« Des Mille et Une Façons de Quitter la Moldavie » témoigne sous la forme d’un conte tragi-comique de la pauvreté de ce minuscule pays collé à la Russie. Son auteur le décrit en intro comme « le pays du monde où boit le plus de vin par habitant, d’après l’OMS ».
Dans une narration à facettes, pas toujours respectueuse de la chronologie, ni d’un certain réalisme au profit d’un burlesque omniprésent, on observe les tentatives foireuses des pauvres gens, rendus encore plus bêtes par leur pauvreté et les effets délétères du communisme, de gagner leur Paradis. Cela commence avec des passeurs qui, sous couvert de voyage organisé, les baladent dans le pays après leur avoir soutiré 4000€ chacun. Une somme qui revient comme un gimmick tout au long de l’ouvrage, même payée par le Président moldave qui veut émigrer lui aussi ! sans qu’on sache si on a toujours affaire aux mêmes passeurs ou s’il y a une entente sur le tarif. Seraphim, l’initiateur de la ruée vers Rome, fait appel à Vassili et ses talents d’ingénieur. Détournant un tracteur, ils construiront un avion, puis avec ses débris, un sous-marin à pédales... Tandis que le pope local, enfiévré par la fuite réussie de son épouse en Italie, décrétera une croisade qui drainera le pays entier jusqu’à la frontière, un périple documenté par l’instituteur reconverti en hagiographe sous peine de bûcher.

Au milieu de toutes ces gesticulations, de ces farces presque grotesques, on lit le malheur d’un peuple accablé par la misère, lessivé par le communisme russe, abêti par des décennies d’obéissance, de privation du droit de réfléchir par lui-même. Partout règne la corruption, la loi du plus fort, et les naïfs sont des victimes permanentes. S’ajoute une couche de fierté toute slave, le refus de reconnaître ses erreurs, qui pousse là aussi les choses de mal en pis. On lit surtout des hommes blessés, abandonnées par leurs femmes, leurs filles, leur amour de jeunesse, et lancés à corps perdus dans une entreprise qui tromperait leur chagrin et leur vide intérieur.

C’est à la fois très drôle, car les personnages semblent obéir à une toute autre logique que nous, et tragique, puisque pauvreté, misère et mort sont souvent au bout du chemin. On assiste à un guignol trop gros pour être vrai, et c’est ce qui nous autorise à rire des ruses pour tromper les douaniers roumains, des tracteurs volants abattus par les canons à faire pleuvoir, et ces renvois systématiques à la case départ, Larga, échec après échec, comme dans un cartoon.

On a hélas trop peu de si bonne littérature des pays de l’Est à se mettre sous la dent. « Des Mille et Une Façons de Quitter la Moldavie » avait été sélectionné pour le prix Médicis étranger en 2014. Depuis, les excellentes éditions Mirobole ont hélas disparu, le tirage poche chez Pocket est épuisé, aussi il faut espérer qu’on retrouvera ce roman réédité chez Agullo, sa descendante, qui a traduit un autre roman de Lortchenkov en 2016, « Le Dernier amour du lieutenant Petrescu », à la 4e de couverture elle aussi très prometteuse de burlesque et de tragique.
D’ici là, si le croiser en bibliothèque ou d’occasion, n’hésitez pas.

Titre : Des Mille et Une Façons de Quitter la Moldavie (vse tam budem, 2008)
Auteur : Vladimir Lortchenkov
Traduction du russe (Moldavie) : Raphaëlle Pache
Couverture : Ljupco Smokovski / Alice Genaud
Éditeur : Mirobole
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 250
Format (en cm) :
Dépôt légal : avril 2014
ISBN : 9791092145205
Prix : 20 €