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TerreS
Carina Rozenfeld
Syros, Hors collection, roman (France), science-fiction, juillet 2021, 404 pages, 17,95€

Clara a été créée en laboratoire sur Terre0. Équipée d’une combinaison haute technologie, elle « saute » entre les mondes parallèles, d’une Terre à l’autre, pour trouver une version vierge de notre planète où la population pourra émigrer.
Mais pourquoi, à chaque fois, croise-t-elle toujours le même grand barbu rouquin aux yeux bleus, Xander ? Comment peuvent-ils être liés ?



Carina Rozenfeld signe ici un très beau roman de SF, très actuel avec ses questions écologiques, et le mêle à une histoire d’amour impossible et magnifique.

Le bilan initial est sombre. Terre0, la planète de Clara, n’est pas au mieux de sa forme, et elle pourrait être la nôtre : dérèglement climatiques, surexploitation des ressources, jour du dépassement de plus en plus tôt... mais les dégâts pourraient être moindres avec une bonne prise de conscience. Hélas, les gens de Terre1, eux, n’ont pas eux cette réflexion : ils ont pressé leur planète jusqu’à la dernière goutte, puis ouvert un passage pour s’établir sur une autre planète, et recommencer. Ils incarnent ce qui nous dirige actuellement, le capitalisme qui ne voit pas que le monde brûle puisque leur clim fonctionne et qu’ils ont leur bunker de secours. Les scientifiques qui missionnent Clara paraissent déjà plus vertueux : certes, ils veulent fuir eux aussi, mais pour échapper à leurs envahisseurs, et au seul prix de ne pas reproduire cette prédation sur d’autres. Il s’agit donc de trouver une Terre viable ET vierge de toute civilisation. Une hypothétique planète B.
Et c’est là que le voyage à petits bonds de Clara commence. Un chapitre par planète, où elle ne passera parfois que 3 heures, le temps de recharger les batteries et de trouver la preuve que la place est déjà prise.
Les premiers contacts, le temps d’installer l’histoire et le personnage, balaie les cas de figures « évidents » : des versions de la Terre post-apo, du fait de la guerre, de la pollution ou d’une pandémie (tout à fait d’actualité...), où l’humanité survit ; une autre restée au Moyen-Âge et au système féodal ; une dominée par les dinosaures qui ne se sont pas éteints ; enfin une magmatique où la vie n’est jamais apparue.
On pourra avoir un sentiment de répétition dans les pensées de Clara, et si dans un premier temps je l’attribuais à une volonté de bien ancrer les thématiques dans l’esprit du lecteur, de manière peu subtile, la qualité du reste du roman m’a fait corriger cela : ce ressassement de sa mission, des enjeux, les mêmes tournures, les mêmes mots, tout cela instille au contraire finement la contrainte psychologique qui pèse sur la jeune femme née en laboratoire pour accomplir cette mission : tout cela sera un long, voire un éternel recommencement, à chaque saut, à chaque déception. Elle est seule, jusqu’à croiser des gens, rencontre qui signifie qu’elle doit poursuivre sa route, sa mission est solitaire et sans fin garantie.

Bien heureusement, d’autres rebondissements interviennent : sa rencontre systématique avec Xander, un grand roux barbu aux yeux bleus. La coïncidence est d’autant plus troublante qu’ils semblent rêver mutuellement de l’autre, et que ces rêves sont partagés par les Xander de chaque Terre...
Ainsi, Terre après Terre, Clara le retrouve, souvent en train d’aider son prochain, et peu à peu s’attache à lui, tombe amoureuse, découvre des sentiments et un appétit de chaleur humaine auxquels sa formation ne l’a pas préparée. C’est à chaque fois un déchirement pour elle de l’abandonner, un espoir de le retrouver dans le monde suivant, une déception quand ce n’est pas le cas. Comme au début de toute relation, c’est souvent son corps qui parle, qui exprime son désir, une faim de fusion pour combler la solitude de sa mission. Et s’y ajoute l’étrangeté qu’il fil de ses sauts, les Xander ont vu en rêve leurs moments ensemble. L’autrice exploite tout en douceur cette relation complexe, lui un et plusieurs à la fois, elle qui le quitte et le retrouve, un autre mais avec leurs souvenirs communs...

Le procédé des mondes parallèles prend tout son charme dans le traitement de cette histoire d’amour. Je n’arrive pas à remettre le doigt sur un titre de film qui a exploité le principe (de manière moins feuilletonnesque que la série « Sliders », bien sûr), mais à défaut on pense aux voyages temporels, comme dans « Il était temps » de Richard Curtis ; et surtout au très beau « Les Oiseaux du temps » paru chez Mu (Mnémos) au printemps. Et cette question, cruciale : Clara peut-elle sacrifier sa mission pour vivre heureuse ? En est-elle capable ?

Forcément, les choses vont tourner au drame, car les gens de Terre1 ne sont ni inactifs ni altruistes, mais je tairai le ressort trouvé par Carina Rozenfeld, terriblement logique au regard de son histoire. Nos deux héros s’en sortiront pourtant en renversant à leur avantage la particularité des Xander et le voyage de Clara, pour nous offrir, après encore quelques péripéties fort bien trouvées et d’autres ruptures déchirantes, ce qui ressemble le plus à un happy end sans mièvrerie ni triomphalisme. Jusqu’à la fin, l’autrice utilise les outils de son cadre SF sans en abuser, juste pour refermer des portes et ne pas nous laisser sur notre faim.

« TerreS » tient toutes ses promesses, celles d’un bon roman de SF aux préoccupations contemporaines, une réflexion sur ce qui fait l’humanité au travers de son héroïne, un hommage à de nombreuses anticipations, une très belle histoire d’un amour impossible, une opposition entre le devoir et le droit au bonheur pour soi, la fin du complexe du héros... Tout cela dans un roman qui n’a pas à rougir d’une étiquette jeunesse et qui trouvera sa place entre toutes les mains.


Titre : TerreS
Autrice : Carina Rozenfled
Couverture : photomontage
Éditeur : Syros
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 404
Format (en cm) :
Dépôt légal : juillet 2021
ISBN : 9782748530148
Prix : 17,95 €



Nicolas Soffray
8 septembre 2021


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