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Projet dernière chance
Andy Weir
Bragelonne, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 476 pages, octobre 2021, 22 €

Après un second roman en mi-teinte, « Artémis », Andy Weir revient aux fondamentaux du remarquable « Seul sur Mars ». Et c’est une réussite.



« Je saisis un tube à essai tout proche et le lance en l’air. Il retombe comme il se doit, mais cela m’ennuie quand même. La manière dont les objets tombent me dérange, j’ai envie de savoir pourquoi. »

Un homme se réveille dans un laboratoire. À ses côtés, deux cadavres desséchés, morts depuis longtemps. Il ne sait pas ce qu’il fait là. Il ne sait pas qui il est. Ce qu’il sait, ce qu’il comprend peu à peu, c’est qu’au-delà de sa situation, en elle-même étonnante, les choses ne sont pas ce qu’elles devraient être. Des sensations étranges. Des intuitions que seul un scientifique peut avoir. Et qui, grâce à quelques expériences de physique remarquablement simples, sont aisément confirmées. Il n’est pas sur terre. Il en est loin – abominablement et impossiblement loin.

« La situation était terrifiante, mais le projet en lui-même était extraordinaire. Le geek qui sommeillait en moi ne pouvait s’empêcher d’être fasciné et excité.  »

Impassiblement, parce qu’il ne se souvient pas de la manière dont il a bien pu se retrouver dans une telle situation. Mais il a compris qu’il est un scientifique, alors il pense à la science, et, lentement, laborieusement, les souvenirs reviennent. Une belle idée qui permet à Andy Weir de placer le lecteur aux côtés du narrateur – Ryland Grace, qui finit par se souvenir de son nom – aussi bien dans le présent que dans le passé. Un lecteur qui va donc accompagner Ryland Grace dans son impensable aventure spatiale, d’une part, et d’autre part dans la non moins impensable succession d’évènements qui a abouti à son étrange réveil.

Il est difficile de résumer ce « Projet dernière chance  » sans en trop révéler, aussi nous contenterons-nous du minimum. La lumière du soleil décline à une vitesse qui contredit tous les modèles théoriques connus. Les prédictions sont effrayantes : la température de la terre va baisser à mesure, avec à la clef, une extinction de masse pour les décennies à venir – une extinction de masse qui frappera en tout premier lieu les humains. D’autres étoiles sont victimes du même phénomène. Une sonde spatiale ramène des échantillons permettant de trouver son origine : une forme de vie spatiale primitive, proche du monde bactérien, capable de survivre « in vacuo » et de consommer l’énergie des astres pour migrer d’une étoile à l’autre. Trouver la clef du problème, c’est aller chercher toute information possible à la source de cette forme de vie. C’est du côté de Tau Ceti, et c’est loin, très très loin.

Tout ceci ne nous dit pas comment un modeste professeur de collège, même s’il n’exerce ce métier qu’après avoir abandonné le monde de la recherche suite à la publication de thèses d’exobiologie audacieuses que la réalité sera venue réfuter, se retrouve seul dans un vaisseau lancé à une vitesse folle en direction d’astres lointains. Tel est le sujet d’une moitié du roman, imbriquée dans l’autre moitié, laquelle va narrer la suite d’une très longue hibernation à laquelle les deux compagnons de bord de Ryland Grace n’auront pas survécu.

Que le lecteur soit favorablement prévenu : Ryland Grace dans l’espace est un alter ego du Mark Watney de « Seul sur Mars ». Un individu parfaitement normal, auquel tout un chacun pourra s’assimiler, mais doté d’une solide culture scientifique qui va lui permettre de résoudre mille et un problèmes. Un individu pragmatique, tenace, pugnace, obstiné, qui ne se découragera jamais, ni au début quand il comprendra que la mission dans laquelle il s’est trouvé embarqué est une mission sans retour, ni par la suite devant une incroyable succession d’obstacles, de pannes et d’autres défis et mésaventures. Un individu qui plus est doté du même humour que Mark Watney dans « Seul sur Mars » ou que Bob Johansson dans « Nous sommes Bob » de Dennis E. Taylor, occasion de passages hilarants aux moments les plus inattendus.

« Une espèce qui invente le voyage interstellaire avant le transistor, cela peut paraître bizarre, mais, après tout, nous avons nous aussi inventé l’énergie nucléaire, la télévision et même des engins spatiaux avant de développer le transistor. »

Évacuons d’emblée quelques scories mineures : les inévitables clichés à l’américaine (les agents du FBI venant chercher le scientifique dans des SUV noirs), les inévitables maladresses pour faire passer une poignée d’explications au lecteur (la responsable administrative du programme expliquant au scientifique le fonctionnement d’un laboratoire, alors qu’en tant qu’expert Ryland Grace est non seulement mieux placé qu’elle pour le connaître et en comprendre les ressources, mais devrait en sus avoir participé à sa conception), la très cinématographique séquence avion militaire spécial - hélicoptère militaire spécial sans donner d’explication au narrateur, clichés dont Andy Weir, fort heureusement, s’écarte ensuite assez vite. Les biologistes ne manqueront pas de trouver particulièrement audacieuse l’exobiologie imaginée par Andy Weir (une forme de vie basée sur l’ADN mais dont la membrane est capable, à la surface même du soleil, de maintenir la température interne à une valeur compatible avec les processus de chimie organique), mais ce sont avant tout les aspects de science physique et astronomique qui intéressent Andy Weir, lequel fait d’ailleurs appel à la physique des particules pour donner un soupçon de crédibilité à sa vermine de l’espace.

