Douze nouvelles choisies parmi une sélection bien plus importante retracent le parcours de Bodichiev qui a démarré petitement sa carrière de détective privé, mais s’est vite fait un nom pour devenir célèbre à travers le monde. Ce dernier n’est pas du tout le nôtre, ce qui constitue la grande originalité de cette série. Nous sommes dans l’uchronie sans que le point de bascule soit clairement identifié. Pas de Révolution d’octobre, le tsar est resté au pouvoir et aujourd’hui en l’an 3000 (le calendrier n’est pas le même), l’Empire anglo-russe s’étend à travers le monde, le bouddhisme étant la religion officielle ! La France est une nation solidariste, c’est à dire observant les préceptes de Marx et Engels. Autant dire que le lecteur va de surprise en surprise au fil des pages tant la géopolitique est radicalement transformée. Les États-Unis d’Amériques n’existent pas en tant que tels, les Américains sont des adeptes des petites voitures, ne voyant pas l’intérêt des grands véhicules. Chaque enquête est avant tout prétexte à descriptions, à sillonner notre planète bouleversée par un nouvel ordre mondial qui semble plus apaisé. Le progrès a suivi une voie différente, moins rapide, les dirigeables se déplacent encore dans le ciel, les inventions possèdent un côté rétro... autant de détails qui donnent à l’ensemble un côté steampunk pas désagréable.

Jan Marcus Bodichiev a monté son agence à London, une ville de l’Empire anglo-russe. Il aide à l’occasion la police, notamment les inspecteurs Goudounov qui apparaît régulièrement et Joukov. Dans “Les crimes météorologiques”, il apparaît qu’une IA régule la météo pour les nantis qui peuvent se le permettre. Viat Koulikov apparait la première fois dans “La pomme et la paille”, une affaire somme toute assez simple. Plus tard, il est appelé à côtoyer plus souvent Bodichiev, car le succès aidant, son agence se développe et Viat devient son assistant. Dans “Les oiseaux du cimetière”, c’est lui aux manettes, pas de Bodichiev au programme. D’ailleurs, il y a une brève nouvelle “Prodramation intime” qui ne met en scène aucun des détectives, seul Goudounov s’occupe de cet étonnant meurtre sur une chaîne d’assemblage de poupées gonflables ou plutôt de « mannequins ludiques à usage intime ». Au fil des affaires, Bodichiev se rend notamment dans la cité adriatique de Raguse (“Sous le vent dalmate”), également à Saint-Francisbourg, ou plutôt à Broadacre City, une espèce de cité idéale. Dans “La forme d’une ville”, nous sommes très loin de l’Amérique que nous connaissons avec bien des points de divergence et non des moindres. Vers la fin de sa carrière, la mort suspecte en Italie du fils d’un ami restaurateur l’envoie à Firenze (“Mort au jardin des Iris”).
Les descriptions prennent en général le pas sur les enquêtes qui ne servent que de prétexte, d’enrobage à observer une société revisitée. Par exemple, “Les trafiquants de couleur” permet de croiser Jacques Tati devenu Tatichiev qui a inventé un nouveau procédé de pellicule en couleurs.
Bodichiev n’est pas un athlète, il aime faire bonne chère, s’empâte et en impose par sa présence, mais il a l’esprit vif, n’hésitant pas à imaginer des solutions non traditionnelles une fois toutes les autres possibilités éliminées. Il n’est pas facile à déstabiliser, même quand une partie du butin d’un vol est retrouvée chez lui (“L’affaire des masques”) ou qu’une explosion qu’il n’a même pas remarquée, perdu dans ses pensées qu’il était, a dévasté l’appartement au-dessus de son agence (“La pluie de sang”). La célébrité n’est pas toujours une bonne chose, surtout quand il désire manger en paix (“La disparue du canal”).
« Enquêtes d’un détective à vapeur » retrace la carrière de Bodichiev, des débuts poussifs à l’expansion de son agence avec l’emploi d’une secrétaire et d’un assistant (Viat Koulikov). L’ultime texte “Un ptérosaure sur la plage” le montre vieillissant lors de sa retraite prise à Biarritz. Au cours de sa promenade matinale, un cadavre sur la plage le pousse à échafauder une hypothèse des plus saugrenues. Le détective a fait son temps, perdu de son acuité, la boucle se referme.

Sans atteindre des sommets, la lecture n’en est pas moins agréable, mais il faut reconnaitre qu’« Enquêtes d’un détective à vapeur » vaut surtout pour son tableau uchronique d’ensemble avec un ordre mondial totalement revisité dans lequel nage le détective privé Bodichiev, un bon vivant sortant souvent la solution de son chapeau. De multiples trouvailles et références émaillent ces textes, leur donnant une coloration steampunk de bon aloi. Les nouvelles diffèrent aussi bien par leur longueur que par leur intérêt, mais dressent un tableau étonnant, ce qui reste finalement après lecture.

Par contre, comment ne pas remarquer le prix de 10,90 € pour un poche de 400 pages qui n’a pas nécessité de traduction et dont le contenu n’est pas inédit. Voilà qui n’est guère vendeur ! La curiosité devient ici un luxe.

Titre : Enquêtes d’un détective à vapeur
Sommaire : Les crimes météorologiques, La pomme et la paille, Sous le vent dalmate, La disparue du canal, La forme d’une ville, Les trafiquants de couleur, Prodramation intime, La pluie de sang, L’affaire des masques, Les oiseaux du cimetière, Mort au jardin des Iris, Un ptérosaure sur la grève
Auteur : Viat & Olav Koulilov / André-François Ruaud
Couverture : Sam van Olffen
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio SF
Site Internet : Recueil (site éditeur)
Pages : 404
Format (en cm) : 10,8 x 17,8
Dépôt légal : février 2023
ISBN : 9782072990977
Prix : 10,90 €

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