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Age de la Folie (l’), tome 2 : Le Problème avec la Paix
Joe Abercrombie
Bragelonne, roman (Grande-Bretagne), fantasy, 620 pages, décembre 2021, 25€

Orso monte sur le trône après le décès fort surprenant de son père. Déjà échaudé par ses tentatives en tant que prince, il rechigne à mettre les doigts dans l’engrenage du pouvoir, ou alors pour briser ce qu’il pourra...
Savine, en plein revers de fortune et avec un polichinelle dans le tiroir, est poussé à épouser Leo dan Brock par leurs deux mères respectives. La Lionne espère ainsi que son héritage ne sera pas mis à bas par la naïveté de son fils. Et pour Savine, c’est l’occasion de se refaire une fortune et une réputation loin de la capitale.
Et comme la paix est d’un ennui mortel, rien de mieux qu’une rébellion pour réveiller tout le monde. Leo, manipulé par les nobles du conseil, interpelle le nouveau roi, les mettant tous deux en porte-à-faux. Pétri d’idéaux mais aveugle au jeu politique, Leo va déclencher une révolte qui ne pourra se terminer que sur un champ de bataille.



(Relire la chronique d’« Un Soupçon de Haine »)

Dans ce second tome, Joe Abercrombie place encore la barre très haut, mais ne nous le dit pas. Comme toujours, son style direct, au plus près des hommes, rois comme bidasses, avec leurs petites misères comme leurs grands idéaux, nous permet de voir l’intrigue se jouer à plusieurs niveaux.
Orso n’est que modérément dupe : le mage Bayaz n’est pas étranger à son accession au trône, et la longévité de ces bêtes-là nous laisse bien comprendre qu’ils ont la main sur la politique de l’Empire depuis des siècles. Le monarque n’en demeure pas moins décidé à foutre un coup de pied dans la fourmilière, en calmant les ambitions de certains. Une accusation de viol et de meurtre est l’occasion de prouver que nul parmi la noblesse n’est à l’abri de l’épée de la justice.
Hélas, le jeu est pipé, car le lecteur découvre en parallèle comment le Conseil Public, et Lord Isher, se tient prêt à instrumentaliser la décision du roi, quelle qu’elle soit. Abercrombie poursuit sur le thème de cette trilogie : dénoncer comment les puissants manipulent la loi à leur bénéfice, au mépris et au détriment du bien commun. Il n’est pas ici question de justice, mais de pouvoir.

- Votre Majesté, nous ne sommes pas ici pour mettre un terme à tous les maux du monde.
- Alors, que fichons-nous dans cette pièce ?
- Nous nous efforçons de tirer des bénéfices de ces maux.
(fin du chapitre 1, Tous les maux du monde)

Si on ne le voyait pas se faire manipuler par Isher, le combat de Leo pourrait paraître légitime et juste. Las, on ne voit que se profiler un conflit aussi bref que violent, le choc de l’ancien et du nouveau monde, au résultat dévastateur quel qu’il soit. D’autres manœuvres politiques viennent attiser les braises du populisme, quand les uns crient “patriotisme” et les autres hurlent “trahison” : l’Union, cet agglomérat de peuples, est-il capable d’imposer à des peuples si longtemps antagonistes de vivre ensemble ? Est-il capable d’encaisser la charge d’idéalisme du Jeune Lion ? Est-il capable d’encaisser les troupes de Stour Ténèbres ?
Ce n’est qu’une question de troupes, donc d’argent, et comme Bayaz le confirme, la banque Valint et Beck est avec eux. Entérinant par ces quelques mots la dépossession du pouvoir royal au profit des banquiers, d’une banque qu’on devine aux mains du mage, jusque dans le domaine de la défense de la nation.
Alors oui, même si on apprécie de plus en plus Orso, qui se démène de son mieux avec cette couronne dont il n’a pas voulu, on en vient à espérer que ce petit morveux imbécile de Leo, avec sa patte esquintée, réussisse son coup, renverse la table, pour mettre moins pire que les mages à la tête de l’Union. Mais c’est un espoir vain, car on devine déjà que les fauves vainqueurs se battraient pour déchiqueter la carcasse.

En amont du conflit qui gronde (et qui éclatera, soyez rassuré, vous aurez votre bataille, avec son flot de sang, de merde et de larmes), on appréciera de suivre Savine dans le Nord. La marchande, propulsée duchesse (à défaut de reine), découvre un pays fruste mais plein de possibilité, et elle entend bien le faire basculer dans la modernité, et restaurer sa fortune par la même occasion, imposant contrat et taxes là où certains droits avaient été scellés d’une simple poignée de mains des générations plus tôt. Elle remplace des abus individuels par le pouvoir de l’état, rétablissant un semblant de justice fiscale, et ce faisant, devenant l’ennemie des marchands dont elle faisait partie jusqu’alors.

On n’oublie pas Rikke, qui doit dompter sa Vue Longue, et qui part sur un chemin mystique, jusqu’à se confronter à un choix drastique. Elle en reviendra transfigurée, son corps de gamine marqué par les épreuves, et son innocence (ou ce qu’il en restait) partie en fumée.

Enfin, quelques mots sur l’homosexualité latente de Leo, qui dès le tome précédent éprouvait quelque trouble à côtoyer Jurand. Si le Jeune Lion se découvre un goût pour les gifles après son mariage, il a beaucoup plus de mal à accepter que son ami n’aime pas les femmes. En quelques pages, on voit le jeune général idéaliste basculer dans un mutisme profond, totalement hermétique et conservateur sur ce sujet-là, quand bien même Jurand n’a jamais rien tenté.

Un roman de Joe Abercrombie, c’est comme un bon gâteau (ou mieux, un flan pâtissier). On le regarde de loin, on se dit que c’est trop gros, qu’on va prendre le temps de le savourer, petit bout par petit bout, et on se retrouve à la moitié sans s’en rendre compte. Et tant qu’à faire, autant le finir... ces 620 pages, finement tranchées en chapitres assez courts, se dévorent en quelques jours, par pure gourmandise. Par la magie des mots, souvent crus, des situations simples, parfois violentes, tantôt cocasses, Abercrombie est le mage de son univers, il manipule ses protagonistes dans un dessein qui lui est propre, il les pousse dans le meilleur et le pire de ce qu’ils ont à donner, guidés par leurs choix, avec toutes les conséquences que cela entraînera.


Titre : Le problème avec la paix (the trouble with peace, 2020)
Série : l’âge de la Folie, tome 2
Auteur : Joe Abercrombie
Traduction de l’anglais (G-B) : Jean-Claude Mallé
Couverture : Didier Graffet / Shuttershock / Fabrice Borio
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 620
Format (en cm) : 24 x 15,5 x 5
Dépôt légal : décembre 2021
ISBN : 9791028112202
Prix : 25 €



Nicolas Soffray
4 novembre 2022


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