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Carnum
Christophe Carpentier
Au Diable Vauvert, roman (France), OLNI, 187 pages, aout 2022, 18,50€

Jérôme, chef d’entreprise en pleine retraite et recherche de sens, est abordé par Edwige, chirurgienne, qui lui propose un défi d’une ampleur à le sortir de son apathie : commercialiser de la viande humaine. Car elle y a goûté, cela surpasse tout, le caviar ou le bœuf de Kobe, c’est une vraie expérience, limite une drogue.
Des aspects juridiques au volet éthique, en passant par le business plan, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?



Après l’ubuesque « Homme-canon », Christophe Carpentier récidive avec une nouvelle fable amorale uniquement dialoguée. Il est ici question de consommer de la viande humaine, qui provoque une explosion de sensations à la dégustation. Et pour cela, créer une filière d’approvisionnement, avec des donneurs volontaires dûment indemnisés, et une clientèle, forcément très aisée, car le produit est de luxe. Les deux personnages y apportent toutes les garanties possibles et face à leur discours, la réalité est claire : ce sera(it) un business possible et juteux. Les débuts sont timides, le temps de démarcher la clientèle, mais le produit est addictif.

Christophe Carpentier lève très vite une partie des barrières morales : si les donneurs ne sont pas lésés de l’ablation d’une partie de leur muscle brachial ou fessier, ni physiquement ni économiquement, le seul frein à la consommation est d’ordre psychologique. Et si l’anthropophagie est l’un des derniers tabous, la curiosité, le refus de se plier aux règles font hélas partie du propre de l’homme, et encore plus lorsqu’il s’agit de montrer sa fortune et son pouvoir.

Fondamentalement, l’auteur nous présente une nouvelle drogue, puisque ses consommateurs souffrent de l’accoutumance, qui demande à augmenter les doses, et de l’addiction, avec un sevrage difficile. Je ne veux pas tout révéler de ces 200 courtes pages, mais un couple de clients va trouver comment améliorer le produit et sa consommation, conduisant à un rebondissement final terrifiant, les clés de l’Enfer, le business plan parfait, propre net et sans bavure pour faire légaliser l’anthropophagie. Pour le personnage de Jérôme, poussé par Edwige, ce n’est que finalement qu’un produit de luxe comme un autre. Il y goûtera pour être vraiment conquis et plonger des deux pieds dans cette spirale du trader tellement convaincu qu’il se met des œillères pour ne pas voir ce qui dessert profondément son argumentaire client.

« C’est pas parce qu’on mange de la viande humaine qu’on est de mauvaises personnes. Je pense que les choses sont un petit peu plus compliquées que cela. »

Vous avez adoré (quoique, ce n’est pas le terme) l’excellent « Cadavre exquis » d’Agustina Bazterrica ? « Carnum » pourrait en être la prémisse. Comment l’Humanité pourrait, par un bon plan marketing, outrepasser un tabou ancestral, installer un autre mode de domination d’une part de la population, la plus riche, sur une autre. En filigrane, l’auteur laisse entrevoir les dérives déjà en place : prélèvement sans consentement, mutilations plus ou moins volontaires, marché noir et prix fluctuants, toutes choses que leur solution miracle est censée bannir, mais on connaît l’Homme...

Bien entendu, ce roman théâtral se fait un fervent héraut du véganisme, puisque sa solution est directement inspirée du meilleur argument pour ne plus manger les animaux : pourriez-vous manger votre animal de compagnie ? une bête dont vous auriez pris soin ?

Une nouvelle fois, la forme dialoguée, faiblement soutenue de didascalies, est très percutante. Au lecteur, selon ses inclinaisons, de retransmettre dans les échanges ce qu’il y ressent de gêne, d’aveuglement, de fausseté. Un rendez-vous commercial pour vendre son muscle de fesses est-il aussi impersonnel que la souscription d’un contrat d’assurance quelconque, ou l’achat d’une voiture ? Derrière les tournures froides, lisses, hésitantes ou bancales, on ressent toute la peur, le frisson, l’inconnu... et l’emprise des puissants, de ceux qui peuvent payer et de ceux qui ont besoin de cet argent, qui sont prêts à sacrifier leur propre chair.

Pas plus que « Cadavre exquis », « Carnum » ne laisse indifférent : il provoque au contraire le même malaise, plus fort peut-être car nous ne sommes pas là dans de la SF « lointaine », à une révolution sociétale, mais dans l’immédiat, en 2022, en pleines crises sanitaires, sociales et climatique, avec une explosion des inégalités et un quotidien tellement envahi de complots et fake news que l’anthropophagie pourrait fleurir en tendances sur les réseaux sociaux que la grande majorité hausserait à peine un sourcil.
La littérature doit choquer et faire réfléchir. « Carnum » remplit totalement cette mission.


Titre : Carnum
Auteur : Christophe Carpentier
Couverture : Olivier Fontvieille
Éditeur : Au Diable Vauvert
Collection : Littérature française
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 187
Format (en cm) : 20 x 13 x 2
Dépôt légal : août 2022
ISBN : 9791030705560
Prix : 18,50 €



Nicolas Soffray
5 novembre 2022


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