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Trilogie de Pandaemon (La), tome 1 : La Prophétie de l’Arbre
Christophe Misraki
Fleuve, Outrefleuve, roman (France), fantasy, 600 pages, février 2021, 22,90€

Il y a des siècles, les forces du Bien ont repoussé les Malévolents hors du monde. Puis l’Entité fut insufflée aux sept Suzerains des provinces de Pormiride. Cette puissance magique, assortie de pouvoirs subtils, assura la stabilité des royaumes et la dynastie, car aux 23 ans de l’Héritier, elle lui est transmise.
Mais à Erceph se préparait un cas sans précédent, annoncé par d’obscures prophéties : le comte Portor a deux filles, et c’est son aînée Sarah qui va lui succéder. Tout le monde, des traditionalistes aux fanatiques religieux, ne voit pas d’un bon œil une femme au pouvoir. Envoyée prouver sa valeur dans une petite escarmouche contre les Quars, elle est tuée, et son cœur, qui devait accueillir l’Entité, est volé par un mage quar.
C’est le début d’une grande instabilité.



« La Prophétie de l’Arbre » est le premier roman de Christophe Misraki. “Fin connaisseur des littératures de l’Imaginaire, il y a travaillé plus de dix ans”, nous dit la 4e de couverture et “il nous propose un monde ambitieux à la hauteur des plus grands succès du genre”.
Alors, oui, sans nul doute, l’ambition est à ce niveau. Le résultat, hélas, en est très très loin.

On a un monde gigantesque, avec carte de rigueur, peuplé d’hommes et de créatures variées, qui s’ignorent ou traitent politiquement. Enfin je crois. Sorti d’Erceph, c’est un peu le flou dans les autres royaumes. Les domaines des créatures « originales » ne nous seront qu’à peine présentés, tout comme lesdites créatures. Certains vivent sous l’eau et ont des écailles, les Toua-Elar ont de la fourrure, courent à quatre pattes et peuvent tisser des cocons avec leur salive, et c’est tout ce que j’en sais. Ce n’est guère mieux pour les Diables, les yeenars, nermarks et daraïs, principaux méchants. Le livre bénéficie d’un index des personnages plus que nécessaire, mais hélas bien pauvre en informations pratiques.
A la cour d’Erceph, où rentre le commando endeuillé mené par Sarah, on va découvrir une flopée de personnages mal introduits, aux patronymes difficiles à retenir et propices à la confusion (deux membres du conseil ont le même prénom !).

Passons outre : dans les faits, Kern, l’ex-fiancé de Sarah, déprime et culpabilise de ne pas l’avoir protégée. Eden Portor, le Comte, chasse son conseil qui a voté cette épreuve mortelle, réduit son cercle à son Utilisatrice (sa magicienne) et un ou deux fidèles, et sombre dans une spirale paranoïaque. Kern, qui s’est fait remonter les bretelles par Massili Og’Turuk, une paysanne/courtisane/voleuse qui voudrait avoir un Destin, décide de reformer le commando de Sarah car, après quelques recherches auprès de l’Utilisatrice, ils ont un vague soupçon que les Quars ont volé le cœur pour s’emparer de l’Entité. Et que bref il faut retourner le chercher.

Autour de cela, pour varier les chapitres où rien ne se passe, les autres provinces, surtout les méchants, répondent à l’appel des Diables, s’allient (avec une cérémonie très protocolaire) et décident de partir en guerre de manière coordonnée. Ils ont l’effet de surprise, la force du nombre : c’est un massacre.
Pendant ce temps, le commando, après deux rebondissements basiques, se retrouve chez des gnomes magiques, confrontés à un Arbre qui contient captives des forces du Mal, et Kern est apparemment l’Elu attendu pour les bannir à tout jamais.
Très très original.

Mais passe encore. Le principal souci de ce roman tient à l’écriture. C’est affreusement mal écrit.
Sorti d’Eden, Layah (la sœur de Sarah), Kern et éventuellement Massili, les personnages ne sont pas plus épais que leur rôle, cantonnés à un nom, un titre, une fonction. L’onomastique générale laisse imaginer l’emploi d’un générateur de noms aléatoires. On ne s’attache à aucun, on ne connait pas leur visage, tant les descriptions des héros, humains ou créatures sont succintes pour ne pas dire absentes.
Même les personnages principaux ne nous incitent pas à l’empathie plus que cela. On peut s’intéresser au refus de Layah de marcher dans les pas de sa sœur, d’endosser un rôle auquel elle n’a pas été préparée, mais si tout cela s’exprime sur 20 pages, c’est bien le diable... Idem pour Massili, dont j’ai brossé le profil plus haut, ça ne va guère plus loin. Au mieux, dans les derniers chapitres, son pouvoir de voir les gnomes... non, en fait, c’est juste technique. Si, elle est un peu amoureuse de Kern, quand même. Mais elle lui laisse le temps, elle ne veut pas supplanter Sarah.
Proposer des factions politiques, religieuses variées, c’est bien, les présenter, c’est mieux. Alors que les Quars ouvrent le prologue, je ne sais pas à la fin si c’est une secte, une race, un clan... Idem pour les diverses Obédiances : une fois qu’on a compris, bien avant les personnages, laquelle était encore plus fanatique que les autres au point de commanditer la mort de Sarah, eh bien, exit, on ne les voit plus !

