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James Graham Ballard et le cauchemar consumériste
Thierry Paquot
Le Passager Clandestin, collection Les Précurseurs de la décroissance, essai / anthologie, 119 pages, octobre 2021, 10 €


Quel rapport entre James Graham Ballard, auteur fameux, entre autres, de « La Forêt de cristal  », « Sécheresse  », « Le Vent de nulle part », « I.G.H  », « Crash  », « L’île de Béton » ou encore « Empire du soleil », et la décroissance, sujet auquel est dévolue la collection où paraît cet ouvrage ? Un rapport qui n’a rien d’évident, rien de manifeste, et ne constitue en tout cas pas l’une des premières thématiques auxquelles l’on pense en méditant l’œuvre de l’auteur. Thierry Paquot lui-même en convient dès son introduction : Ballard n’est “ni un idéologue ni un penseur de l’écologie et des alternatives frugales au capitalisme prédateur”, il “s’avère surtout un observateur implacable de la société de consommation”, mais on ne trouve pas sous sa plume “d’attaque impitoyable de la croissance économique”, et l’on peut même regretter à son sujet – du moins Thierry Paquot le fait-il – “l’inaboutissement de sa réflexion critique quant aux enjeux environnementaux.

Les choses sont donc claires d’emblée : à aucun moment l’auteur ne cherchera à forcer la thèse, à faire de James Graham Ballard un théoricien, un précurseur ou un apôtre de la décroissance. Cette approche de l’œuvre de James Graham Ballard par une de ses composantes marginales n’est pas pour autant à négliger : originale, inattendue, pertinente, elle offre un regard nouveau, elle décèle des constantes, des récurrences, une pensée critique que l’on effleure bien souvent à la lecture sans s’y attarder, parfois même sans la garder en mémoire.

Spécialiste des environnements à bout de souffle et des sociétés en déliquescence, Ballard apparaît en effet, en première lecture, plus comme un observateur que comme un théoricien ou un critique. Et c’est là un des intérêts de ce bref essai (une cinquantaine de petites pages), d’attirer l’attention sur cette critique à peine dissimulée à laquelle se livre en permanence l’auteur, et ceci pas seulement sur la fin de sa carrière, avec par exemple « Que notre règne arrive » (2006) qui apparaît comme un condensé de constats sociologiques développés dans « Millénaires mode d’emploi » (1996), « La face cachée du soleil » (1996), « Super-Cannes » (2000), « Millénium people » (2003), fin de carrière où l’auteur revient aux thématiques urbaines abordées deux décennies auparavant à travers« IGH » (1974) et « L’ile de béton » (1975), en moins paroxystique, mais peut-être en plus inquiétant. Critique, donc, sur la société de consommation, sur la dérive de vies déshabitées par un trop grand bien-être, par une trop grande abondance. Mais il y a aussi, chez Ballard, l’après, que caractérise une autre partie de son œuvre.

Dans cet « après » qui est celui d’une vaste partie de l’œuvre de Ballard (celui de « Sécheresse », « La Forêt de Cristal », « Salut l’Amérique », « Le Vent de nulle part  »), que l’on pourrait nommer un « tout juste après » ou un « presque présent », (Thierry Paquot ne manque pas, à juste titre, de citer Ballard expliquant que l’anticipation est une manière d’explorer le présent), les choses apparaissent bien différentes. Grand amateur de paysages modernes déjà en déréliction à forte valeur symbolique (les pas de tir de Cap Canaveral) ou sociologique (les zones commerciales, les enclaves résidentielles), Ballard se positionne plus comme le témoin anticipé des déclins et des paysages post-critiques que comme un théoricien ou un moraliste cherchant à établir un lien entre les modes de vie décrits dans ses ouvrages à veine strictement contemporaine et ses univers déclinant, à leur manière propre, les anticipations multiples des collapsologues. En y mettant en scènes des personnages à la dérive dont les espaces intérieurs répondent, en échos intimistes et obsessionnels, à ces espaces extérieurs souvent déshabités, Ballard apparaît souvent plus comme un poète du post-effondrement qu’à un lanceur d’alerte essayant d’attirer l’attention sur un futur inéluctable. Pourtant, et Thierry Paquot a le mérite de nous le rappeler, par exemple avec un extrait de « Salut l’Amérique ! », l’auteur, en abordant la crise responsable de la désertification des États-Unis, ne fait pas que dérouler son roman dans un futur proche déconnecté des responsabilités de nos contemporains.

Un lien entre présent et futur proche sur lequel ne manque pas d’insister l’auteur de ce « James Graham Ballard et le cauchemar consumériste ». Après quelques rappels sur la vie et l’œuvre de Ballard, il intitule une première partie « Itinéraire d’un romancier qui traque le futur dans le présent  », la fait suivre en toute logique d’un chapitre nommé « Visions de l’apocalypse écologique » puis, bouclant la boucle, d’une troisième partie elle aussi anticipatrice prédisant « Le consommateur consommé  ». Supportés et nourris par de nombreuses citations de Ballard, ces développements sont suivis de plusieurs extraits démonstratifs tirés de «  Millénaire mode d’emploi », « Salut l’Amérique ! », « La Région du désastre », « Que notre règne arrive » et « Appareil circulant à basse altitude ». L’ensemble compose une belle vision d’un auteur singulier qui, depuis ses débuts dans les années cinquante, a déjà marqué plusieurs générations de lecteurs. Ce « James Graham Ballard et le cauchemar consumériste » devrait donc intéresser non seulement les amateurs de Ballard, mais aussi, à travers des thématiques particulièrement prégnantes, ceux qui se penchent sur les maux criants dont souffre notre monde.


Titre : James Graham Ballard et le cauchemar consumériste
Auteur : Thierry Paquot
Couverture : Ferdinand Cazalis
Éditeur : Le Passager clandestin
Collection : Précurseurs de la décroissance
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 119
Dépôt légal : octobre 2021
ISBN : 9782369351160
Prix : 10 €



James Graham Ballard sur la Yozone :

- La Vie et rien d’autre
- Que notre règne arrive



Hilaire Alrune
23 octobre 2021


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