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Royal Special School, tome 1 : Frissons et plum-pudding
Yael Hassan & Nancy Guilbert
Gulfstream, roman (France), fantastique, 218 pages, septembre 2020, 13,90€

La jeune Rose Rubin rejoint la Royal Special School, institution réputée de Foggy Island, Écosse, avec appréhension. Ses parents morts dans le naufrage du Titanic, c’est sont grand-père, riche industriel, qui l’a décidé. Marcus, son frère aîné, qui y a passé cinq ans, la met en garde et lui conseille de se faire une amie, une confidente, pour mieux supporter les règles strictes de l’établissement.
C’est une autre sorte de rentrée pour Virginia MacGlenn. A 12 ans, elle devient aide-cuisinière à l’école pour apporter un salaire supplémentaire à sa famille nombreuse. Elle devient vite la tête de turc de Mary, l’irascible cuisinière, qui lui crie dessus en permanence et lui donne toutes les corvées.
Les deux fillettes échangent un sourire, un regard, et malgré leurs origines différentes, vont vite devenir amies et, ensemble, lever le mystère autour de certains personnages de l’école : pourquoi dit-on qu’il n’y a plus de bibliothécaire ? Virginia l’a rencontré, pourtant. Et ce garçon blond qui ne va pas en classe ? Et cette dame croisée dans la cuisine ? Qui sont-ils ? Et pourquoi seules les deux fillettes peuvent-elles les voir ?



Yael Hassan et Nancy Guilbert sont deux autrices prolifiques et chevronnées, lauréates de nombreux prix et sélections jeunesse. A quatre mains, elles nous proposent ici un joli roman fantastique dans l’Écosse du début du XXe siècle. A deux voix, elles nous présentent deux mondes différents : Rose est orpheline mais d’une famille aisée, et élève de l’institution, tandis que Virginia est fille de pêcheur et domestique. Leurs échanges, même une fois la glace brisée, restent emprunts de cette différence de classe sociale. Bien que l’aînée de 2 ans, Virginia a du mal à ne pas vouvoyer Rose. Elle est aussi complexée par son illettrisme, qui sera un moteur de l’intrigue (elle veut apprendre auprès d’Augustus, le bibliothécaire) qu’un frein (elles ne peuvent pas s’échanger de messages). Ses origines populaires, sa culture baignée de légendes, de chansons du pays, sont pour beaucoup dans l’attachement qu’on peut éprouver. Ses divagations fréquentes, où elle donne la parole aux animaux ou aux arbres, sont très originales, et cachent probablement autre chose, ce que la suite nous dira. En comparaison, Rose est plus entreprenante, mais aussi plus fade à suivre.

Le thème de l’école isolée et du mystère qui plane font bien évidemment penser à Harry Potter, mais le duo d’autrices sait s’en démarquer assez rapidement, avec déjà une unité de temps plus resserrée, puisque tout se déroule les deux premières semaines d’école. Certes, on assiste à bien peu de cours, pour se concentrer davantage sur les temps libres et les repas avec Rose, seul le théâtre du samedi est un grand moment. Avec Virginia, on voit toutes les tâches qui lui incombe, notamment la cuisine, qui permet de faire une longue liste des spécialités écossaises, toutes à base de patates, de navets, de mouton et de gras, avec des raisins secs pour les nombreux différents cakes de dessert. On regretterait presque que la liste en fin d’ouvrage ne donne pas de recette (au moins des cakes) comme le fait la série « Les chevaliers de la Raclette », alors que la cuisine est un élément très présent et marquant de l’atmosphère.

Et, à bien y creuser, c’est l’une des nombreuses petites imperfections de cette histoire. Si on apprécie, bien sûr, que les deux héroïnes ne réalisent pas tout de suite qu’elles ont affaire à des fantômes (il leur faudra les 3/4 du livre), les lecteurs, même jeunes, auront compris bien plus tôt, et les derniers chapitres peuvent paraître longuets, Rose et Virginia n’arrivant pas à se croiser pour s’échanger leurs informations. On a une sensation de remplissage, parfois utile pour l’ambiance & les relations entre les personnages, parfois un peu exagéré, pour faire monter artificiellement le suspense de la révélation qui, on l’a dit, a déjà eu lieu chez les lecteurs. On n’est pas dans le film « Sixième sens », trop d’indices auront été donnés pour ne pas avoir compris. On finit ce premier tome un peu frustré, et on a hâte de lire la suite pour entrer dans le vif du sujet et la résolution du mystère. Néanmoins, il faut le reconnaitre, cette longue mise en place permet d’installer une atmosphère, et des personnages secondaires comme la vieille Elfie, sorcière du village, ou les sens d’Ewen, le petit frère aveugle de Virginia, y contribuent très bien.

D’autres points sont assez paradoxaux. Les autrices saupoudrent leur roman de nombreuses citations, expressions anglaises, poèmes ou formules latines, marques d’érudition engendrant moult notes de bas de pages, y compris parfois pour du vocabulaire français peut-être désuet (mais c’est très subjectif). Et à côté de cela, « Royal Special School » est écrit dans un présent de narration très désagréable, je n’ai pas d’autres mots, et une prose surchargée de détails qui, dès le début, nie toute notion de « show, don’t tell », comme si on voulait réconcilier deux façons d’écrire opposées, une « classique » confiante en l’intelligence du lecteur, et une ultra-contemporaine qui donnerait toutes les clés, certes en vrac, quitte à perdre l’information dans le flot. Cela donne finalement une histoire qui avance lentement, pas désagréable à découvrir mais pas toujours entraînante.

A l’inverse, certaines informations n’arrivent que tardivement (la possibilité de Virginia de rentrer chez elle tous les 15 jours, le courrier de Rose qui n’arrive pas), comme si on avait oublié ces éléments avant, qu’on les rajoutait après. Quitte à changer complètement la façon de penser des personnages ou à rendre leur attitude précédente peu cohérente... Mais c’est comme en cuisine, on ne rattrape pas forcément un plat en corrigeant son oubli...
On pourrait signaler d’autres points, comme l’absence de référence à la guerre, ne serait-ce qu’en fond (on est en 1918 quand même) alors que les héroïnes ont chacune un frère dans la marine. Mais le plus problématique reste que Mary et Virginia semblent être, avec la lingère Agatha, les seules domestiques pour un pensionnat d’une centaine d’élèves, et la préparation des repas comme la gestion de la cave ne semblent pas un problème...

En conclusion, si j’ai plutôt aimé, j’éprouve un sentiment mitigé. La couverture (excellent travail de Coralie Muce) et le résumé avaient engendré beaucoup d’attente de ma part, et si la plupart sont satisfaites, voire dépassées, les trous ou paradoxes narratifs et littéraires cités plus haut me laissent un rien déçu et perplexe. Espérons que le tome 2 balaiera tout cela !


Titre : Frissons et plum-pudding
Série : Royal Special School, tome 1
Autrices : Yael Hassan & Nancy Guilbert
Couverture : Coralie Muce
Éditeur : Gulfstream
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 218
Format (en cm) :
Dépôt légal : septembre 2020
ISBN :
Prix : 13,90 €



Nicolas Soffray
14 avril 2021


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