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Retombées (Les)
Jean-Pierre Andrevon
Le passager clandestin, dyschroniques, novella (France), anticipation, 137 pages, mai 2022, 9€

Ça a pété. Au-dessus de la ville. On a vu un éclair, on a senti le souffle, on s’est protégé comme on a pu, et on a fui.
En refluant loin de l’épicentre de la catastrophe, François a rencontré d’autre rescapé, un couple un peu plus âgé que lui, une jeune fille, un vieux paysan. Dans la brume jaune ils ont trouvé refuge dans une ferme abandonnée. Le groupe rassure, on échange ses sensations, ses hypothèses, on murmure ses craintes, ses peurs au sujet des proches probablement disparus.
Le lendemain, des camions conduits par des gens en scaphandre viennent les chercher. Les rafler. Les militaires sont taiseux, ils disent ne pas en savoir plus. On les conduit dans un camp de préfabriqués montés à la hâte, déjà noyés dans la cendre grise qui tombe comme une mauvaise neige. On les parque là, sans information, en leur collant à chacun un numéro de dossier. Très vite on pense à d’autres camps, pas si loin dans la mémoire...



Jean-Pierre Andrevon est un écologiste et un antinucléaire de la première heure, toute sa bibliographie, de « Gandahar » au merveilleux « Le monde enfin » en témoigne. « Les Retombées », parue en 1979, conclut une décennie de projets de nucléaire civil en Europe et d’incidents plus ou moins graves, et plus ou moins bien géré par les autorité.
Dans sa novella, l’auteur ne s’étend pas sur l’origine du drame. Ses personnages, François, Jacques et Marie-Françoise, Cathy, Ernest Magnin, se sont croisés errant dans la brume jaune et la tempête de cendres. Ils n’ont en commun que le hasard de s’être trouvés là, en balade champêtre ce dimanche. La narration externe nous fait suivre François, mais on devine, comme lui, que les autres partagent certaines de ses appréhensions. S’ils sont un peu taiseux, sonnés par la catastrophe, ne plus être totalement seuls leur fait du bien. Dans la première nuit, le sommeil est difficile, les larmes libérées à la faveur de l’obscurité. Le groupe vainc les craintes individuelles, on se résout à manger, à boire une eau qu’on espère pas contaminée... L’auteur nous montre la force et la résilience de l’Homme, dès lors qu’il n’est pas seul, qu’il se sent à la fois soutenu et responsable d’autres.

L’arrivée du camion de l’armée, des hommes en scaphandres au milieu de cette neige grise et boueuse ravive les terreurs. On aurait pu croire à un petit incident, la tenue antirad laisse craindre le pire. Mais surtout, c’est le silence, l’ignorance des soldats qui est la plus insoutenable. Avec son camp préfabriqué, improvisé, mal organisé, Andrevon pointe l’impréparation manifeste des autorités à la gestion d’une telle crise, et surtout la gestion humaines de leurs concitoyens. On leur colle un numéro de dossier, on les entasse dans des cahutes inconfortables, surchauffées par la promiscuité, on les nourrit mal. Et surtout on leur tait tout : les rares gradés ou officiels à faire des annoncent mentent ou délivrent des discours aux accents rassurants, mais au fond si creux qu’ils ne trompent personne.

L’épisode de l’envoi aux douches collectives est glaçant. Car, comme les personnages, et malgré aujourd’hui peut-être une meilleure connaissance des protocoles en cas d’irradiation (souvenons-nous de cette scène de « James Bond contre Dr No »), difficile de ne pas penser à d’autres douches où on se sera débarrassé en masse d’une population condamnée à mort. Ici, heureusement, il n’en est rien, seulement l’expérience encore une fois humiliante d’être traité comme du bétail, déshumanisé, privé de son droit à la pudeur.
A la sortie, tous en uniforme kaki, tous fondus en une masse indiscernable, et là encore nouvelle épreuve : après avoir déplacé les femmes ailleurs, les groupes sont séparés, les amitiés des premières heures rayées. Au fil des heures, on voit la situation empirer, les similitudes avec un camp de prisonniers augmenter. De victimes les voilà captifs, condamnés pour s’être trouvés là au mauvais moment.
Le pire, bien sûr, est encore une fois l’ignorance totale dans laquelle on les laisse mariner. Aucune information ne filtre des événements, et ils subissent chaque décision, peu ou mal informés au préalable. Plusieurs fois la révolte gronde, mais les militaires ont des fusils modernes, et les velléités de la foule se calment bien vite faute d’un leader, d’une vraie étincelle, tous baissent la tête, aucun n’ose de peur de... Andrevon décrit une zone et un temps de non-droit, de privation des droits des citoyens sous couvert d’un état d’urgence qui suffit à tout justifier. Au-delà de la cendre grise moutonneuse qui poisse le sol et les toits, voilà sans doute la véritable retombée mortelle de cet incident nucléaire : le remodelage d’une partie du monde, hors de tout, aux mains de l’armée et d’un prestataire privé, pour gérer, mal, à l’abri des regards, les conséquences d’un danger maintes fois annoncé.

Et surtout, la question qui demeure : pour combien de temps ? La mesure des heures, dans le jour jaune après l’explosion, est compliquée. Une fois au camp, privés de leurs effets personnels et donc de montre, condamnés à l’attente, à l’ennui, tous s’interrogent : ces mesures annoncées comme provisoires semblent se préparer à durer, comme en témoignent les travaux d’agrandissement du camp, les réorganisations des réfugiés. L’improvisation semble laisser place à un peu d’ordre, trahissant là encore l’impréparation des autorités, leur dépassement manifeste, leur incapacité à gérer cet imprévu.

Il y a eu depuis 40 ans bien d’autres récits de catastrophes nucléaires, climatiques, sanitaires, souvent tournées sur l’aspect survie et dangers. Jean-Pierre Andrevon, au contraire, s’attarde sur ce que deviennent les gens lorsque ce sont les secours qui s’avèrent le plus grand danger, quand le sauveur s’avère un ennemi froid et inhumain. François désigne comme « Martien » le premier militaire en scaphandre. Ils n’auraient pas été plus mal traités par des aliens venus les étudier. La matière d’Andrevon, loin de tout spectaculaire, c’est l’homme, taraudé par ses pensées, ses craintes, ses désirs, dans un monde qu’on pourrait croire par essence hostile. Il pointe ici l’atome et ses apôtres sourds aux messages d’alerte. Hélas, nous vivons toujours dans le même monde, avec un Président qui nous promet toujours plus de réacteurs sur le territoire...

Le dossier additionnel est exceptionnellement très court, reprenant brièvement la chronologie du nucléaire en France, en Europe et dans le monde, mais qui comme toujours met en lumière la pertinence de ce texte lors de sa première parution, et encore aujourd’hui.


Titre : Les Retombées (édition légèrement retouchée par l’auteur)
Auteur : Jean-Pierre Andrevon
Couverture : Yanni Panajotopoulos
Éditeur : Le Passager Clandestin (édition originale : Denoël, 1979)
Collection : Dyschroniques
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 137
Format (en cm) : 17 x 11 x 1,3
Dépôt légal : mai 2022
ISBN : 9782369355465
Prix : 9 €



Nicolas Soffray
1er juillet 2022


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