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Chemins de Sanctuaria (Les)
Jeremy Behm
Syros, Hors série, roman (France), fantastique-fantasy, 395 pages, mars 2022, 17,95€

2020. Nora est une collégienne comme tant d’autres. Elle a un petit ami, des amis, un père psy dévoré par son travail, plus de mère, et une passion pour l’écriture encouragée par son prof d’histoire. Le Covid ne rend pas les jours plus roses, mais elle s’y fait. Jusqu’au jour où, à la maison, elle se fait agresser par deux jeunes qui profitaient du confinement pour cambrioler les maisons vides la journée : l’aîné panique et veut s’assurer qu’elle ne les dénoncera pas... Les choses dérapent franchement.
Sur Sancturia, Sylvann est une princesse elfe. Tandis que son père et les archers protègent la frontière de la forêt, un Orc surnommé Masque de Sang attaque leur cité d’Ambreverte avec son armée, tuant la mère de Sylvann et dérobant la pierre du Cœur de Sève. Après un bref deuil, le roi part venger son épouse. Sylvann patiente quelques jours avant de marcher dans ses pas, convaincue de son utilité. Hélas, elle déchante vite. A Havrétoile, camp cosmopolite où elle comptait engager des mercenaires, elle se fait détrousser, et doit son salut à Lin, un magicienne, et Wendell, un voleur beau parleur, qui acceptent de l’aider.



Après le thriller très noir (« Mon ami Arnie » / « Mon ennemi Arnie ») et une petite incursion dans le fantastique pour les plus jeunes (« Metamorphoz »), Jeremy Behm nous propose ici... de la fantasy ? C’est ce qu’on pourrait se dire, à examiner la 4e de couverture ou lire le premier chapitre consacré à Sylvann. De la fantasy jeunesse, très classique, avec des elfes dans leur forêt, et de vilains Orcs qui viennent les massacrer, un roi inconsolable pétri de vengeance mais refusant que sa fille suive sa voie.
Et en même temps, on découvre Nora, collégienne durant la crise du Covid-19, son petit train-train avec ses copains, son prof d’histoire chelou (anglais et moins coincé que les autres), ses préoccupations d’ado, lectures, séries Netflix...
Bon, le lecteur un peu mature fera rapidement certaines connexions : les deux héroïnes n’ont plus leur mère, leur père est absent... Mais c’est à peu près tout... Nora écrit de la fantasy, encouragée par Mr Martin, donc peut-être sont-elles la même personne, Nora se projetant dans son héroïne ?

La trame fantasy est très classique, riche des tropes et des éléments du jeu de rôle, l’indispensable carte du monde est à l’avenant, et si on n’avait pas confiance dans le talent déjà démontré par l’auteur, on s’interrogerait sur la simplicité du scénario et la linéarité de l’histoire. Mais voilà que « dans notre monde », chez Nora, les choses dérapent sévère : on adopte un nouveau point de vue, celui du jeune Rayan et de Thibaud, dit « Tibbs », l’aîné qui l’a pris sous son aile plus jeune. Mais Tibbs a grandi en foyer, ne croit plus en grand-chose, et l’entraîne avec lui dans un cambriolage soit-disant sans risque. Obligés de vider les lieux fissa, dans la rue Tibbs croise le regard de Nora, et panique. Se voit déjà en prison. Rayan fait ce qu’il peut pour l’empêcher, Tibbs poursuit la jeune fille dans sa chambre. Dans la bagarre, Nora envisage le pire (sans que l’auteur ne le nomme : le viol ou la mort ?) et... s’enfuit, au plus profond d’elle-même.

Et c’est à partir de là que le roman achève de prendre un tour radicalement différent de la trame « destins croisés » un rien trop classique. Je vais essayer de ne pas trop en dire : d’un côté, la quête de Sylvann avance, au fil de grands passages obligés des quêtes de fantasy, dignes de David Eddings et des auteurs de sa génération. On rit de la troupe de nains qui va reconquérir son royaume occupé par les orcs (coucou Tolkien, au passage), et de son chef qui tombe amoureux de la froide et hautaine magicienne, tandis que la jeune elfe s’éprend du roublard Wendell, pourtant un aimant à ennuis. Bien des dangers et des monstres les attendent sur le chemin, et les plus grands marcheront en terrain connu. On ravive de vieilles images, comme les « Légendes des contrées oubliées » de Chevalier et Ségur, ou le « Willow » de Ron Howard avec Warwick Davis (qui revient en série sur Disney+)

De l’autre, la branche semble s’écarter du tronc de nos hypothèses. Eric, le père de Nora, et Florian, son petit ami, apprennent à se connaître, prennent soin de la jeune fille, cherchent à la sortir de son traumatisme. Tout psychiatre clinicien, Eric est dépassé, se remet en question, s’en veut d’avoir délaissé sa fille pour sa carrière. On suit aussi Rayan, rongé par la culpabilité, incarnée par le fantôme de Tibbs, qui hésite à se rendre à la police. Tout se concrétise autour de cette question : comment vit-on après ça ? L’auteur, par quelques moments clés, traite avec délicatesse cette question du remords, montre que sur un drame de belles choses peuvent naître.

Enfin, autour du climax final, Sylvann affrontant Masque de Sang, les choses se brouillent pour nous faire réaliser la réelle temporalité des choses, pas exactement aussi simultanée que alternance des chapitres le laissait croire.
C’est un feu d’artifice final, qui répond à toutes nos interrogations et rassure nos craintes initiales. Les plus malins auront peut-être relié certains points, les autres salueront la révélation.
L’auteur signe un très beau roman, difficile a étiqueter dans un genre parce qu’à cheval sur deux. C’est un formidable message d’amour, un encouragement à ne pas abandonner nos proches, qui touchera tous les lecteurs, ados comme adultes, les deux générations qui gravitent autour de Nora. Et c’est bien sûr un très beau message à tous les jeunes qui s’essaient à l’écriture, à nourrir et faire vivre leur imaginaire, d’abord avec des classiques, puis de manière de plus en plus personnelle. On rêve tous d’avoir un prof comme Mr Martin, qui se souvient d’avoir été jeune et n’a pas oublié ses rêves ni ses envies d’alors.

Un très beau roman, très humain, riche en émotions. Le mélange des deux genres, fantasy et réalisme, ainsi que son apparente simplicité narrative initiale le rendent très accessibles aux jeunes (et moins jeunes) lecteurs peu férus de l’un ou l’autre.

Ajoutons que l’écrin, bleu rehaussé d’or, est magnifique !


Titre : Les Chemins de Sancturia
Auteur : Jeremy Behm
Couverture : Anaïs Flogny
Éditeur : Syros
Collection : Hors série
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 395
Format (en cm) : 22 x 15 x 4
Dépôt légal : mars 2022
ISBN : 9782748530834
Prix : 17,95 €



Nicolas Soffray
28 juin 2022


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