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Enfers
Ismaël Lemonnier
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, 375 pages, juillet 2022, 19,95€


Le jeune Clément Charrier, jusqu’alors membre du SRPJ de Rennes, arrive à Paris désireux de faire ses preuves. À peine sur place, le voilà confronté à une terrifiante scène de crime : dans les catacombes, en position debout, le cadavre d’un homme dont la tête a disparu et a été remplacée par une tête de taureau, soigneusement cousue au tronc. On s’en doute : il ne s’agit pas d’une affaire banale, mais de la première manifestation d’un tueur pervers, sadique, diabolique, qui semble choisir ses victimes au hasard et semble inviter les policiers à un jeu de piste macabre.

Heureusement, Clément Charrier, sous ses allures de freluquet, est un génie à sa manière. Intelligence affûtée et mémoire prodigieuse : rien ne lui échappe. Il sera le premier à réaliser que le tueur met en scène ses victimes en suivant les sept cercles de l’enfer décrits par Dante Alighieri dans « La Divine Comédie ». Peut-être a-t-il lu, même si l’ouvrage n’est pas cité, « Le Cercle de Dante », publié en 2003 par Matthew Pearl, qui mettait en scène un serial killer usant du même modus operandi.

On suit sans déplaisir les étapes rituelles du thriller à serial-killer : la découverte du corps, la description de la mise en scène macabre, le travail de l’étape technique, l’autopsie à l’institut médico-légal au bord de la seine (bâtisse décrite de manière assez semblable dans mille thrillers, comme récemment dans « La Caste des ténèbres » de Ludovic Lancien, les amateurs du genre finiront par s’y sentir un peu chez eux), l’humour noir du médecin légiste, la présentation des personnages annexes, le second cadavre arrivant juste au bon moment pour que la tension ne retombe pas une seconde, les investigateurs qui ressortent en vomissant après avoir vu la scène de crime, les objets-indices dans la bouche d’un cadavre.

Cet enthousiasme à glaner chez ses prédécesseurs tout ce qui marche et à jouer la surenchère pousse l’auteur à la limite de la cohérence en donnant à son tueur deux profils différents, puisque après le jeu de piste conduisant les enquêteurs à la découverte de scènes de crimes, l’assassin fait monter la pression : les indices ne conduisent plus les investigateurs à des cadavres mais induisent un défi supplémentaire en les menant à des individus vivants enfermés ou ligotés dans des mécanismes bientôt fatals. Il y a désormais une chance d’arriver à temps – à condition toutefois d’être suffisamment ingénieux pour désamorcer le piège. Ainsi passe-t-on du serial-killer scénographique avec « installations » façon art contemporain (en plus riche, plus soigné, plus sanglant, et presque aussi horrible), au serial-killer bricoleur à mécanismes (façon Mac Gyver, en tout autant tiré par les cheveux, mais en plus funeste).

Avec ses mises en scène outrancières oscillant entre le macabre et la Grand-Guignol, « Enfers  » marche donc sur les traces de bien des romans et longs métrages du genre. Pour donner un peu de vie et de fraîcheur à son récit, Ismaël Lemonnier utilise la formule, elle aussi éprouvée, du contraste entre deux investigateurs que tout oppose : le jeune Clément Charrier, discret et subtil, mais passablement gaffeur, et son coéquipier Lothar Kessel, une brute épaisse et rentre-dedans, avec lequel il apparaît impossible de s’entendre. Un contraste un peu forcé mais qui fonctionne avec une touche de comique de répétition.

La mémoire prodigieuse de Clément Charrier permet d’insérer ici et là des informations topographiques, historiques, littéraires ou scientifiques destinées à donner un vernis d’érudition à « Enfers  ». Ainsi le lecteur apprendra-t-il, par exemple, ce qu’est un chionosphérophile, et, réalisera-t-il, malgré l’aspect barbare du terme, qu’il en compte sans doute plus d’un dans son entourage. Un aspect qui aurait mérité d’être développé, tout comme bien des scènes d’un récit qui propose des psychologies contrastées mais caricaturales, des dialogues souvent superficiels, et des scènes qui semblent parfois tronquées, comme celles des interrogatoires de suspects, ou celle de l’auteur venant donner une leçon de criminologie aux policiers (car on a aussi un « copycat » romanesque, le tueur ne se basant pas seulement sur Dante mais aussi sur un récit de sérial killer publié sous le pseudonyme … d’Alighieri), des entretiens bien trop brefs et superficiels pour être crédibles, et qui par moments donnent plus l’impression d’avoir affaire à un synopsis qu’à un véritable roman.

Des références multiples à Dante, donc, mais aussi à des métrages contemporains (« Inception  », « Fast and Furious ») pour rester dans l’air du temps, tout comme aux illustres prédécesseurs en matière de tueurs en série (Thomas Harris avec les romans consacrés à Hannibal Lecter ou David Fincher avec « Seven « ). Des prédécesseurs dont Ismaël Lemonnier reprend les codes en cochant une à une les cases à présent convenues du cahier des charges du récit de serial-killer. Fort heureusement, il prend le soin d’éviter une intrigue trop linéaire en multipliant les vraies fausses pistes et fausses fausses pistes, qui ouvriront la porte aux surprises et aux retournements de situation de la dernière partie.

On l’aura compris : avec « Enfers  », le lecteur reste le plus souvent en terrain connu. Les impressions de déjà-vu ou de déjà lu sont trop nombreuses et trop répétitives pour que l’ouvrage reste longtemps en mémoire après avoir été lu. Il faut donc considérer « Enfers  » à la fois comme un premier roman, avec les imperfections qui vont de pair, et comme un thriller bien rythmé, mais très formaté et sans prétention. On le lira comme on lit un roman de plage, ou comme on regarde un bon feuilleton, pour passer un moment sans se surchauffer les neurones, ou pour tuer le temps un jour trop pluvieux.


Titre : Enfers
Auteur : Ismaël Lemonnier
Couverture : R. Pépin / Nastasic / Getty Images
Éditeur : Hugo et Cie
Collection : Hugo Thrillers
Pages : 375
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : juillet 2022
ISBN : 9782755697315
Prix : 19,95 €



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Hilaire Alrune
29 juillet 2022


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