Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Illusion (L’)
Maxime Chattam
Pocket, collection thriller, n° 17997, thriller horrifique, 537 pages, janvier 2022, 8,70€


Hugo se sent partir à la dérive. Blessé suite à une rupture amoureuse qu’il ne parvient pas à surmonter, perturbé au plus profond de lui-même en raison des reproches assénés par son ancienne petite amie, il a l’impression de ne plus être bon à grand-chose. Trentenaire, écrivain raté, sans travail, à court de ressources, il voit dans une petite annonce transmise par une de ses connaissances immatérielles du réseau l’occasion de se changer les idées. Un job de cinq mois pleins, nourri et logé, dans l’entretien d’une station de ski fermée entre deux saisons. Loin du monde, loin de tout, en compagnie réduite – une poignée d’employés de la station, une poignée de saisonniers comme lui – et au grand air. Seule inconnue, son aptitude à supporter de longs mois d’isolement. Mais c’est peut-être ce dont il a précisément besoin.

Le voilà donc à Val Quarios, très loin dans les hauteurs, à trois heures de route abrupte et sinueuse de Montdauphin-Guillestre, le village le plus proche. Entre jeunes filles énergiques et régisseurs taiseux, mais pleins d’humour, Hugo se sent bien accueilli. Mais, très vite, des éléments inquiétants apparaissent. Une employée qui devait quitter la station quelques jours plus tard disparaît sans mot dire. Qui donc est le propriétaire des lieux, ce formidable illusionniste qui semble avoir marqué les années soixante-dix mais dont Hugo n’a jamais entendu parler, un personnage mystérieux vivant, invisible, dans un manoir d’allure gothique à proximité de la station ? Quel est le malade qui s’amuse à suspendre des crânes d’animaux dans une forêt de conifères en bordure de la falaise ? Est-il vrai que durant l’hiver les vacanciers, à Val Quarios, fuguent, se suicident ou s’égarent plus souvent qu’en tout autre lieu ?

« Car Hugo était incapable de définir la gravité de ce qu’il avait vu. C’était idiot, et cela le perturbait presque autant : ne pas savoir situer cela sur une échelle morale, ne pas savoir si cela relevait du fantasme puéril et risible ou d’un acte pervers révélateur d’une dangerosité potentielle. Après tout, des artistes étaient adulés pour fabriquer des œuvres avec des déchets organiques du même acabit. Qu’est-ce qui faisait la différence entre un esprit créatif lugubre et celui d’un malade inquiétant ? »

Même s’il se permet de glisser ici et là quelques visions terrifiantes à la « Shining », l’auteur prend soin de ne pas marcher trop ostensiblement sur les brisées du duo Stephen King / Stanley Kubrick. Le récit se passe l’été et non l’hiver, et l’architecture de la station de Val Quarios n’a pas grand-chose à voir avec celle de l’hôtel Overlook. En début de volume, un plan de la station dessiné par Olivier Sanfilippo permet au lecteur de visualiser facilement les lieux, en lesquels il sera difficile de ne pas voir une forme globale de compas maçonnique – mais avec également bien d’autres détails. Un plan dont on notera, pour comprendre les indications données dans le texte, qu’il n’est pas disposé selon la topographie habituelle, le sud étant orienté vers le haut et le nord vers le bas. Une configuration très simple au premier examen, mais des bâtisses aux agencements intérieurs subtilement décalés, souvent trompeurs, et à travers lesquels les protagonistes ne cessent de se perdre en croyant emprunter des trajets déjà effectués.

« Plutôt un corps, plaqué contre le mur, peau d’albâtre, le vermillon de ses lacérations soulignant encore plus sa pâleur, le visage renversé, l’arrière du crâne, le dos et les mains en train de fusionner avec le béton, comme si toute la station était une créature se délectant de ses victimes qu’elle buvait à la lenteur d’une souffrance éternelle. »

Comme toujours avec Maxime Chattam, on est dans le vite écrit-vite relu, avec ici et là des phrases discutables et des impropriétés lexicales prêtant à sourire (“le feulement de ses pas sur la moquette”), avec également quelques facilités scénaristiques (combien de fois a-t-on déjà lu ou vu ce passage où le personnage devine sans coup férir le mot de passe d’un ordinateur ?), mais il faut savoir passer sur ces défauts pour se laisser prendre au jeu des ambiances. En évitant toute surcharge, l’auteur amène lentement son protagoniste dans les lieux – bâtisses principales dont un immense bloc en déréliction, souterrains obscurs, chalets annexes, ancienne tour, boîte de nuit souterraine, piscine donnant sur la vallée – le laisse découvrir un par un ses compagnons, le laisse frôler mystère après mystère. Qui aime les atmosphères des lieux reculés et des bâtisses désertes appréciera le rythme assez lent de ce roman de plus de cinq cents pages qui installe son protagoniste – et ses lecteurs – entre bien-être et épouvante. Les différents personnages prennent facilement vie, les dialogues et aventures avec les deux jeunes filles sonnent toujours juste, et l’auteur accumule à dessein hypothèses folles et fausses pistes, sur la frontière trouble – Nécronomicon, Unaussprechlichen Kulten et autres Cthäät Aquadigen obligent – entre thriller et maléfice.

Entre réel et illusion, entre investigation et manipulation, le lecteur se laisse donc emporter, jusqu’à une résolution dans laquelle les amateurs de Maxime Chattam trouveront peut-être un goût de déjà-vu, celui de la fin de « La Conjuration primitive ». Une fin qui pourra séduire les uns et décevoir les autres, car, sans atteindre le grotesque de romans qui à force de vouloir surprendre le lecteur lui assènent des révélations finales invraisemblables (pour rester dans le cercle de la « Ligue de l’imaginaire » à laquelle appartient Maxime Chattam, on pourrait citer « Nuit  » ou « Glacé  » de Bernard Minier), elle figure au registre de ces épilogues alambiqués qui, témoignant de manipulations dont la complexité apparaît démesurée par rapport à leur objet, peuvent apparaître, pour peu que l’on prenne un peu de recul sur le déroulement du récit, tout autant capillotractées qu’ingénieuses. Quoiqu’il en soit, dans un registre différent, « Illusion  » apparaît bien plus réussi qu’« Insecte  », le roman précédent de l’auteur, et, à la frontière entre thriller et récit fantastique, pourra séduire les amateurs d’ambiances inquiétantes.


Titre : L’Illusion
Auteur : Maxime Chattam
Couverture : Laurent Besson / Peter Thomas / Unsplash / Florian Gretillat
Illustration intérieure : Oliver Sanfilippo
Éditeur : Pocket (édition originale : Albin-Michel, 2020)
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 17997
Pages : 537
Format (en cm) : 11 x 17
Dépôt légal : janvier 2022
ISBN : 9782266311267
Prix : 8,70 €


Maxime Chattam sur la Yozone :

- « Un(e)secte »
- « Le Signal »
- « La Conjuration primitive »
- « Prédateurs »
- « La Théorie Gaïa »
- « L’Alliance des Trois »
- « Le Coma des mortels »
- « Les Arcanes du Chaos »


Hilaire Alrune
23 février 2022


JPEG - 28.2 ko



Chargement...
WebAnalytics