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Kraken Krak
Jean Bury
Pulp Factory, Geek fiction, roman (France), techno-thriller, 224 pages, mars 2021, 14€

Futur proche. Des robots de manutention industrielle deviennent fous, des androïdes de compagnie également, outrepassant leurs script d’IA. Le 13e Groupe de Combat Mécha, les Salamandres, dit « les Bleuets », est mobilisé, avec d’autres, pour assurer la sécurité du public. Sous les ordres de leur commandant, le colonel Brénault, ils vont tâcher de découvrir ce que cette révolte des machines cache réellement.



Disons-le d’emblée : « Kraken Krak » oscille entre le techno-thriller militariste et le cyberpunk, mais en restant sagement dans les clous d’une fiction classique du genre. Ne vous attendez pas à du William Gibson. On a plutôt la sensation de suivre un bon film américain du genre, avec ses bons, voire très bons côtés, mais aussi ses passages obligés et ses limites.

Le 13e GCM regroupe les archétypes de la bande de héros complémentaires. Le colonel Brénault, officier vieille école, un roc qui n’a pas a élever la voix pour être obéi. Le lieutenant Tournaire, chef de l’escadron (de 2 Méchas, ça vole pas loin, on ne saura pas trop pourquoi), carrure de sportif, bon officier capable de se mêler à ses hommes, fait le lien avec la hiérarchie. Le sergent Carole Maertens remplit le quota féminin, elle va être propulsée enquêtrice/profileuse aux côtés du colonel, du fait d’une petite formation dans le domaine. Le caporal Darrieux est le vieux briscard, pilote et mécano soigneux de ses machine, qui a pris sous son aile le dernier arrivé, le 1er classe Jazz De Lattre de Tassigny, 15 ans, issue d’une vieille famille de militaires, et Opérateur Données de génie codant plus vite que son ombre. L’ado apparaîtra davantage dans la narration, accentuant le côté cyberpunk au détriment des combats de méchas. Tous les rôles sont distribués.

Tandis que le colonel et le sergent Maertens vont interroger les huiles d’Imperium Industries, l’entreprise qui fabrique les puces et les IA des robots incriminés (et qui ont apparemment le monopole), Jazz nage dans les courants du Réseau à la recherche d’infos, filtrant les signaux faibles jusqu’à tous les additionner et découvrir l’ombre omniprésente de Kornak, un hacker qu’il suspecte vite d’être à l’origine des piratages. Sa prochaine action s’appelle Kraken Krak.
Kraken, comme le lecteur est le seul à savoir, étant le projet de nouveaux méchas surpuissants, totalement autonomes, équipées des puces et des IA d’Imperium. Si de telles machines s’émancipaient du gouvernement qui les a construites...

Vous devinez aisément la suite et les étapes obligées, une petite bataille de méchas avec des pilotes unis par une grande fraternité militaire, un dilemme quand un mécha est piraté en plein combat (dois-je tirer sur mon frère d’armes ?), puis sauvé in extremis par un second piratage signé du petit génie qui a développé sur son temps libre un programme de secours pour shunter les IA trop intrusives. Sa course effrénée en pyjama, ordi portable sous le bras, est très hollywoodienne, comme d’autres. Idem, tandis que les pilotes sont déployés et les enquêteurs sur le terrain, le jeune Jazz part tout seul dans l’antre de l’ennemi. Tout cela pour conduire à la fin à un triple climax méchas contre kraken, colonel contre administration et hackeur contre hacheur. Je le redis, sans rien de péjoratif : on a là une structure narrative aussi classique qu’efficace, et Jean Bury sait rendre ses scènes d’action très visuelles.

Mais au-delà des aventures du 13e GCM, il faudra gratter un peu pour lire, sous la surface, l’état du monde, la robotisation, les conflits mondiaux. L’auteur leur laisse peu de place en apparence, tout à son intrigue, mais ces points majeurs sont au cœur de son histoire, prémices nécessaires au projet de Kornak. Il faut parfois, comme ses hackeurs, chercher dans les silences plutôt que dans le bruit : je ne crois pas qu’il nomme la ville où se déroule l’histoire, un Grand Paris du XXIIe siècle (je ne suis pas sûr qu’il mette de date non plus), à la périphérie laissée à l’abandon et au bon vouloir des déclassés, et au-delà, des campagnes agricoles entièrement automatisées, à l’image de celles vues dans « Logan » par exemple.
Si le fond de l’intrigue pourra sembler traité un peu légèrement, en essayant de dissimuler sa binarité, la conclusion et sa morale très patriotique (au sens noble) laisse peu de doute. On appréciera la confrontation entre intérêts de l’État et privatisation, moyens de défense et éthique, dans un face-à-face très cyberpunk. Pure fiction spéculative, « Kraken Krak » n’en a pas moins des échos dans le monde actuel peuplé de milliardaires et de dirigeants tout aussi mégalo et déconnectés du monde.

Il faudra passer sur les très nombreuses et très évidentes coquilles (lettres finales et mots manquants, pluriels non accordés) qui piquent dès les premières pages, et de légères incohérences. L’auteur nous assène à quelques occasions des passages un peu techniques, mais cela sert plutôt bien l’ambiance militaire ou techno. Il est parfois aussi un peu léger sur les descriptions, laissant notamment toute latitude aux lecteurs pour se figurer les méchas bipodes ou même les traits de ses héros.

En fait, il faut vraiment le prendre comme un « pulp », comme une lecture de consommation, pour se rendre compte de ses qualités de divertissement, augmentées du petit plus de sa morale sous-jacente pleinement d’actualité. Et comme je l’écris assez souvent, il n’est pas si facile de « faire simple » et bon à la fois.

J’aurai mis un peu de temps à entrer dedans (plaquant sur le colonel les traits du capitaine Holt de « Brooklyn 99 »), à dépasser le côté très archétypal des personnages, de la situation initiale, pour finir par dévorer avidement la seconde moitié. Mission accomplie, les Bleuets.


Titre : Kraken Krak
Auteur : Jean Bury
Couverture : Louis Clément Fomenko
Éditeur : Pulp Factory
Collection : Geek fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 224
Format (en cm) : 18 x 12 x 2
Dépôt légal : mars 2021
ISBN : 9791097296148
Prix : 14 €



Nicolas Soffray
13 avril 2022


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