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Mort et déterré
Jocelyn Boisvert
Fleurus, roman (Canada), zombie, 359 pages, février 2021, 15,90€

Le dernier jour de classe de 4e de Yan Faucher aura été son dernier jour tout court : poursuivi par un délinquant qui caillassait une église, il est renversé par un camion. Mais son esprit ne disparaît pas, et reste attaché à son corps. Il assiste à ses funérailles, et son petit frère glisse un « collier magique » dans son cercueil. Est-ce grâce à ce gri-gri qu’il parvient, au bout d’un an sous terre, à bouger de nouveau ? Il sort de terre et va voir ce qu’est devenu sa famille. Et là, c’est le drame : son père fait une dépression, sa mère a un amant prof de yoga, sa grande sœur Mara file un mauvais coton et Nathan s’est muré dans le silence.
Avec l’aide de son pote Nick, fan de film d’horreur, et sa copine Alice, Yan va tenter de réparer les siens.



Prolifique auteur canadien, Jocelyn Boisvert publiait en 2008 ce joli roman avec un héros mort-vivant bien loin des hordes de « Walking Dead » et ses dérivés : l’ado défunt revient non pas pour manger des cerveaux, mais pour aider sa famille à faire son deuil.

Écrit à la première personne, « Mort et déterré » nous glisse dans la peau d’un ado plein de rêves brutalement balayés par un camion. Fini le tournage d’un film avec son pote Nick, oubliée la lettre que vient de lui glisser Alice, une fille un peu strange de sa classe... Revenir d’entre les morts est une seconde chance, non pas de vivre, mais de voir comment sa vie et sa mort ont changé la vie des autres.
C’est forcément un peu introspectif, puisque le héros est seul avec lui-même un bon moment, et tourne en boucle sur des questions auxquelles il n’a pas encore la réponse. Pourquoi ? Comment ? Le roman en lui-même est une jolie réponse.
L’auteur s’attache aussi à rendre son personnage crédible : Yan pue la décomposition, ce qui n’est pas génial pour passer inaperçu, attire les chiens errants, perd parfois des petits bouts de membres, et surtout le peut plus parler, mais vaguement mugir. Ce qui rend la communication difficile, requiert un carnet, ou un clavier comme planche Ouija.

Le retour de Yan est l’occasion d’une drôle d’aventure, puisqu’il ne passe pas totalement inaperçu, surtout lorsque sous le coup de la colère il se montre à l’amant de sa mère ou aux passants, déclenchant rapidement des patrouilles de la police. Là aussi, l’auteur est très cohérent, aucun des actes de Yan n’est sans conséquence, et lui et ses amis vont avoir du mal à circuler en ville. Nick déguise d’abord son ami, mais déambuler en ville avec un masque de Martien fait peur aux gens. Mais cela permet à Yan de croiser sa soeur et de rentrer chez lui, observer sa famille.
Chacun a donc réagi à sa mort différemment, et après bien des hésitations Yan refuse de se dévoiler, mais préfère agir dans l’ombre pour leur bien. Par contre, c’est souvent la colère qui le submerge lorsqu’il rencontre les gens autour de sa famille. Il prend plaisir à faire peur au prof de yoga de sa mère, gourou un peu trop entreprenant. Lorsqu’il découvre que sa sœur sort avec le type qu’il fuyait juste avant son accident, c’est aussi une envie de vengeance qui s’empare de lui. mais elle est vite tempérée par un peu d’observation : le gars est bien malheureux, avec un père absent et une sœur défunte. Et là encore, Yan, plutôt que se venger, va l’aider.

La trame de Mort et déterré est donc assez linéaire : Yan va aider ses proches l’un après l’autre. Le rythme est par contre en dents de scie : entre chaque séquence de sauvetage moral, assorti d’un peu de philo sur la vie et la mort, une péripétie (l’arrivée de la police, souvent, la nécessité de fuir) intercalera un peu d’action et de la tension, un sas de décompression nécessaire. Si les plus âgés tiqueront parfois sur la maturité acquise par Yan durant sa mort, et quelques petites incohérences sur son caractère, ou son rapport à la religion (un point sensible au Canada), le public-cible appréciera de se couler dans un personnage qui lui ressemble, avec ses contradictions, ses surprises. Idem pour Nick et Alice. Cette dernière a beaucoup changé : elle « se cherchait » au début du livre, venait de trouver le courage d’avouer ses sentiments à Yan (la fameuse lettre), et son décès brutal a changé la donne. Mais elle a choisi d’en sortir plus forte, plutôt que se replier sur elle-même. Cela donne de très beaux moments d’une histoire d’amour impossible, doublé d’un triangle puisqu’elle sort plus ou moins avec Nick, tout deux s’épaulant suite à la disparition de leur ami.

La dernière partie tranche avec le reste. Suite à un nouvel accident, Yan se retrouve éparpillé. Plus du tout maître de ses mouvements, il va subir, simple spectateur, le passage du temps et de la nature. Un moment d’ode au calme et aux grands espaces, avant qu’on le retrouve et qu’on le restitue aux siens. Ce passage final est l’occasion d’une nouvelle réflexion sur la façon dont nous traitons nos défunts et les restes de leur corps. Au travers du roman, Boisvert pousse les jeunes lecteurs à s’interroger sur nos pratiques funéraires, et leur apporte des éléments de réponse, avant une conclusion la plus heureuse possible.

Mêlant à justes doses aventures rocambolesques et réflexion sur le deuil et la place des morts parmi les vivants, Mort et déterré a son rythme propre, et nous emporte bien loin des thèmes habituels des romans à zombies.
Adapté en BD chez Dupuis depuis 2019, un troisième tome va bientôt paraître.

Et pour les plus grands qui voudraient continuer dans la veine du mort-vivant « différent », je ne peux que chaudement conseiller « L’éducation de Stony Mayhall » de Daryl Gregory


Titre : Mort et déterré
Auteur : Jocelyn Boisvert
Couverture : Pascal Colpron
Éditeur : (édition originale : Soulières, 2008)
Collection :
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 359
Format (en cm) :
Dépôt légal : février 2021
ISBN : 9782215162346
Prix : 15,90 €



Nicolas Soffray
4 juin 2021


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