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Vision aveugle
Peter Watts
Le Bélial’, roman traduit de l’anglais (Canada), science-fiction, 448 pages, septembre 2021, 22,90€

Peter Watts n’est pas un auteur comme les autres. Il écrit une SF exigeante qui ne transige pas. En effet, ne comptez pas sur lui pour arrondir les angles et rendre le récit plus facile d’accès. La hard science à la sauce Peter Watts, il faut s’accrocher, accepter de ne pas tout comprendre, combler les vides pour expliquer certains points. Ce n’est pas lui qui va prendre le lecteur par la main en le rassurant.
Forcément, il divise. Il y en a qui jurent qu’on ne les reprendra plus et d’autres qui ne demandent que ça.
Lors de sa première publication, « Vision aveugle » a donné un grand coup de pied dans le paysage de l’imaginaire en France. Il a eu ses détracteurs et ses adorateurs, mais n’a pas laissé indifférent. La Yozone l’a d’ailleurs accueilli froidement.
Aujourd’hui indisponible, Le Bélial’ remet en quelque sorte le couvert dans une démarche qui fait sens après le recueil « Au-delà du gouffre », le roman « Eriophora » et le dossier que « Bifrost » lui a consacré dans le numéro 93.



Erwann Perchoc qui a co-dirigé l’ouvrage avec Olivier Girard a rédigé un mot qui explique à juste escient le pourquoi de cette réédition, non sans avertir que la SF de Watts, il faut s’y laisser entraîner.
Pour l’occasion, dans la préface “Le Rorschach, quinze ans après”, l’auteur revient sur ce roman, aussi bien une expérience qu’un défi à relever.

En 2082, l’humanité a eu la preuve qu’elle n’était pas seule : des milliers d’objets artificiels se sont consumés en frappant l’atmosphère, non sans émettre un signal, comme si la Terre venait d’être cartographiée. Quelques années plus tard, le Thésée est envoyé pour retrouver la trace des supposés extraterrestres. À son bord, cinq personnes : un biologiste modifié qui peut s’interfacer aux machines, une linguiste qui abrite plusieurs personnalités, une militaire, Siri Keeton, un synesthésiste servant de témoin et le commandant du Thésée, Jukka Sarasti, un vampire. Dans le nuage d’Oort, ils sont réveillés ce qui signifie qu’ils sont arrivés.

« Vision aveugle » est le récit d’un premier contact, mais à des lieues de ce que nous connaissons. L’équipage a de quoi surprendre, surtout commandé par un vampire, car oui, la génétique a tellement évolué qu’ils ont pu être ressuscités et l’absence d’émotions, le manque d’empathie, sans oublier un cerveau bien plus performant, le rendent plus apte que quiconque à prendre les décisions qui s’imposent. Celles-ci n’en sont pas moins incompréhensibles pour les autres qui sont avant tout des exécutants, sacrifiés sur l’autel du plus grand nombre.
Ce qu’ils trouvent dépasse la compréhension, la couverture de Manchu en donne un aperçu, mais ils ne sont pas venus pour attendre un signe, le bon vouloir d’une entité ou d’entités, Sarasti agit, explore, tâtonne sans souci pour ceux qu’ils envoient en mission. L’histoire est racontée par Siri Keeton qui lui aussi est dépourvu d’émotions, car une moitié de cerveau lui a été retirée dans sa jeunesse, charge à la moitié restante de combler les trous. C’est ainsi qu’il a développé sa capacité d’observation, de décryptage d’autrui, ainsi que sa fabuleuse mémoire. Il sert d’observateur, de témoin pour relater les faits en n’omettant aucun détail. Pourtant, Sarasti le sort de son rôle, l’envoyant sur le Rorschach comme a été nommé l’objet hérissé de pointes, ne cessant de grandir et à coté duquel le Thésée n’est que bien peu de chose. Que cherche-t-il ? L’équipage s’interroge comme le lecteur qui, dans la peau de Siri, tente de comprendre. Est-ce une mission pacifique pour échanger, en apprendre sur l’autre ou est-ce pour éradiquer la potentielle menace ? Les pensées de Sarasti échappent à la logique, du moins la nôtre, comme s’il cherchait le conflit, du moins à obtenir une réaction. On avance dans l’inconnu, dans l’expectative en drôle de compagnie. Où va-t-on ?
Siri Keeton n’est pas le plus apte à raconter cette histoire du fait de sa particularité, les bribes de son passé en témoignent régulièrement. Comme lui, le lecteur essaie de combler les vides, les omissions, comprenant qu’il n’est qu’un simple jouet dans une partie qui dépasse tout le monde et dont les enjeux sont colossaux.
Peter Watts relate une expérience de premier contact dépassant l’entendement. Hard science au programme, aussi bien dure que molle avec sciences physiques, interactions sociales, psychologie.... D’ailleurs, dans les notes et références d’après roman, l’auteur s’en explique. Pour apprécier « Vision aveugle », il ne faut pas résister mais s’abandonner au déferlement. Ce roman peut effrayer, mais il est très difficile de résister à l’appel, car rien que le résumé donne l’impression de tenir un livre pas comme les autres, de plonger dans une expérience à nulle autre pareille. Impossible de rester indifférent face à cette performance, car d’une performance il s’agit clairement.

« Vision aveugle » appartient à cette classe de romans exigeants qui montrent que la science-fiction peut atteindre des sommets, qu’elle peut toujours surprendre les amateurs du genre. Peter Watts ne transige pas, il raconte l’histoire à sa manière, fidèle à la SF telle qu’il la conçoit : une littérature d’idées, un laboratoire d’expériences, une plongée vertigineuse dans un futur loin d’être rieur.
Ce roman n’est rien de moins qu’énorme, passer son chemin serait une erreur car ils ne sont pas légion à offrir une telle évasion, à donner une telle claque dont il n’est pas facile de se relever.
On en oublierait presque la nouvelle “Les dieux insectes” qui n’a qu’un rapport lointain avec le roman. Du Peter Watts pur jus, mais qui après la lecture d’une telle somme passe au second plan.


Titre : Vision aveugle (Blindsight, 2006)
Auteur : Peter Watts
Couverture : Manchu
Illustrations intérieures : Thomas Walker & Centipede Press
Traduction de l’anglais (Canada) : Gilles Goullet
Éditeur : Le Bélial’ (1ère édition : Fleuve Noir, 2009)
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 448
Format (en cm) : 14 x 20,4
Dépôt légal : septembre 2021
ISBN : 9782843449871
Prix : 22,90 €


Peter Watts sur la Yozone :
- « Eriophora »
- « Vision aveugle »
- « Échopraxie »
- « Starfish »
- « Béhémoth »
- « Bifrost 93 » avec un dossier Peter Watts

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
21 octobre 2021


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