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Océanique
Greg Egan
Le Bélial’, Quarante-Deux, recueil de 13 nouvelles traduites de l’anglais (Australie), science-fiction, 634 pages, février 2023, 27,90€

Après la réédition d’« Axiomatique » dans une nouvelle livrée, c’est au tour d’« Océanique » de connaître le même destin. Quid de « Radieux », le second volet de l’intégrale raisonnée des nouvelles de Greg Egan ? Si les volets 1 et 3 de l’intégrale sont épuisés, ce n’est pas le cas du second toujours disponible dans sa première version, donc il faudra patienter...
En attendant, place à « Océanique », copieux recueil de plus de 600 pages avec treize nouvelles au sommaire, déjà chroniqué par Hilaire Alrune sur la Yozone.



“Gardes-frontières” : des êtres âgés de centaines voire de milliers d’années disputent une partie de football quantique avec un ballon remplacé par des probabilités que chaque joueur essaie d’augmenter en faveur de son camp.
“Les entiers sombres” fait suite à “Radieux”, sans que ce soit gênant si cette dernière n’a pas été lue auparavant. Il est possible d’interférer mathématiquement avec un monde parallèle partageant la même position que la Terre. Seules trois personnes sont au courant du danger que cela représente. Elles sont obligées de mettre une quatrième personne dans la confidence, car ses recherches menacent rien moins que l’humanité entière. Le concept est ébouriffant, quatre Terriens se retrouvent dépositaires de ce redoutable secret et gardiens à leur corps défendant de notre espèce.
“Mortelles ritournelles” ou comment des airs simples peuvent polluer l’esprit suivant la réceptivité de chaque individu. La musique au service de la publicité, voilà qui est connu, mais porté ici à des sommets. Qu’importent les conséquences, seuls les chiffres comptent.

“Le réserviste” est un ton en-dessous. Les nantis entretiennent des clones d’eux-mêmes, afin d’avoir des organes de rechange. Le personnage veut justement transplanter son cerveau dans un corps neuf, jeune et sain. Il prend un risque calculé et découvre que tout ne peut pas être prévu. Du fait de sa personnalité, personne ne le plaindra...
“Poussière” a de quoi donner le tournis. Une copie numérique devient un sujet d’expérience de son original qui a pris des libertés pour l’empêcher de se détruire. Et s’il découvrait que la réalité n’est pas celle que l’on croit ? Au fil des tests, l’intérêt ne cesse d’augmenter jusqu’au final inattendu.
Dans “Les tapis de Wang”, Greg Egan met en scène une vie extraterrestre très différente et difficile à appréhender. Une nouvelle que l’on peut lire et relire avec toujours le même émerveillement sur les formes que la vie peut emprunter.

Dans “Océanique” se pose la question de la foi. La religion est-elle uniquement affaire de foi ? Ou l’évolution naturelle d’un écosystème peut-elle aider à l’affermir ? Une nouvelle virtuose autour d’un jeune homme qui grandit et dont le rapport à la divinité change au fur et à mesure des découvertes scientifiques.
Dans “Fidélité”, la technologie se porte au secours de l’amour. Un couple décide de s’équiper en implants Verrou pour sauvegarder leur relation. L’homme s’interroge souvent sur la perte de son libre arbitre, sur cet amour finalement artificiellement entretenu.
Une détective privée cherche les causes de la mort d’une poétesse équipée de la puce “Lama” (Langage d’Analyse et de Manipulation de l’Affect). Les aptitudes de cette puce neuronale permettent un langage enrichi au point qu’un seul mot suffit à cerner quantité de choses. Alors mot qui tue ? Assassinat ? ... L’auteur noie son récit dans de multiples hypothèses qui laissent sur une impression de non achèvement.

