks, un Canadien d’origine indienne, qui se cherche et décide de passer du temps en Inde pour se rendre utile et aussi partager sa passion autour d’un art martial local. Il trouve sa voie lorsqu’il s’engage sur la Ligne de combat effectif, à savoir la ligne de front entre l’Inde et la Chine. Les frontières entre les deux pays dans la chaîne himalayenne sont floues et un cessez le feu a été signé. Qu’importe le combat se passe d’armes, se fait à la force des bras et Laks devenu Gros Poisson se révèle un véritable champion en la matière. Cette lutte est montée en guerre spectacle sur les réseaux sociaux et donne lieu à des paris, à des classements. Mais quel rapport avec le reste ? On peut longtemps se le demander et la fin n’est pas des plus convaincantes quant à ce qui concerne Laks, finalement un simple pion. L’attitude de ses adversaires emplie de respect ne manque pas d’interroger.
La communication, voilà le maître mot. Il faut être rapide, organisé, clair sous peine de se faire coiffer et que de fausses informations s’imposent comme la vérité. La lutte contre le réchauffement devrait être une cause mondiale, pourtant chaque pays la place sur la balance profit / perte, préférant l’action à l’échange intelligent. Pas facile de démêler les intrigues, de savoir qui agit et dans quel but. On peut toujours ergoter sur le fait qu’une action ne soit pas forcément suivie d’une réaction, comme si le bien commun prédominait, alors que l’on sait que c’est rarement le cas. Ces menus défauts n’entachent en rien l’ensemble qui est fouillé, documenté. Chacun apprend quantité de choses intéressantes et donnant matière à réflexion.

Neal Stephenson réussit à divertir en s’attaquant au réchauffement climatique. Il met ce sujet sensible sur la table, imagine un moyen de lutter contre à travers un milliardaire texan qui plutôt que de longuement réfléchir, consulter les autorités, décide d’agir et de mettre le monde entier devant le fait établi. Un précurseur trace la voie, reste à voir comment les autres vont réagir. C’est justement l’histoire de « Choc Terminal », épais roman rien moins que passionnant par les thématiques explorées.
Des personnages attachants, une prise de conscience essentielle du réchauffement et de ses effets, la politique et ses arcanes, le poids de l’économie, l’influence des médias, de l’action et de la réflexion... tout ce qu’il faut pour passer un très bon moment de lecture, aussi divertissant qu’enrichissant.
« Choc Terminal » représente un apport de choix à la science-fiction climatique dont les romans ne sont pas légion.

Titre : Choc Terminal (Termination Shock, 2021)
Auteur : Neal Stephenson
Illustration de couverture : Aurélien Police
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Benoît Domis
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Sites Internet : Tome 1 et Tome 2 (site éditeur)
Pages : 430 et 426
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : mars et avril 2023
ISBN : 9782226474162 et 9782226474179
Prix : 24,90 € et 24,90 €

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