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Dieu caché (Le)
J.F. Dubeau
Bragelonne, collection Terreur, traduit de l’anglais (Canada), fantastique, 414 pages, septembre 2020, 18,90 €


Saint Ferdinand, au Québec. Un petit village isolé. La forêt. Des meurtres inexpliqués. Une créature surnaturelle, ancienne, maléfique, dont l’existence n’est connue que de quelques individus. Des confréries secrètes. Un médecin légiste qui se livre à des manipulations qui ne correspondent pas vraiment à celles qui sont recommandées par la science. Un cirque avec d’étranges personnages, qui semble avoir avec les lieux, ou avec ses habitants, des liens anciens. Des adolescents à qui arrivent d’étranges et sanglantes mésaventures. Et d’autres choses encore. Le tout pour composer un premier roman inquiétant, mais pas sans défauts.

En effet, si l’auteur a parfaitement compris la méthode Stephen King – ancrer au mieux le fantastique dans le réalisme le plus appuyé – il peine néanmoins à la mettre en pratique de manière convaincante. Cette histoire d’habitants d’un petit village confrontés à une force maléfique constituait pourtant le terreau idéal pour un tel exercice. Hélas, l’auteur multiplie les situations et les protagonistes sans jamais parvenir à leur donner de véritable épaisseur ; les personnages sont des stéréotypes, leur psychologie apparaît peu crédible, et les dialogues sont ceux de feuilletons télévisés superficiels.

Il faut avant tout, pour avancer à travers les chapitres de ce « Dieu caché », faire preuve d’une suspension d’incrédulité à toute épreuve. Suspension d’incrédulité dès le premier chapitre, et qui doit sans cesse être renouvelée. Un petit village d’à peine deux mille habitants où des gens disparaissent ou sont retrouvés morts depuis bien longtemps mais où personne n’a jugé bon de soupçonner un individu marginal vivant dans les bois, dont “tout le monde savait bien qu’il n’avait plus toute sa tête”, et caractérisé par “un regard étrangement fixe”, (incohérence initiale sur laquelle l’auteur revient avec maladresse à plusieurs reprises, comme s’il essayait de la justifier, alors que cela ne fait au contraire que la souligner). On se demande bien d’ailleurs pourquoi le responsable de la police est “appelé pendant le petit déjeuner”, et pour quelle raison, pour aller visiter cet individu, si ce n’est pour coller à un cliché, puisque c’est lui le chef et donc lui qui décide des enquêtes.

La suspension d’incrédulité, donc. Concernant les situations, mais les dialogues également. Au chapitre 1, en 1873, des enfants se trouvent confrontés dans la forêt à une créature abominable. Celle-ci s’adresse à eux par télépathie, ce qui ne les étonne pas le moins du monde. Ils lui demandent “Tu veux jouer avec nous ?” Difficile à accepter. Des phrases et des réactions mémorables de ce type, on en trouve sans cesse dans ce « Dieu caché ». Une adolescente se voit confrontée à une petite fille enterrée quelques jours plus tôt, errant dans la forêt des clous enfoncés dans les orbites. Et lui demande : “Audrey ma chérie, ça va ?” Très naturel. Quand l’adolescente qui a enfermé le dieu/démon dans une grange en parle à ses amis adolescents, ils ne s’en émeuvent guère. L’un d’eux a juste “une pointe de doute dans la voix” - tout de même. Le souci – ce ne sont là que quelques exemples – est que l’absence totale d’étonnement des personnages confrontés au surnaturel choque sans cesse, car, dans un roman qui mise sur l’aspect réaliste, il ne peut être partagé par le lecteur. En ceci, les leçons du maître de Bangor et des grands auteurs de fantastique n’apparaissent pas entièrement comprises : les éléments surnaturels arrivent à l’emporte-pièce, de manière brutale, sans signes avant-coureurs, sans ce caractère progressif, insidieux, qui permettrait de les accepter.

Nous ne voudrions pas faire une lecture à charge de ce « Dieu caché » qui est un premier roman. Plus que sur la vraisemblance, l’auteur mise sur des scènes horrifiques, parfois excessivement « gore », mais souvent efficaces. Il suscite plus d’une fois le malaise, un malaise dont on regrette qu’il ne soit pas inclus dans un plus bel écrin. Car l’auteur n’a pas dilué son intrigue et a pris soin de rassembler suffisamment d’éléments d’intérêt, qui, mieux articulés et mieux polis, auraient pu faire un roman estimable. En définitive, on reste réservé au sujet de ce « Dieu caché » qui semble avoir considérablement souffert d’un manque de travail éditorial, lequel aurait permis de soigner mille détails, d’éviter les incohérences les plus marquantes, de remanier les passages les moins crédibles. Peut-être les éditeurs n’ont-ils pas plus d’estime pour le lectorat d’horreur du vingt-et-unième siècle que pour celui des années quatre-vingts, au cours desquelles la déferlante de romans peu aboutis avait fait péricliter le genre. « Le Dieu caché » semble malgré tout avoir eu suffisamment de succès pour donner lieu à une suite, « Le Dieu enchaîné », à paraître chez Bragelonne en fin de premier semestre 2021. Espérons que l’auteur, qui au terme de ce premier roman semble avoir encore une nette marge de progression, aura su en tirer parti.


Titre : Le Dieu caché (A God in the Sheed, 2017)
Auteur : J-F. Dubeau
Traduction de l’anglais (Canada) : Benoît Domis
Couverture : Rekha Garton / Trevillion Images / Stephen Mulcahey / Fabrice Borio
Éditeur : Bragelonne
Collection : Terreur
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 414
Format (en cm) : 14,5 x 21,3
Dépôt légal : septembre 2020
ISBN : 9791028114497
Prix : 18,90 €


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Hilaire Alrune
5 février 2021


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