Si la technologie toute puissante permet d’éradiquer les cancers et autres maladies grâce au port d’un simple anneau, certaines régions du globe sont oubliées, comme l’Afrique. Un médecin qui voit son métier devenir inutile, obsolète, s’y rend pour aider à combattre le “Yeyuka”, un terrible fléau. Un geste qui peut sembler dérisoire pour se donner bonne conscience. Osera-t-il franchir la ligne rouge pour leur venir en aide si l’occasion se présentait ? Les inégalités planétaires, la mauvaise distribution des richesses, le droit à la santé... autant de thèmes abordés qui mettent mal à l’aise et font appel à la responsabilité de chacun.
“Singleton”, c’est l’histoire d’un couple qui décide d’avoir un enfant après une fausse couche. Autre tentative, adoption ou... une troisième voie qui en est à ses débuts : les enfants quantiques. Concept étonnant qui pousse à l’interrogation sur les IA et les formes qu’elles peuvent prendre. Mécanique quantique, mondes parallèles... une nouvelle riche en questionnement et en émotions, mais qui n’est pas exempte de lourdeurs et de points pas toujours faciles à accepter.
“Oracle” est basé sur des personnages réels (Alan Turing et C. S. Lewis). Le texte commence par une personne soupçonnée d’espionnage, encagée et libérée d’une manière plutôt facile par une femme, du moins c’est ce que les apparences laissent d’abord présager. En réalité, il s’agit d’un être artificiel venant du futur, du moins d’un futur, lui apportant des enseignements propres à faire avancer la science de l’époque. Un professeur croyant, écrivain à ses heures, voit le diable dans cet homme et ses inventions. L’histoire se révèle bancale tout du long, les différentes pièces s’assemblent mal et la forme empêche le fond de se détacher.

Greg Egan a mis un temps sa carrière d’écrivain de côté pour défendre la cause des réfugiés. “Le continent perdu” représente en quelque sorte son témoignage sur le sujet. Ici les passeurs empruntent des tourbillons temporels, amenant les personnes fuyant leurs pays dans le futur. Rien n’est simple alors et Ali se heurte à l’administration pointilleuse, soupçonneuse, inhumaine et sans empathie pour sa détresse. L’auteur n’apporte aucune explication scientifique au phénomène qui lui sert avant tout à dénoncer la façon dont des êtres humains sont traités, sans aucune considération, en leur refusant tout droit. Une nouvelle coup de poing, un cri du cœur face à l’injustice qui fait mouche

Lire Greg Egan constitue toujours une expérience. Le lecteur sait d’emblée qu’il ne pourra tout lire à la suite, enchaîner chaque nouvelle sans observer une pause entre chacune pour prendre le temps d’absorber ce qu’il a lu. Dans chacune, l’auteur développe des concepts scientifiques demandant réflexion. L’humain se situe toujours au cœur des nouvelles, au milieu d’inventions capables de le changer en profondeur, notamment à travers les implants lui permettant de se corriger sans effort. Le progrès effraie, car trop rapide et surtout incompris. Informatique, biotechnologie... autant de sources d’inspirations sur le devenir de l’être humain et sur sa nature. “Océanique” et “Les tapis de Wang” font un peu exception, car elles se situent loin de notre planète et s’attachent à d’autres problématiques, mais quelles nouvelles !
Même si l’ensemble des textes ne sont pas du même acabit, le concentré de SF n’en est pas moins bon, permettant de balayer un vaste spectre de thèmes.
« Océanique » offre un nouvel aperçu de la capacité de l’écrivain australien à réinventer notre quotidien à l’aune de la science et de ses avancées. Un auteur majeur qui n’est jamais aussi efficace que dans ses nouvelles ou novellas.


Titre : Océanique
Auteur : Greg Egan
Couverture : Nicolas Fructus
Traductions de l’anglais (Australie) : Sylvie Denis, Francis Lustman, Quarante-Deux (Ellen Herzfeld et Dominique Martel), Pierre K. Rey et Francis Valéry
Traductions harmonisées par : Quarante-Deux (Ellen Herzfeld et Dominique Martel)
Bibliographie : Alain Sprauel
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Quarante-Deux
Directeurs de collection : Ellen Herzfeld et Dominique Martel
Site Internet : Recueil (site éditeur)
Pages : 634
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : février 2023
ISBN : 9782381630779
Prix : 27,90 €


Greg Egan sur la Yozone :

- « À dos de crocodile »
- « Cérès et Vesta »
- « Une Heure-Lumière : le quatrième hors-série »
- « Bifrost 88 » spécial Greg Egan
- « Zendegi »
- « Océanique »
- « Axiomatique » version Le Bélial’ de 2022, Le Bélial’ de 2006 et Le Livre de Poche

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
7 mars 2023


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