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De la Poussière sur les Talons
Sylvain Lamur
Editions du 38, Collection du fou, roman (France), fantasy, 324 pages, août 2019, 20€

Le monde s’effrite, tombe en poussière, aussi J. fuit-il, tentant d’alerter les rares personnes qu’il croise. S’arrêtant au bord de la mer chez un vieux chevalier, goûtant l’amour de sa fille, il doit fuir encore sur les flots, avec Youssouf, le cuistot muet, lorsque le manoir et ses maîtres s’émiettent en un coup de vent. Sur l’autre bord du monde, ils espèrent que l’océan sera un frein au phénomène, mais voilà que les flots se mettent à reculer. Avec quelques autres convaincus, dont un fabricant de clés et une mystérieuse jeune fille au sombre passé, les voilà repartis sur les routes, devançant le phénomène, marchant en direction d’un mythique palais des rêves où, peut-être, quelqu’un aura la solution.



Difficile de résumer « De la poussière sur les talons ». Le roman de Sylvain Lamur est une longue et perpétuelle fuite, et donc un voyage picaresque sur des terres inconnues et surprenantes, un paysage qui devient de plus en plus surréaliste à mesure que la petite troupe approche de son but.
L’auteur déploie une prose enivrante, qui parvient à capter notre attention bien qu’il ne se passe souvent pas grand-chose, ou toujours la même chose : J. fuit, cherche à convaincre, se laisse aller à croire à un temps de calme, de repos, de retour à la normale, puis le néant vient tout ravager, tout réduire à... néant.
Difficile de ne pas évoquer « l’Histoire sans fin » de Michael Ende, à la structure similaire : lecteur et personnages se confondent dans cette quête vers l’inconnu d’un espoir de réponse à une catastrophe qu’ils sont incapables d’appréhender.

Mais Sylvain Lamur ne s’en tient pas là, fort heureusement. S’il laisse nombre de points dans le flou, demandant au lecteur d’accepter des états de fait, il lève le voile sur le passé de quelques personnages, notamment Zlieiliana, la jeune voleuse, juste assez pour nous permettre d’assembler quelques pièces quand d’autres personnages, à la fois secondaires et majeurs, incarnations de puissances divines, créatrices ou destructrices, entreront dans la danse.
« De la poussière sur les talons » reste néanmoins un roman dans lequel il faudra accepter de se laisser porter, et de ne pas avoir toutes les clés. Devoir deviner, supposer l’avant et parfois l’après, accepter de ne voir et comprendre qu’un moment.

La dernière partie, au palais, tranche quelque peu, l’ubuesque prenant le pas sur l’onirique et le surréaliste, jusqu’à une conclusion quelque peu brutale mais nécessaire.

On trouve une foule de bonnes choses dans ce roman, un style et une plume déjà bien affûtés et maîtrisés, un sens du récit loin des sentiers rebattus de la fantasy, convoquant des émotions contradictoires, le drame sous-jacent heurtant souvent le pragmatisme des événements, à l’image de Julie qui disparaît sur les toilettes. L’auteur aborde également racisme et esclavage avec Youssouf, dépeignant en quelques lignes un modèle sociétal intégré par les deux parties. La partie la plus âpre vient évidemment autour de Zlieiliana, abandonnée enfant, abusée, contrainte de vivre dans la rue, et qui après avoir découvert une sécurité affective auprès du géant noir, retombe entre les griffes d’hommes qui exerceront sur elle contrainte mentale et physique, la condamnant à un rôle de marionnette, créature soumise aux désirs des autres… quand bien même elle ressent du plaisir à certaines choses. On regrette qu’elle quitte le récit de façon un peu brutale, comme en écho au retour d’un autre personnage féminin, car elle est sans nul doute la plus marquante de cette histoire.

Quelques scories demeurent au milieu des quelques fantaisies rédactionnelles que s’autorise l’auteur, mais rien de bien méchant.

Je suis de ceux qui aiment bien avoir toutes les réponses en refermant un livre, donc « De la poussière sur les talons » est pour moi une torture sophistiquée, un exercice de lâcher-prise facilité par une prose de haute volée, dont la qualité efface souvent la question lancinante de la finalité du récit. Je ne me hasarderai pas non plus à analyser la portée philosophique de cette quête, mais clairement rien n’est innocent, et cette odyssée est également un voyage introspectif, qui trouve son point d’orgue dans le franchissement du mur des rêves qui ceint le palais.
En fait, difficile de dire ce qui relève du bancal ou du volontaire. La maîtrise globale est telle qu’il est compliqué de séparer ce qui relève des attentes insatisfaites du lecteur et des choix narratifs de l’auteur. On pourra identifier quelques faiblesses ponctuelles, des petites redites, mais dans l’ensemble chaque partie est cohérente et les questions sans réponses relèvent d’un élagage indispensable, au risque de se perdre et de diluer le propos général.

Un roman captivant et exigeant, et un auteur déjà remarqué par une nomination au prix Rosny aîné pour son roman précédent, « Quaillou », paru chez Rivière Blanche. Un regard vraiment atypique sur la fantasy, une voie surréaliste qui en déstabilisera plus d’un.


Titre : De la poussière sur les talons
Auteur : Sylvain Lamur
Couverture : Stephen Step Cornu
Éditeur : Éditions du 38
Collection : Collection du fou
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 324
Format (en cm) : 23 x 15 x 2
Dépôt légal : août 2019
ISBN : 9782374537078
Prix : 20 € ou 6,99€ en ePUB



Nicolas Soffray
27 décembre 2021


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