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Flamboyance
Mathieu Gaborit
Mnémos, roman (France), fantasy, 251 pages, mars 2022, 18€

Dans « Abyme », le roman le plus personnel et maintes fois réédité de Mathieu Gaborit, nous avions découvert la Cité des Ombres, une cité folle, baroque, foisonnante, un fantastique espace de liberté pour l’imagination et la fiction, un lieu de toutes les splendeurs, de tous les excès. Le premier volume de La Cité exsangue, « Les nouveaux mystères d’Abyme » était l’histoire d’un retour, celui de Maspalio, personnage principal du roman d’origine, qui, après avoir refusé la charge d’Artificer qui lui était offerte et s’être retiré plus loin encore que les ombres des années durant, s’était décidé à revenir dans une cité avec laquelle il avait un moment jugé bon de prendre ses distances. Une cité qui avait à tel point changé qu’elle lui était devenue étrangère et terriblement dangereuse. Et qui l’est toujours autant, puisque ces « Nouveaux mystères d’Abyme » se terminaient sur la très classique formule « à suivre… »



Nous retrouvons donc la foisonnante et baroque cité d’Abyme, à la fois cadre et personnage essentiel du récit, nous retrouvons Maspalio, à la recherche du corps de Cyre, son ancienne compagne assassinée, qu’il souhaite rendre à l’âme de la cité à travers l’accomplissement d’un antique rituel. Un Maspalio toujours en guerre contre la Cure, le nouveau pouvoir en place à Abyme, la Cure, qui a juré de mettre fin à la Romance. Entendez par Romance le baroque, les monstres, la singularité, la magie. Romance ou Flamboyance, le lecteur naviguera dans les mêmes eaux : tout ce à quoi l’imagination donne accès, tout ce que le sinistre gouvernement de la Cure souhaite voir disparaitre.

«  Une vaste clameur fondait ensemble les stridences des scies musicales, les tocsins hystériques et le murmure d’une foule apeurée, tandis que des cracheurs d’eau convoqués au chevet des flammes ruisselaient à la chaleur du brasier. »

Maspalio, donc, qui narre ses aventures à la première personne du singulier. Mais aussi bien d’autres personnages dont les exploits et les déboires sont rapportés par le narrateur omniscient. La Mufle, une ogresse à la fois répugnante et magnifique. Mèche, la fille de Cyre, traquée par les uns et les autres. Plusieurs enfants des rues : Chahine, Amande, Ardoise, Fardo, également nommé Le Taiseux, et enfin Sigrid ou La Foudre. Leurs destins seront singuliers. Certains survivront, d’autres non : la lutte contre la Cure est sans pitié.

« Nul ne savait pourquoi les Abysses suintaient ainsi du sol par les nuits sans lune sous la forme d’une brume épaisse, en laissant dans les replis de la pierre d’infimes fragments charbonneux à même de devenir une drogue dure.  »

Des péripéties, ce « Flamboyance  » n’en manque pas. Pourtant, au-delà du récit en lui-même, entre explorations de nouvelles facettes de la vertigineuse cité d’Abyme et mise en scène de nouveaux enchantements, ce sont avant tout les détails qui fascinent, la richesse du monde d’Abyme, c’est l’inventivité de Mathieu Gaborit, son goût pour les trouvailles très visuelles, souvent baroques, et pas seulement sur le plan architectural ou topographique. Au gré des courses, des fuites et des déambulations tantôt douces et tantôt poignantes des personnages à travers ruelles, traboules, souterrains et mangroves, la richesse en images ne se démentira jamais. Dôme à plaisir de la Bordellière, tableaux-mondes au sein desquels on peut enfermer des objets, souffleurs de pollens, botanique enchantée, larmes artistiques et sismiques, fragments de pierre qui sont les « écueils » de la Flamboyance, couloir végétal d’une longueur insensée, tronçons d’un arbre roi transformés en milliers de commodes d’apothicaire et en palais secret d’herboriste. Sans oublier d’étonnantes magies comme l’Embrasie, ou encore le Décorum, qui permet d’influer sur les bâtisses par la pratique du dessin, ou l’usage d’une drogue, l’onyx, qui par marées remonte des tréfonds de la ville.

