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Horrorstör
Grady Hendrix
Milan, et demi, roman (USA), horreur, 235 pages, août 2015, 19€

Amy déteste son job. Elle travaille dans un magasin Orsk, copie conforme d’Ikea (mais made in USA). Alors que l’équipe est sous tension à l’annonce d’une inspection, Basil, le manager, demande à Amy et Ruth Ann, une caissière, de rester de nuit pour lever le voile sur certaines dégradations commises dans le magasin avant l’ouverture.
Tout ne va pas bien se passer. Les premiers frissons ne sont dus qu’à Matt et Trinity, deux collègues qui sont persuadés que le magasin est hanté et veulent filmer des preuves à la façon des émissions de chasseurs de fantômes. D’après Matt, sur le site s’élevait au XIXe siècle une prison panoptique de sinistre réputation.
Une séance de spiritisme tourne mal et voilà Carl, un SDF qui voulait dormir au chaud, possédé par l’ancien gardien de la prison, un psychopathe qui pensait rééduquer les prisonniers par un labeur sans fin.



Auteur d’une flopée de textes humoristiques, Grady Hendrix signe ici un texte grinçant à souhait, où il met en parallèle les mécanismes psychiques du marketing contemporain et les méthodes terrifiantes de rééducation mentale expérimentées en milieu carcéral. Comme le fait remarquer Matt à Amy, les deux sont assez proches : les grands magasins de mobilier en kit, avec leur parcours obligé à travers les différents espaces mis en scène, les dépôts stratégiques d’achats impulsifs, leur communication lénifiante, ont mis en place une stratégie très efficace pour pousser à l’achat, voire pour attirer des flâneurs qui finiront par ne pas repartir les mains vides. En France, depuis longtemps déjà, des humoristes comme Gad Elmaleh ou Sellig se sont moqués de ce modèle qui rend fou le visiteur un tant soit peu conscient de ce qu’on l’oblige à subir, au contraire du consommateur bovin qui avance en suivant les flèches jusqu’à l’abatt... la caisse.
Amy est de cette trempe, et c’est pour cela qu’elle veut partir. La prime alléchante que lui promet Basil réglerait quelques soucis et permettrait de tourner la page. Elle ne veut pas laisser Ruth Ann, vingt-cinq ans d’Orsk, toute seule. Aussi elle ravale sa colère contre Basil, qui est tout ce qu’elle n’est pas : un brave manager, qui récite le code d’Orsk par cœur.

Si les premières manifestations étranges semblent potaches, très vite on se retrouve confronté au surnaturel. Des graffitis étranges et angoissants apparaissent dans les toilettes. Le rationalisme de Basil s’oppose à la surexcitation de Trinity, la geekette qui se rêve déjà star de son émission de paranormal. Matt est pour sa part plus mesuré, et souhaite établir des relevés chiffrés, des preuves solides. C’est lui qui a fait des recherches sur la prison panoptique, et c’est au travers de ce personnage que l’auteur transmet l’essentiel de ses connaissances en psychologie des masses.

Vient un moment où les choses dérapent franchement, les lumières s’éteignent, et l’univers angoissant du magasin vide se retrouve noyé dans le souvenir spectral de la prison. On est dans du fantastique horrifique de très bonne qualité, bien terrifiant, avec une légion de prisonniers fantômes qui déferle pour happer les vivants, condamnés comme eux au labeur éternel.

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L’aspect historique des prisons panoptiques, les théories de rééducation par le travail machinal abrutissant font un très bon écho au monde contemporain du travail en grand magasin, avec son règlement intérieur au vernis lénifiant, brodant sur les thèmes de la famille : Orsk est partout chez vous, vous êtes chez vous chez Orsk. L’auteur a parfaitement assimilé toute cette comm’ très efficace des grandes enseignes, et nous en montre ses ravages de l’intérieur, avec des employés qui ne pensent plus par eux-mêmes ou qui font du règlement une Loi dans la loi. Des employés qui cachent derrière leur sourire forcé et leur uniforme leur vie privée, leurs faiblesses, et que cette épreuve va durablement souder, les obligeant à porter un autre regard sur les collègues. Enfin, s’ils en sortent vivants...
Avec Amy, c’est un très beau portrait de battante qu’on découvre, et l’employée pâlotte du début, la ratée au bout du rouleau va, cette nuit, refuser d’échouer une fois de plus, refuser d’abandonner ses collègues et ses amis, jusqu’à devoir choisir entre eux, sa santé mentale et sa peau. Tous les ingrédients d’une bonne fiction d’horreur sont là, et la recette est exécuté à la perfection, remportant tous mes suffrages alors que je suis loin d’être un fan du genre.

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Mais au-delà d’un très bon roman horrifique, c’est le travail éditorial qu’il faut saluer : l’ouvrage ressemble très pour trait à un catalogue (on a longtemps écrit que le catalogue Ikea était le deuxième livre le plus lu dans le monde après la Bible). Les têtes de chapitres reprennent des descriptifs de produits, avec tout le blabla qui va avec. Mais soyez vigilants, les produits... évoluent avec l’intrigue, les placards laissant la place à des instruments de torture au nom tout aussi pseudo-scandinave. On appréciera le souci du détail pour faire de l’objet-livre un élément supplémentaire d’immersion.

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3e de couv - le plan de la prison

Dans un monde où le livre est devenu un produit standardisé, c’est un plaisir de lire un ouvrage qui associe si bien fond et forme, pastichant son support et attaquant si intelligemment son sujet, le tout dans un roman haletant et terrifiant. Alors oui, il date un peu (2015), et Milan semble avoir fermé sa collection adulte Milan et demi, mais on le trouve encore en bibliothèque ou d’occasion sur les librairies en ligne.
Faites-vous un beau cadeau, qui changera votre vie, et votre façon de regarder les magasins de meubles.


Titre : Horrorstör (Horrorstör, 2014)
Auteur : Grady Hendrix
Traduction de l’américain (USA) : Amélie Sarn
Illustrations intérieures / design : Andie Reid, Michael Rogalski,
Couverture : Christine Ferrara
Éditeur : Milan
Collection : Milan et demi
Site Internet : page roman (site éditeur) (HS à cette date)
Pages : 234
Format (en cm) : 22 x 19 x 1,5
Dépôt légal : août 2015
ISBN : 9782745971586
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
11 juillet 2023


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