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Fannie et Freddie
Marcus Malte
Zulma, novellas (France), 160 pages, octobre 2014, 15,50€


Fannie et Freddie

Fannie, qui pourrait être jolie, dont la seule coquetterie est son œil de verre peint à la main, s’apprête pour un rendez-vous, une rencontre décisive. Elle s’inquiète, de son âge, de sa réaction... Elle arrive en avance, attend, tourne en rond sur le parking avant de se garer, à l’heure dite, à côté de sa voiture à lui.
Elle simule une roue à changer, lui décolle les yeux de son smartphone, avant de se prendre un coup de taser et d’être fourré dans le coffre.
Elle veut le présenter à ses parents...

Avec le style qu’on lui connaît, un art d’une narration externe mais à la focale serrée, d’un choix bien pesé, étroit des faits et des pensées qu’il donne à voir à ses lecteurs, Marcus Malte nous embarque dans cet étrange rendez-vous galant, rapt à la « Dolorès Claiborne », du King à la sauce Tarantino, puisque l’horreur va se poursuivre, une fois parvenus à la demeure parentale. Quelques indices saupoudrés laissent entrevoir le fond de cette histoire, bien réel, percutant et encore vif dans les chairs de ceux qui l’ont vécu ou s’attendent à le vivre : la crise des subprimes et la bulle immobilière qui a suivi. Ou comment des analystes financiers, comme Freddie, ont ruiné des millions de citoyens avec le miroir aux alouettes d’un crédit à taux variable. Jetant les gens dehors pour saisir des maisons alors mises en vente par millions, désertifiant des quartiers complets. On pourra y voir un écho au lotissement de « Cannisses ».

Encore une fois, dans une novella d’à peine 90 pages, Malte fait mouche, brisant nos présupposés initiaux d’un violent choc électrique, nous confrontant à l’horreur physique autant que psychologique vécue par Freddie, incarnation du Mal aux yeux de Fannie. Elle-même oscille sur un fil délicat entre vengeance froide et folie destructrice. On est frappé par la tension omniprésente, qui va crescendo, tout comme l’émotion, l’empathie pour cette famille ordinaire frappée par un mal rampant. Freddie pourrait passer pour une victime innocente, il est le loup sacrifié au nom des siens par une brebis qui ne supporte plus qu’on s’en prenne impunément au troupeau. Marcus Malte campe magnifiquement ces deux personnages, avec une Fannie à bout, déterminée, qui n’a plus rien à perdre face à un Freddie chez qui la morgue a laissé place à la veulerie et la peur, symptomatique de la déconnexion des élites bancaires, qui brassent des chiffres en oubliant les humains derrière.

La fin est aussi brutale que le reste, comme un coup de semonce, laissant imaginer pire pour la suite.

Ceux qui construisent les bateaux ne les prennent pas

Retour sur les terres natales de l’auteur avec cette 2e histoire. La Seyne sur Mer (patrie de l’auteur), aujourd’hui, ses chantiers navals déserts, la cote de station balnéaire internationale en berne. Ingmar Pehrsson, fils d’ingénieur naval suédois muté là et jamais reparti, est un flic rongé par la mort de son copain Paul Sastre, trente ans plus tôt. Condamné à quelques jours de congés forcés, il erre sur la plage, langue de sable jusqu’à l’endroit où on a retrouvé le corps. Et remontent les souvenirs, la complicité de l’enfance malgré la différence sociale... Ingmar n’a jamais admis la version officielle. Il est resté à La Seyne, est devenu flic pour mener sa propre enquête. Il a pu aider une des sœurs de Paul, battue par son mari, et aujourd’hui ils se fréquentent bizarrement, entre le spectre de Paul et une hésitation à briser une amitié quasi fraternelle. Et il y a le coupable désigné à l’époque, un SDF, ancien syndicaliste des chantiers navals, brisé par un accident du travail. Et enfin, cette arme, que Paul et lui ont volée dans sa cabane...
Novella très immersive que voilà. On ressent à chaque phrase, quasiment, le poids du crachin sur nos épaules et le crissement du sable humide sous nos pieds. Le mal-être d’Ingmar, qui s’abrutit de travail depuis des années, pour... quoi exactement ? Au fil des pages, son amitié avec Paul prend d’autres accents, d’autres nuances, et les faits intrigants, sinon équivoques s’accumulent, jusqu’à la révélation finale... qui rassurez-vous, n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire. Au contraire, comme dans la nouvelle précédente, l’auteur se garde bien d’une réponse évidente, et nous laisse, à l’instar de son héros, Sysiphe du Nord, dans un doute bien inconfortable.
Une nouvelle fois, Marcus Malte fait preuve de son art, avec une écriture très poétique et très introspective. Le décor grisâtre, presque post-apo des chantiers désertés en toile de fond contraste avec le soleil qui semble inonder ses pensées, avant la nuit fatidique. On suit les pensées d’Ingmar, on rebondit avec lui d’une sensation à un souvenir, on se coule en lui, dans la douleur sourde, dans le poids de ses choix, passés et présents, mais avec toujours ce petit doute, ce trouble entre l’enquêteur, tenace les proches minés par le chagrin, et peut-être le suspect rongé par le remords.
Si forcément on ressent un goût amer d’insatisfaction immédiate, force est de constater que la musique de cette histoire, comme celle des autres novellas de l’auteur, reste ancrée profondément et pour longtemps.


Titre : Fannie et Freddie
Auteur : Marcus Malte
Couverture :
Éditeur : Zulma
Collection : Littérature
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 160
Format (en cm) : 19 x 12,5 x 1
Dépôt légal : octobre 2014
ISBN : 9782843047268
Prix : 15,50 €



Nicolas Soffray
7 juillet 2021


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