Cette intégrale a justement pour but de combler les trous et de donner à ces « Galaxiales » leur forme définitive. En introduction, Richard Comballot raconte comment ce projet a été lancé vers 2010. Il est devenu réalité en 2020 quand il a sollicité des auteurs pour la rédaction des nouvelles manquantes. Entre temps, bien des noms prestigieux (Ayerdhal, Roland C. Wagner, Daniel Walther...) ont rejoint les étoiles, ne pouvant apporter leurs mots à l’édifice. Malgré tout, cette intégrale a fière allure : un gros volume avec rabats, l’illustration de couverture reprise d’« Yragaël » de Philippe Druillet et colorisée par Nicolas Fructus. Un livre qui pèse son poids et délivre un maximum de plaisir.
Comme l’explique dans la préface Serge Lehman, Michel Demuth avait “La classe américaine”. Rien à redire, « Les Galaxiales » se rangent aisément aux côtés de l’« Histoire du Futur » de Robert Heinlein et des « Seigneurs de l’Instrumentalité » de Cordwainer Smith. Trente jalons posés à travers 2000 ans dressent cet avenir qui débute en 2020 par une première mission spatiale ratée (“L’été étranger”, la première nouvelle du cycle parue dans le numéro 140 de « Fiction » en juillet 1965). Mais l’humanité ne s’arrête pas à un échec et se lance à la conquête de l’espace. La Terre décline, ses états sont divisés et se déchirent dans des guerres intestines, faisant le jeu de Mars. À partir des années 2070, la transmission de matière permet de s’affranchir des distances une fois qu’un relais est placé sur une planète. L’Église de l’Expansion en est née avec ses premiers martyrs luttant contre l’effet de labyrinthe. Les pouvoirs politiques, économiques et religieux cherchent à asseoir leur domination lors de cette expansion à travers l’espace. Les empires s’effondrent quand les distances s’accroissent et puis fatalement l’humanité croise le chemin des Autres, des êtres qu’elle ne peut comprendre. Cette partie de l’histoire est essentiellement traitée par les auteurs qui ont rejoint le projet. L’humanité lutte sur de nombreux fronts, mais se bat essentiellement contre elle-même, à travers différents empires, ceux qui déclinent et ceux qui prennent de l’importance, les Autres leur échappant, se contentant d’être là. La dernière nouvelle écrite par Michel Demuth et l’avant dernière du cycle, “Yragaël ou la fin des temps”, laisse une impression de décadence, différentes espèces se côtoient sur Fleur-d’Ocre, une planète sans espoir, un terminus sans retour. Jacques Barbéri signe la conclusion des « Galaxiales ». En partant du simple titre, “Le Sceau de Syoïse” et de l’indication « Tentative de Second Empire : règne de Syoïse le Poisson », il a imaginé un tyran élevé quasi au rang de Dieu, l’être à éliminer pour que l’humanité puisse espérer un avenir meilleur. Chaque auteur a dû relever un tel défi : partir d’un titre de la frise chronologique pour écrire une nouvelle s’inscrivant harmonieusement dans ce vaste projet. Le texte est à chaque fois précédé d’un exergue décrivant en quelques phrases et dans les grande ligne la situation générale, avant de se focaliser sur un événement pas forcément prépondérant, mais apportant sa touche de couleur au tableau final. Seul “Sénémyane” d’Ugo Bellagamba interpelle avec une longue introduction suivie d’un poème qui me semble revenir sur ce qui s’est passé précédemment. La forme étonne et c’est surtout l’exergue qui apporte quelque chose à l’ensemble, même si le reste s’apparente à un cri de détresse, à un appel à l’aide. Il est à noter qu’Ugo Bellagamba a aussi achevé “Chanson pour givrer le temps” dont le début a été retrouvé sur le disque dur de Michel Demuth.