« Les orbites de la tatoueuse le fascinent : ses globes oculaires ont disparu et ont cédé la place à un réseau de rhizomes délicats, de sorte que les deux cavités ressemblent à un écrin racinaire. »

Des fantaisies baroques, donc, le quartier des hasards, le palais de la Flamboyance, et bien d’autres lieux encore. On s’en doute : la Flamboyance resurgira, et l’emportera sur la Crue. Pour autant Mathieu Gaborit, qui mieux que quiconque sait ce que création veut dire, ne fait aucunement preuve de naïveté. Il ne se contente pas de mettre en scène la lutte éternelle, manichéenne, entre la frange des créatifs et la masse des individus apparemment sans âme qui partout voudraient régenter le monde. Tout en finesse, il laisse entendre à ceux qui feraient preuve d’une crédulité excessive que les ennemis de la Flamboyance ne sont pas seulement les partisans de l’ordre et de la rigueur affichée. Que la Flamboyance ne coule pas de source, n’est pas simplement une attitude que se donnent les artistes ou la bohème ostentatoire et improductive des procrastinateurs patentés. L’obstacle à la Flamboyance est aussi obstacle plus intime, moins visible, que Mathieu Gaborit personnifie à son tour, à travers une contre-forme de fantaisie elle-même : “Composé exclusivement de parchemins froissés, brûlés, le corps évoquait les formes vagues d’une femme gironde à la chevelure abondante (…) Elle était une créature constituée exclusivement de manuscrits et de lettres reniées par leurs auteurs. Affublée parfois du surnom de Contre-muse, la Dame Froissée palpitait d’échecs et de frustrations.” On peut se soulever, on peut renverser l’oppresseur, mais la magie ne continuera peut-être pas à faire des miracles. Si l’on veut pratiquer la Flamboyance, c’est alors un combat plus intime, un combat pas moins difficile et beaucoup plus long qui s’annonce.

« Deux corbeaux caparaçonnés nichés sur un tas de pierre croassèrent en l’épiant d’un œil perçant, tandis que la plainte d’une scie musicale montait de la rue voisine.  »

Nous avions regretté dans notre chronique d’« Abyme  » que malgré de nombreuses rééditions les coquilles n’aient jamais été corrigées. On en trouve également dans « Flamboyance  », et ceci dès les premières pages, par exemple “par la même” au premier chapitre au lieu de “par là même”, “un rais de lumière” au second chapitre (même s’il existe quelques exemples anciens, cette orthographe avec un « s » au singulier a toujours été jugée fautive par les lexicographes), et l’on peut également voir ici et là quelques anomalies typographiques (“tune” pour “tu ne”, “ilse” pour “il se”). Mais ce ne sont que de minces défauts en regard de l’élégance du volume, avec, comme pour le premier tome, un agréable format intermédiaire presque carré et une magnifique couverture de Daniel Balage, avec rabats à salanistres dessinés par Julien Delval. Un bel écrin et un bel écho à la richesse en images du texte, pour cette cité d’Abyme qui est le plus bel univers de Mathieu Gaborit.

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Titre : Flamboyance
Série : La Cité exsangue, tome II
Auteur : Mathieu Gaborit
Couverture : Daniel Balage – Octobre Rouge
Rabats : Salanistres de Julien Delval
Éditeur : Mnémos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 251
Format (en cm) : 15 x 21
Dépôt légal : mars 2022
ISBN : 9782354089542
Prix : 18 €



Mathieu Gaborit sur la Yozone :

- « Abyme »
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Hilaire Alrune
29 mai 2022


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