Des défauts mineurs, donc, et sur lesquels on glisse d’autant plus volontiers que l’auteur ne laisse que rarement au lecteur le temps de souffler. Un lecteur qui, dans le premier tiers du roman, pourra avoir l’impression de lire un vibrant hommage aux romans de l’âge d’or de la science-fiction, ces quelques décennies où la science triomphante promettait de venir à bout de tout, mais réalisera très vite, de surprise en surprise, que l’auteur est suffisamment malin pour savoir s’écarter quand il le faut du chemin des classiques. Et d’un bout à l’autre, à travers mille surprises et péripéties (que nous laissons au lecteur le soin de découvrir), ce miraculeux « sense of wonder », qui est l’essence même des grands et beaux récits de genre, ne s’éteindra jamais.

Mille ressources et péripéties, car « Projet dernière chance » est un véritable thriller. Alors que dans « Seul sur Mars » il était seulement question de survie, « Projet dernière chance » représente un double défi, sauver l’espèce, et, pour cela, commencer par se sauver soi-même. Rien n’est donné, rien n’est acquis. Mais l’esprit scientifique, celui d’un super-bricoleur, ne se dément jamais. “ Dieu nous offre le futur sur un plateau ”, explique un des personnages. “ Dieu nous offre surtout l’apocalypse sur un plateau”, rétorque un second. Le dialogue aurait pu être inversé, car c’est au cœur même du problème que les protagonistes s’en vont trouver les solutions, renversant à chaque fois les coups du sort à leur avantage. À chaque fois…. Pas toujours, en fait. Il arrive que ça ne marche pas. Il arrive que les imprévus s’accumulent. Il arrive que les solutions génèrent en cascades d’autres problèmes. Mais Ryland Grace, même dans les situations les plus désespérées, même quand il tombe de Charybde en Scylla, même quand il a l’impression que ses réserves de chance s’épuisent et que tout va de mal en pis, ne se décourage jamais. Il ne se laisse jamais paralyser ni par la peur ni par le désespoir. Ses seules limites sont ses besoins en sommeil. Ses aventures sont une apologie de la débrouillardise et de la ténacité. Dans l’abord des problèmes par Ryland Grace, on retrouve une particularité fondamentale du meilleur de l’esprit américain, qui, confronté à un problème, ne se demande pas un seul instant s’il est possible ou non de la résoudre, mais se demande simplement comment il va s’y prendre. On admire Ryland Grace, on tremble à ses côtés, on l’accompagne dans ses bricolages insensés, ses recyclages à la limite du possible, ses astuces techniques improbables, ses sorties extra-véhiculaires vertigineuses – on n’est pas près d’oublier le façonnage et l’utilisation folle d’une chaîne spatiale pour aller récupérer des échantillons dans une atmosphère inaccessible. Prince de la débrouille orbitale, roi des concepts fous, capable d’aller piocher aussi bien dans ses connaissances fondamentales et dans ses intuitions que dans les documents informatiques du vaisseau, Ryland Grace est un éloge vivant de l’ingéniosité.

Humour, pragmatisme et débrouillardise. Mais pas seulement. Car si Barack Obama a conseillé ce « Projet Dernière Chance  » dans sa liste de lectures de l’année 2021, ce n’est sans doute pas seulement parce que ce roman met en scène un personnage assez emblématique du pragmatisme à l’américaine, mais aussi parce qu’il est une ode à l’intelligence et à l’esprit de collaboration. Sans doute Barack Obama a-t-il gardé à l’esprit, en faisant sa sélection annuelle, que ce « Projet dernière chance  » a été écrit durant des années où le président américain alors en exercice a décidé de jeter intelligence et esprit de collaboration aux orties et de traiter par le mépris la plupart des valeurs fondamentales de l’Amérique. Des valeurs fondamentales qui sont celles de l’humanité toute entière dans ce « Projet Dernière Chance », qui privilégie l’intelligence et l’ouverture d’esprit jusqu’aux dernières pages – une réussite jusqu’aux toutes dernières lignes, une fin totalement inattendue qui emporte pleinement l’adhésion.


Titre : Projet dernière chance (Project Hail Mary, 2021)
Auteur : Andy Weir
Traduction de l’anglais (États-Unis) :Nenad Savic
Couverture : Aubrie Pick / Will Staehle
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 476
Format (en cm) :15 x 23,6
Dépôt légal : octobre 2021
ISBN : 9791028119676
Prix : 22 €



Andy Weir sur la Yozone :

- « Seul sur Mars » version poche
- « Seul sur Mars » grand format
- « Artémis »



Hilaire Alrune
11 novembre 2021


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