Il se dégage de l’ensemble une belle homogénéité, il n’y a pas vraiment d’impression de rupture entre l’œuvre de Michel Demuth et les récits des auteurs invités, à savoir : Jacques Barbéri, Ugo Bellagamba, Olivier Bérenval, Richard Canal, Jean-Jacques Girardot, Christian Léourier, Colin Marchika, Dominique Warfa et Joëlle Wintrebert. Du beau monde qui a su relever un véritable défi ! En effet, en dehors des textes déjà écrits et de la frise chronologique, pas grand-chose sur quoi se baser pour insérer son texte dans la grande histoire du futur made in France. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, comblant les trous laissés par Michel Demuth.
À titre personnel, ma lecture des titres en J’Ai Lu m’avait fasciné, cette vision du futur avec des débuts se déroulant en France, donc chez nous, constitue une de mes grandes expériences de lecture. J’ai relu les nouvelles originales avec le même plaisir, replongeant avec délice dans la prose envoûtante de l’auteur qui m’avait déjà emporté si loin. Cette intégrale me transporte encore plus loin, je redécouvre cette histoire du futur française que je rapproche davantage de celle de Cordwainer Smith que de celle d’Heinlein. Comment oublier certains textes comme “La course de l’oiseau Boum-Boum” ou encore “Haine-lune”... et j’en passe.
Il s’agit de rien de moins qu’un des chefs-d’œuvre de la science-fiction française qui prend là une nouvelle dimension. « Les Galaxiales », l’histoire du futur imaginée par Michel Demuth, trouvent son terme de fort belle manière : un très bel objet et surtout un contenu de haute volée avec des morceaux de bravoure qui ne s’éteindront jamais dans nos esprits. Remettre ce monument sur le devant de la scène tient de l’acte militant salutaire.
Un livre à ne surtout pas manquer.
Titre : Les Galaxiales - L’intégrale
Auteur : Michel Demuth
Sommaire et auteurs de chaque texte :
Le Jeune Homme et les Étoiles…, introduction par Richard COMBALLOT
La Classe américaine, préface par Serge LEHMAN
L’Été étranger, Michel DEMUTH
Les Grands Équipages de lumière, Michel DEMUTH
Gamma-Sud, Michel DEMUTH
Mantes – Voyage par les prés et les bois de France, Michel DEMUTH
Le Fief du félon, Michel DEMUTH
Un rivage bleu, Michel DEMUTH
Aphrodite 2080, Michel DEMUTH
Les Tambours d’Australie, Michel DEMUTH
Haine-Lune, Michel DEMUTH
Relais sur Évidence, Michel DEMUTH
Le Bataillon-Légende, Michel DEMUTH
Castelgéa, Michel DEMUTH
Contact en nadir, Michel DEMUTH
L’Arbre de fureur, Michel DEMUTH
La Course de l’oiseau Boum-Boum, Michel DEMUTH
L’Île aux Alices, Michel DEMUTH
Elle était cruelle…, Michel DEMUTH
Chanson pour givrer le temps, Michel DEMUTH & Ugo BELLAGAMBA
Soleil rouge, soleil blanc, Christian LÉOURIER
Je te vaporise, Colin MARCHIKA
Aux forêts de Céziandre, Olivier BÉRENVAL & Richard CANAL
Herbe Feu, Joëlle WINTREBERT
Chasse en Syrénie, Christian LÉOURIER
Les Médiateurs m’ont envoyé, Michel DEMUTH
Les Hommes-Sœurs d’Hermonville, Dominique WARFA
Sénémyane, Ugo BELLAGAMBA
L’Homme en armes et l’âme en peine, Dominique WARFA
Dans les cryptes du Toucan, Jean-Jacques GIRARDOT
Yragaël ou la Fin des temps, Michel DEMUTH
Le Sceau de Syoïse, Jacques BARBÉRI
Couverture : Philippe Druillet (Colorisation : Nicolas Fructus)
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Kvasar
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 668
Format (en cm) : 15 x 21,9
Dépôt légal : novembre 2022
ISBN : 9782381630670
Prix : 29,90 €
Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr