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Passe-Miroir (La), tome 4 : La Tempête des Echos
Christelle Dabos
Gallimard, Folio, roman (France), fantastique, 680 pages, septembre 2021, 9,50€

Une partie de Babel s’est effondrée, déclenchant la panique. Les autorités ordonnent le recensement des étrangers, marqués au front d’un glyphe lumineux, et préparent leur extradition pour réserver l’arche à ses « propres » habitants, au grand dam d’immigrés de longues dates, simples citoyens essentiels mais aussi savants... Ophélie tente d’avertir Hélène et Pollux, en vain. Conformément au plan conçu avec Thorn, elle décide de se faire admettre à l’Observatoire des Déviations, qui semble l’épicentre de l’attention des Lords de LUX. Elle va y découvrir beaucoup de choses sur elle, Eulalie Dilleux et l’Autre, mais à quel prix...



Monumental clap de fin pour « la Passe-Miroir », et conclusion à un paroxysme de noirceur qui font paraître les intrigues de cour du premier volume pour des gentillesses.
Le monde s’écroule, littéralement. Un bout de Babel s’est effondré dans le vide de la mer des nuages. Plus que jamais, il faut remettre la main sur Eulalie Dilleux et arrêter l’Autre. Pour Thorn et Ophélie, cela passe par comprendre la genèse des Esprits de famille et ce choix d’amputer leur mémoire. Tandis que leurs alliés, guidés par Archibald, se mettent en quête de Janus, le dernier Esprit préservé, Ophélie essaie d’éviter d’être renvoyée sur Anima... ou simplement jetée dehors. Suite à la catastrophe, des échos viennent perturber les communications, rendant la navigation hasardeuse. Les gens entassés sur les navires volants sont certainement condamnés à la mort ! mais cela émeut peu Pollux et Hélène, tout deux apparemment encore plus déconnectés des réalités. Ophélie tente d’approcher Lady Septima, la cheffe de l’école qu’elle a infiltrée, et la mère de son ami Octavio. En pure perte. Et Thorn marche sur des oeufs, pour ne pas mettre en danger sa couverture de lord de LUX, acquise à grand coût.

A l’observatoire des déviations, Ophélie avance en terrain inconnu, dans un labo où le personnel muet a concentré tous les imparfaits, les déréglés, les freaks. Ambroise, avec ses membres inversés, y serait à sa place. Ophélie y rencontre Seconde, la sœur d’Octavio, qui produit d’étranges dessins prémonitoires. Par des méthodes variées d’hypnose, de privations de repères, de modifications de ses perceptions, on la pousse dans un chemin proche de la folie. Elle résiste un temps, puisant dans ses retrouvailles avec Thorn la force de tenir. Dans ce contexte, elle a de plus en plus de visions d’Eulalie, des échos de son passé, du grand projet qui a conduit à la création des Esprits de famille. Christelle Dabos avait jusqu’alors saupoudré les indices avec parcimonie, et il faudra encore quelques centaines de pages pour emboîter toutes les pièces d’un projet militaire détournée par Eulalie pour imposer la paix, en s’appuyant sur des gens comme elle. On découvre Dieu sous la forme d’une femme faible de corps, affligée d’un bégaiement et d’une maladresse chroniques, mais d’une intelligence et une volonté redoutables, qui parvient à se reprogrammer pour communiquer avec... l’envers du monde. Difficile de résumer en quelques mots un concept que l’autrice distille au fil des révélations et découvertes de ses héros, encore mal capables d’en saisir les tenants et aboutissants.
A mesure que la lumière se fait sur le passé d’Eulalie, les choses échappent à Thorn et Ophélie. Elle donne à l’Observatoire ce qu’ils veulent, bien malgré elle et sans en mesurer réellement les conséquence. Leur but atteint, les mains qui tirent les ficelles se débarrassent d’eux au milieu du chaos général, les laissant désemparés mais toujours déterminés à arrêter l’Autre, en train de détruire leur monde.

Ces différents rebondissements donnent lieu à de somptueux changements de décors, et des scènes époustouflantes. Les mouvements de foule lors du recensements des étrangers, la panique à l’annonce de leur refoulement de Babel... Le lavage de cerveau dans l’Observatoire s’ajoute à une architecture grandiose, des cathédrales impossibles qui heurtent la logique d’Ophélie, laissant supposer l’usage de certains pouvoirs dès la création de l’institut. Le tout est très cinématographique, et encore une fois, on se plaît à rêver tout cela porté à l’écran (notre imaginaire serait hélas forcément déçu).

