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Blues pour Irontown
John Varley
Gallimard, FolioSF, roman (USA), SF/polar parodique ?, 323 pages, mai 2021, 8,40€

Sur la colonie de Luna, Chris Bach est détective privé, avec son chien augmenté, un saint-hubert appelé Sherlock. Fan des vieux polars terrestres d’avant l’exode, d’avant l’Invasion, Chris cherche un sens à sa vie, à jouer les flics dans une colonie plutôt calme, à marcher dans les pas de sa mère, la commandante des forces de police lors de la Grande Panne...
Acceptant de retrouver qui a contaminé une femme avec une sale maladie de peau, Chris se voit contraint de quitter le confort douillet de sa banlieue au style années 50 pour aller à Irontown, le bidonville de la colonie, refuge des marginaux, des criminels, et scène de son traumatisme de jeunesse... Il recule l’échéance, au grand dam de Sherlock qui a hâte de se mettre en chasse. Et puis rien ne se déroule comme prévu, et c’est Sherlock qui doit une fois de plus veiller sur son maître.



Qui ne connaît pas John Varley jugera le bonhomme sur sa truculente intro, qui dézingue les sensitive readers qui ont expurgé son texte aux USA. Sachez qu’il a tout de même raflé 3 Hugo et 2 Nebula dans sa carrière. Ce « Blues pour Irontown », paru en grand format chez Lunes d’encre, avec la même magnifique couverture d’Alain Brion, se place dans le même univers que « Le Canal Ophite », « Gens de la Lune » et « Le Système Valentine », à savoir une colonie lunaire, dans un lointain avenir. La Terre a été attaquée par des aliens, les survivants se sont planqués bien profonds, et quelques siècles plus tard, une bonne partie du système solaire est repeuplée et une certaine opulence règne. La paix aussi, parce qu’une guerre coûterait trop cher et risquerait de rappeler les envahisseurs et nous refaire partir à zéro une fois de plus.

Dans les canyons aménagés de Luna, les habitats technologiques souterrains se plient aux goûts vintage des habitants, véritable patchworks de parcs à thème. Idyllique, trop pour être vrai. À côté de cela, il y a Irontown, refuge des dissidents qui occupent les habitats anciens, respirent un air moins propre, mangent des protéines moins bonnes... C’est là que prospèrent les Heinleinistes, une secte qui défie le Computer Central, l’IA qui chapeaute la colonie.

Et derrière la pseudo-enquête de Chris Bach, saupoudrée de moult références au polar du XXe siècle, l’auteur nous raconte une toute autre histoire, celle de la colonie, et celle de Chris, qui y a pris une part active, soldat enrôlé, embrigadé pour « nettoyer » Irontown de ses pires éléments. Une opération qui foira dans les grandes largeurs, l’IA ayant sérieusement déraillé et engagé des mercenaires d’un planétoïde-prison pour jouer du karcher-laser dans le quartier. Chris y aura laissé des plumes, frôlé la mort et assisté impuissant au massacre d’innocents.
Alors, retourner sur les lieux, plus de 10 ans plus tard...
L’auteur nous brosse un magnifique portrait psychologique de son personnage, qui tourne autour du pot un moment avant de nous raconter son passé. Sa relation avec sa mère, flic retraitée reconvertie dans l’élevage de dinosaures d’agrément, est aussi symptomatique de ce trauma mutuel que fut pour eux la Grande Panne, à des degrés très différents.

L’autre voix de cette histoire, c’est Sherlock, le saint-hubert « amélioré » et traduit par une professionnelle assermentée, Penny. On s’interroge vite, poussé par les miettes laissées par l’auteur et la « traductrice » : dans quel cadre recueille-t-elle la version de l’histoire de Sherlock ? Il est semble-t-il arrivé quelque chose à Chris... L’auteur jouera jusqu’au bout avec nos nerfs, d’autant que l’intrigue bascule complètement aux trois quarts du roman, justifiant la faiblesse de l’enquête policière et l’importance des souvenirs refoulés de Chris.
Mais surtout, Penny essaie de traduire au plus juste Sherlock. Et sa façon de penser très canine. On est loin du chien de Jack dans « Songe d’une nuit d’Octobre » de Roger Zelazny, pour le coup assez humain. Sherlock pense en chien. Manger, dormir, flairer les pistes, faire plaisir à son maître, qu’il considère comme son alpha. Il a aussi beaucoup d’humour, d’humour de chien amélioré, et adore les homophonies par exemple. Et surtout, il a conscience qu’il est plus malin que les humains. Même que son maître, qui perçoit mal les odeurs et n’a toujours pas compris qu’il a réussi à pirater son collier GPS et connaît des passages secrets dans les entrailles de Luna, qui lui permettent de veiller sur lui même lorsque son maître le laisse à l’appartement.
Les chapitres narrés par Sherlock sont de petits bijoux, et on saluera le talent de John Varley (et de Patrick Marcel en passant) qui trouve le juste équilibre entre lisibilité et retranscription des préoccupations canines. On voit réellement une partie de l’intrigue à hauteur de super-chien.

« Blues pour Irontown » surprend par son écriture, ses chemins de traverse, son humour et sa dérision, mais aussi par l’image de l’avenir qu’il propose, la technologie baignant une humanité libérée de nombreux carcans sociétaux et surtout religieux. Varley glisse l’air de rien des pointes de réflexions sur la liberté sexuelle, le choix du genre, les libertés individuelles et un certain vivre-ensemble à hérisser le poil des conservateurs américains, caricaturé dans cette IA devenue folle.

C’est aussi exubérant qu’intelligent. De l’excellente SF qui se lit toute seule. Et un auteur à connaître absolument.


Titre : Blues pour Irontown (Irontown blues, 2019)
Série : cycle Canal Ophite / Gens de la Lune / Système Valentine
Auteur : John Varley
Traduction de l’anglais (USA) : Patrick Marcel
Couverture : Alain Brion
Éditeur : Gallimard (édition originale : Denoël, 2019)
Collection : FolioSF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 687
Pages : 323
Format (en cm) : 18 x 11 x 1,5
Dépôt légal : mai 2021
ISBN : 9782072903366
Prix : 8,40 €



Nicolas Soffray
19 juillet 2021


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