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Carnets de l’apothicaire (Les), tome 1
Natsu Hyuuga
Lumen, roman (Japon), complot à la cour, 634 pages, aout 2022, 17€

Mao Mao a été enlevée et vendue comme servante à la cour impériale. La jeune femme entend parler de l’état de santé des concubines favorites de l’empereur et de leurs bébés, et, sûre de ne pas être écoutée, laisse un message leur ordonnant de cesser d’utiliser la poudre au plomb pour leur maquillage, qui les empoisonne ainsi que leur enfant. Jinshi, le jeune et très bel eunuque en charge de l’intendance de la Cour Intérieure, remonte sa piste. Bien décidé à employer le savoir et l’intelligence de Mao Mao pour contrer les complots contre les enfants de l’empereur, il s’attache les services de la jeune apothicaire, l’envoyant seconder les dames de compagnie des favorites.



Publié sur l’équivalent de Wattpad au Japon en 2011, « Les Carnets de l’Apothicaire » a rencontré un grand succès, conduisant à une édition en light novel puis en volume relié dès 2014. Déclinées en manga en 2017, les aventures de Mao Mao sont d’abord arrivées en France chez les éditions Ki-oon en 2021.
(retrouvez la chronique du tome 1, tome 2, tome 3, tome 4, tome 5, tome 6...)

On se serait attendu à découvrir le roman chez Ynnis, mais c’est Lumen qui nous offre un très bel et épais volume de 630 pages, enrichi d’un cahier d’illustrations couleur et de quelques planches noir et blanc pleine page.

Si vous avez déjà lu le manga adapté par Itsuki Nanao et dessiné par Nekokurage, le roman ne vous apprendra hélas rien de plus : n’espérez pas trouver une allusion plus limpide, un indice plus explicite. Le duo de mangakas a fait un excellent travail, sans rien ajouter ni retrancher à un matériau littéraire qui se prêtait parfaitement au découpage par chapitres. Les deux traductrices du présent volumes ont visiblement pris en compte le manga : outre le respect de la graphie des noms, on retrouve des expressions marquantes (comme le « bec sucré »).
Ce premier tome du roman couvre les 8 premiers volumes sur 9 parus à cette date.

Et si vous ne l’avez pas lu, vous savourerez les relations tendues entre la jeune femme et l’intendant trop beau, qui provoque nombre de quiproquos, vous sourirez à sa propension à goûter poisons et herbes rares (un intérêt purement scientifique), et vous apprécierez les mystères qui agitent la cour, et leur succession peut-être pas si aléatoire qu’il y paraît. Mao Mao est une enquêtrice aussi taiseuse et asociale que Sherlock Holmes, qui n’hésite pas à pointer les faits sous le nez des hommes de pouvoir (Jinshi, son assistant ou le chef de la garde) en leur laissant trouver la solution comme des grands. Certains passages, assez allusifs, peuvent parfois être frustrants pour le lecteur qui se sentira un peu bête. Les passages concernant une sexualité trop explicites sont (dans les deux œuvres) de cet ordre, et ce sera à vous de deviner ce que Mao Mao peut conseiller à Dame Lifa pour reconquérir les faveurs de l’empereur, ou ce que contiennent les livres qu’elle apporte aux quatre favorites... Un grand moment de rire !

A la lecture de cet épais volume, on ressent bien le découpage en épisodes de la publication originale, un rythme feuilletonnesque que l’auteur maîtrise bien, et qui nous est plus étranger en France. Le style est direct, parfois assez sec, et va à l’essentiel en nous laissant le soin de combler les trous. Certains effets de style peuvent gêner, comme l’intro immersive en plein suspense avant de reprendre l’histoire au début, ou les fréquentes redites sur certains personnages et leurs relations. Mao Mao est par exemple totalement étanche au charme androgyne de Jinshi, et elle le voit comme une limace ou un insecte peu ragoûtant, et cela nous est redit quasi à chaque fois.
Elle est aussi solitaire et soupe-au-lait qu’il est stratège et séducteur, mais en présence l’un de l’autre leurs caractères s’estompent parfois, mais ils sont issus de deux mondes si différents que toutes les tentatives de rapprochement provoquées par l’auteur se soldent par une pirouette humoristique. Lui ne comprend pas son refus d’accéder à plus de confort, d’abuser un peu de sa place, et de son côté Mao Mao n’arrive pas à cerner les raisons qui l’ont poussé à devenir eunuque, ni par quel moyen un si jeune éphèbe a été nommé à un poste si élevé.

L’auteur est assez avare de descriptions. Sa cour impériale est imaginaire (ni chinoise ni japonaise) mais pétrie de l’iconographie post-médiévale asiatique. Toute l’action se déroule donc entre la Cour du palais et la ville autour, où Mao Mao retourne parfois voir son père et sa « famille d’adoption », des courtisanes d’une maison de plaisirs. Les personnages sont un peu plus détaillés, carrure, beauté, allure.

Enfin, on préserve le mystère sur Mao Mao, qui ne révèlera les détails de son enfance qu’au compte-gouttes : son éducation parmi les courtisanes, son père apothicaire, sa propension à tester sur elle-même les substances. Jusqu’à l’arrivée de Lacan, un haut gradé qui aiguille Jinshi sur d’étranges cas, et que l’héroïne bat froid, voire s’efforce de ne pas croiser...

Du coup, au rythme actuel de parution des mangas, on espère qu’un second volume ne tardera pas, pour avoir la primauté de l’œuvre originale, et commencer à lever le voile sur l’identité de Jinshi, entre autres.

Un bon roman, bien épais, qui ravira les lecteurs de manga à la structure similaire, mais une toute petite déception pour ceux qui ont d’abord lu l’adaptation, faute d’y trouver plus à se mettre sous la dent.


Titre : Les carnets de l’apothicaire (kusuriya no hitorigoto, 2014)
Série : tome 1
Auteur : Natsu Hyuuga
Traduction du japonais (Japon) : Laureline Chaplain et Ombeline Marchon
Couverture et illustrations intérieures : Touko Shino
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 634
Format (en cm) : 23 x 14 x 5
Dépôt légal : août 2022
ISBN : 9782371023376
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
16 septembre 2022


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