Dans l’éditorial, Pauline J. Bhutia annonce sa volonté « ... de faire de la place aux voix marginales de la SF, à celles qu’on entend peu... »
Les premières nouvelles reflètent clairement ce souhait, tant elles s’avèrent déconcertantes, mais pas forcément dans le bon sens du terme. Les deux premières reposent sur le même thème, celui de la création littéraire.
“Bienvenue à Branlouille” part bien avec cet aller vers une sorte d’asile pour qu’Absinthe retrouve l’inspiration, mais rapidement Sem Nagas en fait beaucoup trop, ça part dans tous les sens et la suspension d’incrédulité est vite aux abonnés absents. Il fait feu de tout bois, montre qu’il a de l’imagination à revendre, mais au détriment de l’histoire qui sombre dans le n’importe quoi.
Autant j’apprécie les articles de Plume D. Serves, autant je trouve ses fictions froides, trop travaillées. “Knuth” ne déroge pas à ma perception et je dois vraiment me concentrer pour savoir de quoi cela peut bien parler, tant la forme supplante le fond.
La forme n’est pas en reste dans “Ici” de CM Deiana, mais l’histoire est vraiment bien amenée avec cette confusion engendrée par le prénom Matis. Les échanges via un forum illustrent le mal-être d’une jeune fille qui se voit comme un garçon. Son entourage ne le comprend pas et ne lui est d’aucun réconfort. Que lui reste-t-il ? Ses conversations fragmentées via une interface... Un texte d’une belle sensibilité qui ne peut laisser indifférent.
Mourir n’est pas une fatalité pour Auriane Velten. À deux siècles d’écart, deux femmes échappent par miracle à la mort. Leur cœur ne bat plus, mais elles vivent toujours, ne vieillissent plus, ne connaissent plus les besoins élémentaires. L’une se protège, cherche des bienfaiteurs capables de l’entretenir, alors que l’autre est suicidaire, a un comportement violent qui ne prête pas à conséquences, car elle se relève de tout sans en porter le moindre stigmate. Elles étaient bien sûr faites pour se rencontrer. “37,0°C” alterne de l’une à l’autre, avant la rencontre et la conclusion qui ne manque pas d’élégance.
Saul Pandelakis ne fait pas dans la demi-mesure. Ça défouraille sec, l’adrénaline coule à flots dans ce casse surprenant. Dans cette société future, pas de prison, mais l’effacement. Des souvenirs envolés, ce qui est pire que tout, car qui est-on vraiment ? Qu’est-ce qui a provoqué cette sanction ? Le seul moyen : tenter de retrouver les enregistrements volés, ce à quoi s’attelle une équipe hétéroclite. “Sur tout ce qui bouge” se déroule à cent à l’heure et régale tout du long. En plus, l’histoire prête à réflexion avec ces pans effacés : les punis ne sont pas privés d’une partie de leur futur, mais d’une part de leur passé les définissant. Très bon texte !
Suit un entretien avec Saul Pandelakis, tournant essentiellement autour de son roman « La séquence Aardtman », pas du tout dans la lignée de la nouvelle au présent sommaire. L’échange présente un auteur intéressant à tout point de vue et introduit bien le dossier sur les robots.
Étudier les robots revient à observer l’humanité sous un autre prisme. Les humains ont créé les robots ou bots, devenant par là leur créateur et s’élevant ainsi à un statut quasi divin. Pourtant leurs rejetons sont appelés à leur survivre, car mieux adaptés, plus résistants. Et puis leur empreinte écologique est bien moindre que celles des humains, même si elle n’est pas neutre. Trois articles signés respectivement Plume D. Serves, Léa Fizzala et Pauline J. Bhutia donnent un éclairage instructif sur les robots et nous, à travers plusieurs thématiques.
Le lecteur a aussi droit à cinq seconds accessits au Prix Alain Le Bussy 2022 qui se révèle décidément un réservoir important de nouvelles pour « Géante Rouge » et « Galaxies ».
“Amrita™” de Michelle Labeeu se remarque plus par la description de la société indienne que par le récit aux rebondissements dramatiques forcés. Il y a pourtant de l’idée avec cette immortalité à portée de pilule, mais tout ce qui est rajouté à côté (volonté de redevenir un enfant, mari qui se manifeste à nouveau...) gâche l’ensemble qui tire en longueur.
Avec “Lotka-Volterra”, Jonathan Penglin livre un texte bien dans l’air du temps. Le réchauffement climatique a décimé la population mondiale, mais certains ont survécu, tentant de trouver des solutions pour cultiver à nouveau la terre. Deux modèles de société cohabitent pour rêver d’un futur. À travers deux personnages, l’auteur présente très bien les problématiques de cette époque. Inquiétant par bien des facettes, mais porteur d’espoir dans la prise de conscience.
Arami décrit une façon originale de punir les coupables d’actes violents. Pas de peine de prison, mais l’“Héritage”, c’est-à-dire que la souffrance vécue par la victime est reportée dans l’esprit du coupable, condamné ainsi à subir la portée de ses actes. Pas étonnant que certains préfèrent l’enfermement. Efficace !
L’humain est un loup pour lui-même et quand il a besoin de quelque chose, se servir par la force est souvent la solution. Un vaisseau arrive de manière tonitruante sur la planète Arcturus, les militaires font tout de suite étalage de leurs muscles au grand désespoir de Dame Jessica, chargée de négocier avec ceux qui ont fui la Terre voilà bien longtemps. Dans “Prédation”, Thierry Faivre oscille entre douceur et menace. L’armée et les civils n’ont pas la même façon de traiter le problème. Une nouvelle plaisante qui se démarque des autres par son terrain d’action.
Michèle Laframboise nous ramène sur Terre où des individus peu scrupuleux cherchent toujours le profit, ignorant le danger que leur volonté de toujours plus, toujours plus loin fait courir à l’humanité. Des idéalistes œuvrent pour le bien commun, une source d’énergie pour tout le monde, mais d’autres détournent comme souvent leur invention pour leur seul profit. “Le coucou de Gutenberg” fait froid dans le dos, et d’autant plus, quand on réfléchit à ce qui existe déjà. En plus de la problématique globale se rajoute l’expédition au cœur du magma posant un cas de conscience intéressant. Une très belle nouvelle !
Et ce numéro s’achève sur une flopée de Pépins plus ou moins inspirés, il faut bien l’avouer.
Ce « Géante Rouge » offre dix nouvelles plus ou moins intéressantes, mais dans l’essentiel, elles s’avèrent plaisantes à lire. L’avenir de la planète et de la société s’invite à plus d’une reprise comme un incontournable, un sujet inépuisable d’inquiétude, une fatalité avec laquelle il faudra cohabiter. L’entretien de Saul Pandelakis donne un aperçu de l’auteur bien différent de ce que sa nouvelle laissait présager. Les articles sur les robots apportent une vision originale du thème.
Un bon cru 2022 qui n’hésite pas à bousculer les lecteurs comme Pauline J. Bhutia l’écrivait en préambule.
Titre : Géante Rouge
Numéro : 30
Directeur de publication : Pierre Gévart
Rédactrice en chef : Pauline J. Bhutia
Couverture : Ariana Roshan
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, entretiens...
Site Internet : Géante Rouge
Dépôt légal : décembre 2022
ISSN : 1778-011X
N° ISBN : 9782376251712
Dimensions (en cm) : 13,3 x 21,1
Pages : 192
Prix : 11€
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