A ces monumentaux éléments s’ajoute l’introspection d’Ophélie. Toujours maladroite, d’autant moins maîtresse d’elle-même après cet étrange traitement, elle demeure torturée par la certitude qu’elle est à l’origine de cette apocalypse, puisque c’est elle qui (il y a 2000 pages) fait sortir l’Autre du miroir. Qu’elle est inexplicablement liée à Eulalie Dilleux, au point d’avoir pris son prénom à son arrivée à Babel, d’être assaillie de ses visions, de se trouver tant de points communs avec elle. Christelle Dabos joue avec ses nerfs, et les nôtres, en la laissant échafauder les théories les plus folles... mais le monde est aussi fou, et tout y est possible, avec des Esprits en partie amnésiques, et d’autres protagonistes qui cachent très bien leur jeu. Autre point douloureux pour Ophélie, le diagnostic qu’elle ne pourra avoir d’enfant. Son amour pour Thorn grandit à chaque seconde, et malgré son apparente froideur il lui montre qu’il est réciproque. Et dès leur mariage, il lui a dit ne pas vouloir d’enfant. Mais Ophélie est blessée de ne pas avoir le choix, d’être amputée dans son propre corps, de ne pas pouvoir changer d’avis. Et malgré l’incommensurable tâche qui les occupe, elle aimerait faire cet aveu à Thorn, pour ne pas le porter seul. Mais il apparait plus facile de sauver le monde.

Il y a encore tant à dire, je vais tenter d’être bref. Par sa noirceur, le passage à l’observatoire des déviations est particulièrement violent. On y retrouve les procédés cruels de torture mentale destinée à exacerber les potentiels, chers aux histoires des « X-Men » notamment, avec une réussite quel qu’en soit le prix, et beaucoup d’échecs sur le carreau. Dans ce 4e tome l’autrice jette à bas les derniers lambeaux de douceur qui pouvaient demeurer dans son monde, et abat le mythe d’une société pacifiée, sans conflit. La mascarade de Babel, son vocabulaire non-violent sont balayés par les événements. La religion, l’ambition démiurgique de bâtir un monde meilleur, parfait sont encore violemment battues en brèche, s’avérant le propre carburant de leur échec.

Les échos, au cœur de ce tome, et une grande partie du concept ésotérico-magique à l’origine de la fragmentation du monde peuvent être un peu complexe à suivre, parce que l’autrice nous les présente par le prisme des personnages qui la subissent, et non celle qui l’a créé, faisant un temps cohabiter les eux. La lecture demande un peu de concentration (ou se laisser porter) mais tout cela vient ajouter encore davantage de cohérence et de souci du détail dans un texte d’une grande maitrise.

Pour moi qui ne me suis pas jeté dessus dès sa sortie, j’ai retrouvé avec grand bonheur la richesse du texte, le sabir babélien semé d’anglicismes auquel viennent se rajouter les échos et autres manifestations du bégaiement de l’univers. Ce dernier tome reprend au lendemain de « La mémoire de Babel », mais si ce dernier a pu sembler à certains comme une longue remise sur les rails, l’intensité de l’enchainement des événements de « La Tempête des échos » le rendait plus que nécessaire. Une nouvelle et dernière fois, on applaudit à deux mains, inversées ou non, à la puissance narrative déployée par Christelle Dabos tout autant qu’à la complexité de son intrigue et la densité de son univers. Définitivement, sa « Passe-Miroir » s’inscrit parmi les chefs-d’œuvre de la fantasy.

Terminons par la magnifique couverture de Laurent Gapaillard (allez voir la version HD pour scruter les détails), dont le travail aura contribué à l’identité de la quadrilogie. Gallimard a fait le choix de les conserver, dans une teinte légèrement différente, pour l’édition jeunesse dans la collection Pôle Fiction, tandis qu’Aurélien Police s’est vu confier les couvertures de l’édition Folio. Les deux sont identiques à intérieur, à vous de faire votre choix si vous n’êtes pas encore passé à travers le miroir.


Titre : La Tempête des Echos
Série : La passe-miroir, tome 4/4
Auteur : Christelle Dabos
Couverture : Laurent Gapaillard
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 576
Format (en cm) : 22,5 x 15,5 x 4,2
Dépôt légal : novembre 2019
ISBN : 9782075093866
Prix : 19,90 €
Rééditions poche :
- Jeunesse :
Couverture : Laurent Gapaillard
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Pôle fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 680
Format (en cm) : 18 x 11 x 3,5
Dépôt légal : octobre 2021
ISBN : 9782075160940
Prix : 9,50 €
- « Tous publics »
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Gallimard
Collection : Folio
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 680
Format (en cm) : 18 x 11 x 3,5
Dépôt légal : octobre 2021
ISBN : 9782072937248
Prix : 9,50 €


La Passe-Miroir
1 : Les Fiancés de l’Hiver
2 : Les Disparus du Clairdelune
3 : La Mémoire de Babel
4 : La Tempête des échos


Nicolas Soffray
12 juillet 2022


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