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Garçon et la Ville qui ne souriait plus (Le)
David Bry
Pocket, science-fiction, roman (France), uchronie, 340 pages, mars 2020, 7,95€

Paris, milieu du XIXe siècle. On va célébrer le cinquantenaire d’un Empire qui aura vu l’Église imposer des lois de « salubrité » qui ont peu à peu exclu de la société tous les imparfaits, les estropiés, les défigurés, les déviants, qui ont trouvé refuge à la Cour des Miracles, sur l’Île de la Cité.
Romain de Sens est le fils du lieutenant de police et, à l’insu de sa famille, il se rend la nuit sur l’île, où il se sent parmi les siens. Sa déviance n’est pas physique : il aime un autre garçon, blasphème impardonnable pour l’Église et sa Norme.
Tandis qu’approche le cinquantenaire, Romain et son ami Ambroise, fils du préfet, surprennent une conversation de leurs pères : l’île va être rasée, et ses habitants avec, ordre du pouvoir.



Dans son précédent roman, très remarqué, « Que passe l’hiver », David Bry mettait déjà en scène un jeune héros différent, diminué, incapable de tenir son rang aux yeux de son père. Dès les premières lignes, on partage le mal-être de Romain, rongé par un secret inavouable, dont la révélation briserait sa famille, entacherait la carrière de son père et tuerait de honte sa mère, une pure aristocrate qui cherche à placer ses enfants et assurer leur avenir, quitte à leur faire vivre jusque-là un enfer dans son désir de perfection.

Malgré le danger, la traversée de la Seine glacée à la nage, on découvre une Cour des Miracles bruyante de vie, à l’opposé du froid glacial de la maison familiale de Sens. Au-delà de son amour interdit, on devine dans ce contraste ce qui attire Romain : ici, malgré la misère, les gens rient, vivent, tandis que sous la coupe impériale tout n’est que paraître, rôle social et complots.
David Bry dépeint des personnages chatoyants, bons vivants malgré les épreuves (abandon, déchéance sociale, etc), une nuée anarchique qui devra néanmoins s’organiser lorsqu’il rapporte la menace qui plane sur eux.
A l’inverse, la bourgeoisie parisienne est froide et cruelle, même (ou surtout) parmi les jeunes gens qui vont faire leur entrée dans le monde. Romain craint pour sa sœur, sur qui le fils du futur premier ministre pourrait jeter son dévolu. Si leur mère n’y verrait qu’une magnifique alliance et ascension sociale, Romain connaît le triste sire et sa cruauté, lorsqu’il chasse avec sa bande les pauvres et les marqués à la tombée de la nuit, certain de son immunité paternelle.

Au côté de Lion, flamboyant rouquin, son frère Akou, du petit Zacharie qui zozote en prophétisant le retour de la mère qui l’a abandonné, Romain découvre les tunnels souterrains qui relient l’île à la capitale, et les usages qui en seront faits : les Lames Noires, milice conservatrice bien plus sévère que la police, compte s’en servir pour miner l’île avec des barils de poudre noire. Il faudra trouver du renfort auprès de l’opposition, officielle ou secrète. Romain découvrira que sous son inflexibilité de façade et ses menaces de l’envoyer en internat, son père n’est pas qu’un policier sans cœur, mais un serviteur intègre de la Nation.

David Bry signe une nouvelle fois un très beau roman sur la différence, les peurs (irrationnelles) qu’elle engendre, et toutes les nuances de l’Humanité. Chaque personnage a un rôle à jouer, et chaque promesse littéraire est tenue, dans la grande tradition romanesque, néanmoins tous les happy end n’empêchent pas de trouver des bons et des traîtres dans chaque camp, et des personnages travaillés, au-delà de leur rôle de surface.
On appréciera aussi l’excellent travail sur la langue. Au français châtié de la bourgeoisie, l’auteur oppose l’argot gouleyant de la Cour des Miracles, véritable marqueur social, que Romain devra peu à peu maîtriser pour s’assimiler à sa famille d’adoption. Loin d’en faire une langue de pauvres ou d’exclus, David Bry la présente vraiment comme un langage à à part, achevant de faire des deux groupes sociaux des entités séparées.

Il y a de l’aventure, de l’émotion, et un message profondément humaniste dans ce roman d’Imaginaire historique, qu’on placera dans toutes les mains sans souci, en souhaitant qu’il éclaire sur les ségrégations sociales d’aujourd’hui.


Titre : Le Garçon et la Ville qui ne souriait plus
Auteur : David Bry
Couverture : Benjamin Carré
Éditeur : Pocket (édition originale : Lynks, 2018)
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7292
Pages : 340
Format (en cm) : 18 x 11 x 1,5
Dépôt légal : mars 2020
ISBN : 9782266307314
Prix : 7,95 €



Nicolas Soffray
3 avril 2022


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