A vouloir faire trop, trop « Game of thrones », l’auteur nous assène une multitude d’informations, souvent inutiles, toujours de façon maladroite. La règle du « show, don’t tell » a dû partir en vacances, je crois. Des personnages débitent du background en voix off, étalant une science tombée du ciel sans aucune autre raison que nous renseigner, nous lecteur, tout de suite au cas où on n’ait pas toutes les cartes en main. On se sent comme un joueur de Uno qui s’est pris tous les +4 de la table d’affilée.

On sent parfois l’envie de bien faire, de porter un message sur un personnage (l’ambition du conseiller aquatique, le courage de l’esclave favorite à qui son maître va proposer de devenir reine...) mais c’est peu sur 600 pages, amené avec de gros sabots et archi-revu ailleurs en cent fois mieux.

Ensuite, sur l’écriture proprement dite, c’est lourd, lourd. Les pages sont souvent noires de textes, les dialogues sont rarement naturels ou pas en adéquation avec l’atmosphère (l’horrible scène où un savant Diable fait la visite de son labo à ses supérieurs et une huile venue inspecter est à la fois totalement inutile et directement transposable dans un blockbuster d’action américain). Régulièrement, l’auteur met, dans la narration, des expressions entre guillemets (on le voit presque les faire avec les doigts) qui trahissent une incapacité à transcrire correctement sa pensée de façon littéraire. Enfin, dans la mise en forme, est-ce à imputer à l’éditeur ? mais le texte est fréquemment coupé de sauts de lignes, tous les deux-trois paragraphes, alors qu’on reste dans la même unité de temps et de lieu. Cela saccade la scène sans aucune raison. Un avantage : vous pouvez lire plus rapidement en diagonale. Et c’est heureux, les pages de blabla, vides, sans intérêt ni enjeu défilent plus vite.

Alors que le tome 2 est prévu pour septembre 2022, j’ai voulu rattraper mon retard et me plonger dans « la nouvelle voix de la fantasy française ». J’y ai passé une semaine, déterminé à aller jusqu’au bout, mais en vain : j’ignore à qui parle cette nouvelle voix, mais il ou elle n’a probablement rien lu depuis 50 ans.

C’est plat, bateau, confus, inintéressant. Si la structure en courts chapitres panoptiques permet de suivre la situation dans les deux camps, la surabondance d’informations superflues et le manque d’enjeux nous condamnent à regarder des personnages dont nous ignorons à peu près tout - et dont nous ne nous soucions pas - s’agiter sans grand autre effet que nous montrer qu’il se passe des choses qui... font que ça bouge, comme une fourmilière.

Christophe Misraki a sans doute mis plus de dix ans à construire son univers. Hélas, il a pendant ce temps complètement oublié d’étudier ce qui fait l’intérêt d’une histoire, et comment on le met en œuvre. Je ne saurais trop lui conseiller le classique « Écriture » de Stephen King ou « Comment écrire de la fiction » de Lionel Davoust paru chez Argyll il y a peu. Un spoiler : « J’ai envie de savoir qui sont les personnages, ce qu’il va leur arriver et comment ils vont réagir face aux événements ». Ici, c’est trois non.

J’en oublie hélas certainement. A la vérité, même en admettant le scénario et les ambitions de « La Prophétie de l’Arbre », chaque chapitre mériterait d’être interrogé, pressuré jusqu’à en tirer l’essentiel pour jeter la lourdeur et le superflu.
Je ne m’interroge déjà plus sur le choix de faire mourir d’entrée une héritière porteuse de tant de changements possibles, un choix qu’il aurait pu être plus approprié de faire à la fin d’un premier tome, laissant le temps de découvrir nombre de personnages secondaires, leurs motivations, tout en provoquant un effet dramatique bien plus puissant. Plutôt que faire porter les espoirs par un jeune et beau prince consort, tellement approprié pour contredire le message pseudo-féministe esquissé.

Fuyez. Vous sauverez un arbre.


Titre : La Prophétie de l’arbre
Série : Trilogie de PanDaemon, 1/3
Auteur : Christophe Misraki
Couverture : Benjamin Carré
Éditeur : Fleuve
Collection : Outrefleuve
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 600
Format (en cm) : 22,5 x 15,5 x 4
Dépôt légal : février 2021
ISBN : 9782265155220
Prix : 22,90 €


Bon sang, vous voulez une (nouvelle) voix belle et puissante ? Lisez « La voix de l’Empereur » de Nabil Ouali (2014-2018), trois volumes sidérants au total à peine plus long que ce seul pavé indigeste.


Nicolas Soffray
1er décembre 2022


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