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Architecte de la vengeance (L’)
Tochi Onyebuchi
Albin Michel Imaginaire, court roman et deux articles traduits de l’anglais (États-Unis), fantastique/actualités, mars 2022, 190 pages, 17,90€

Ella comprend qu’elle a un don en grandissant. La première fois elle voit la mort d’un adolescent, victime de la guerre des gangs, alors qu’il n’est encore qu’un nourrisson. Kevin, le petit frère d’Ella, naît lors des émeutes provoquées par l’acquittement des policiers dans l’affaire Rodney King. La famille déménage alors pour fuir la violence, mais ne gagne pas au change en s’installant à Harlem dans la ville de New-York.
L’étendue des capacités d’Ella effraie, ce qui la pousse à fuir de peur de blesser les siens, Kevin est jeté en prison sous un prétexte fallacieux. Ella ne peut rester sans rien faire, surtout qu’elle a les moyens d’agir.



Gilles Dumay explique dans l’avant-propos qui est Tochi Onyebuchi et pourquoi il a choisi de publier ce qui est en réalité un court roman d’environ 140 pages. Il y a d’ailleurs ajouté deux articles écrits par l’auteur et qui sont dans la lignée du récit : « Je ne vois pas mention dans votre déposition du fait que vous êtes noir. » On ne peut pas construire un monde sans parler des races et « Je n’ai pas de bouche : et pourtant il me faut hurler. » Sur la responsabilité de l’écrivain noir à l’heure des émeutes en Amérique.
« L’architecte de la vengeance » relève clairement de cette volonté. Tochi Onyebuchi ne peut pas rester dans son coin, faire comme si les bavures policières à l’encontre des gens de couleurs n’existaient pas et que la justice américaine faisait son boulot. Non, il s’empare de l’actualité, du passé en faisant d’Ella sa championne, une super-héroïne capable de tous les exploits. Elle peut assister à des événements passés, ce qui lui permet de suivre ces violences à travers l’histoire de son pays, de les partager avec son frère. Et elle est capable de bien plus, ses pouvoirs semblent sans limites et elle ingurgite les faits, s’abreuve à cette haine comme pour se donner la force d’agir en acceptant son don.
Dans un style sec, assez haché en allant à l’essentiel, Tochi Onyebucho reprend les grandes bavures policières souvent impunies et leurs conséquences, le lecteur revoit les scènes relatées aux informations, mais l’auteur montre aussi le sentiment d’insécurité dans la rue, comment la couleur de peau suffit à condamner quelqu’un, à le désigner d’emblée comme suspect. Kevin en fera les frais, c’est d’ailleurs lui qui raconte l’histoire, il est intelligent, travaille à l’école, mais cela ne suffit pas, il traîne sa condition comme une malédiction.

« L’architecte de la vengeance » est un roman coup-de-poing, riche en scènes fortes, d’autant qu’elles sont pour la plupart réelles, ce qui le rend encore plus dérangeant. Impossible de ne pas ressentir un sentiment de malaise, de rester insensible devant ces injustices. Les États-Unis sont malades de leur racisme toujours profondément ancré dans certains états, c’est connu. Les faits révoltants ne sont pas rares et les mentalités n’évoluent que très lentement. Mais que peut faire Ella face à une situation si complexe ? L’ouverture sur autrui, le vivre ensemble en bonne intelligence, une justice équitable, la même pour tous quelle que soit la couleur de peau, la tolérance bien sûr, ne pas voir dans l’autre un ennemi mais son frère... comment aller vers ces valeurs fédératrices ?
Tochi Onyebuchi ne s’embarrasse pas de demi-mesures, tous les Blancs dans le même sac, pas un pour sauver l’autre, un ordre inversé où il est temps pour les Blancs de comprendre ce qu’ils font subir aux autres. Il parle de décontamination, de jeter tout ça dans l’espace. Alors qu’il a longtemps exposé le problème, il expédie la solution en deux pages de manière extrême pour ne pas dire extrémiste. Que cherchait-il là en terminant sur ces relents anti-blancs ? Il expose le pire, restant aveugle aux bonnes initiatives, à ceux qui se battent pour l’égalité. On croirait que cet ancien juriste spécialisé en droits civiques s’est lancé dans un plaidoyer, forçant le trait pour condamner à tout prix le coupable à la peine capitale.
La fin laisse sur un drôle de sentiment négatif, comme si l’apaisement n’était pas de mise, que le vivre ensemble en bonne intelligence était une impossibilité. Un roman militant, dénonciateur qui sombre dans l’extrême en deux pages. L’heure de la vengeance est arrivée, voilà le message qui entache tout ce qui précédait et qui n’offre guère d’espoir dans l’avenir de l’espèce humaine. Loin d’élever le débat, Tochi Onyebuchi se fait l’apôtre de la haine, ce qu’il est difficile de cautionner.


Titre : L’architecte de la vengeance (Riot Baby, 2020)
Auteur : Tochi Onyebuchi
Illustration de couverture : Aurélien Police
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Anne-Sylvie Hommasel
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Sites Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 190
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : mars 2022
ISBN : 9782226461452
Prix : 17,90 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
31 mars 2022


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