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New York 2140
Kim Stanley Robinson
Bragelonne, collection Bragelonne SF, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 667 pages, novembre 2020, 25 €


« Les animaux sont revenus : les poissons, les oiseaux et les huîtres, et pas mal d’entre eux ont deux têtes et sont mortels si on les mange, mais ils sont bel et bien de retour. Et les gens aussi, bien entendu, ils ne sont jamais partis, ils sont toujours partout, comme les cafards, et on ne peut pas s’en débarrasser. »

New York, année 2140. L’alerte que les scientifiques et les auteurs de science-fiction, dans notre présent, lancent maintenant depuis des décennies, cette mise en garde que nul n’a jamais souhaité écouter s’est hélas concrétisée. Le réchauffement climatique a fait son œuvre, le niveau des eaux a monté partout sur la planète, entraînant des modifications géopolitiques considérables. Mais ne changeant pas tant que cela le monde de la finance, qui, dans notre présent, montre en effet un pouvoir d’adaptation considérable, et qui, habitué à réagir en termes de trading dans un délai bien inférieur à la seconde, s’est perpétué non pas tel quel mais toujours plus puissant, ne se contentant pas de seulement surnager, mais surfent de plus belle sur tout changement quel qu’il soit. Pourquoi la finance ? Parce qu’elle est représentative de ce « toujours plus », de cette pléonexie insensée qui a conduit au pillage effréné des ressources et au réchauffement ayant entraîné la montée des eaux. Pourquoi New York ? Parce qu’elle a longtemps pu être considérée comme la capitale mondiale de la finance. New York partiellement sous les eaux : le cadre est posé.

Ce cadre, nous le découvrons et l’explorons en détail à travers toute une série de personnages. Franklin, mathématicien de formation, qui vit, ou voudrait vivre, une idylle avec Joanna, comme lui analyste financière. Mutt et Jeff, informaticiens à la dérive, un tantinet idéalistes et fous, qui essayent de pirater l’ensemble du monde informatique de la finance pour le contraindre à s’aligner sur des règles plus saines. Stefan et Roberto, gamins des rues, ou plus exactement rats des canaux, orphelins et déshérités du réchauffement climatique, vifs, éveillés, aventureux, de véritables Gavroche. Amélie, audacieuse et fantasque star de téléréalité écologique animant une émission de suivi des migrations animales à bord de son dirigeable piloté par une intelligence artificielle (on regrettera une scène hélas bien peu crédible et tout à fait inutile avec des ours). Gen Octaviasdottir, une femme flic de haute volée. Leur point commun ? La tour Met Life, également connue sous le nom de Metropolitan Life Insurance Building, qui fut au début du vingtième siècle le plus haut bâtiment de la ville, bâtisse qui comme tant d’autres se trouve à présent la base dans l’eau, et dont d’autres habitants apparaissent au premier plan : Vlade, le concierge, dont l’ex-épouse Idelba manœuvre une énorme barge capable de convoyer du sable et de renflouer les digues et les côtes, et Charlotte, la représentante des résidents.

Les prismes de ce « New York 2140 » seront donc ces individus. Mais aussi la ville de New York elle-même, un monde au sujet duquel Kim Stanley Robinson nous en apprend beaucoup, tout comme au sujet de la finance, jamais de manière ostensible, à la fois dans le texte et à travers une floraison d’exergues brefs d’auteurs et artistes à part entière (Ambrose Bierce, Rudyard Kipling, Le Corbusier, Henri David Thoreau, Walt Whitman, Virginia Woolf, H.G. Wells, et bien d’autres ), ou d’institutions (le Fonds Monétaire International…) qui à mi-mot en disent long non seulement au sujet de la ville, mais aussi sur la manière dont a évolué et sombré notre monde.

La cité submergée, la finance qui surfe encore et toujours : un des sujets récurrents n’est donc autre que l’asservissement économique dans une “sphère monétaire désormais coextensive à la biosphère elle-même” et l’abdication des états face au capital. Un capital qui s’intéresse de très près à cette zone intertidale de New York, où les personnages vivent leurs émerveillements et leurs aventures (tours en effondrement, ouragan dévastateur, chasse au trésor, enlèvements et autres), là où l’un d’entre eux rencontre même le fantôme d’Herman Melville.

« Le taux de rendement de toutes les côtes venait d’être définitivement balayé : le capital, qui était bien plus liquide que l’eau, avait glissé le long de la pente de moindre résistance, ou l’avait remontée, et s’était déplacé, latéralement. »

Si la lecture de ce « New York 2140 » est aussi agréable, ce n’est pas seulement en raison de ses descriptions soignées, de cette fascination pour la ville présente ou passée que l’auteur nous fait partager, de la clarté de ses explications scientifiques ou économiques, mais aussi parce que la totalité des personnages que Kim Stanley Robinson nous invite à suivre sont des individus volontaristes, positifs, curieux, bienveillants pour leur prochain, toujours prêts à rendre service, attentifs à ce qui les entoure, habiles à saisir les problèmes, et sans cesse à la recherche de solutions. Tout ce qui, à l’inverse, apparaît en lien avec la noirceur de l’homme (les pouvoirs excessifs et tentaculaires du monde de la finance, des multinationales et de leurs écrans, les compagnies de sécurité privées, les assassinats, les enlèvements, et même l’aspect ambigu et décevant du lointain mentor de Franklin) demeure à l’arrière-plan, en toile de fond omniprésente et indispensable, comme les reliques et la permanence de tout ce qui a mené au désastre. Les crapules sont bel et bien là, mais en retrait et dans l’ombre. « New York 2140 » apparaît donc habité par des personnages lumineux, trop intelligents pour ne pas eux-mêmes, parfois, se laisser aller à une petite pointe de cynisme, mais surtout animés par une sorte d’optimisme contenu, raisonné, lucide, qui éclaire d’un bout à l’autre le récit, et se manifeste jusque dans une fin qui accumule les avancées favorables.

« Et s’il vous plaît, ne concluez pas, à cause de cette liste rapide d’accomplissements politiques éphémères, que ce récit est destiné à finir comme un conte de fées, les problèmes de l’humanité emballés dans un coffret cadeau accompagnés d’une carte et de fleurs. »

Pour autant, comme le démontre la citation ci-dessus, l’auteur se défend de toute forme d’ingénuité. De fait, ce « New York 2140 » n’a rien de naïf. Sa « happy end », purement locale et pas entièrement dépourvue d’ombres, laisse clairement entendre que rien n’est jamais gagné. Ce roman reste donc très loin des lendemains qui chantent des utopies purement positives, et, en analysant avec acribie les mécanismes intimes du désastre, apparaît infiniment moins simpliste que la plupart des récits attribuant la responsabilité des grands bouleversements à une cause unique.

Dense, intelligent, lucide plus que militant, animé par un optimisme mesuré, servi par des descriptions inspirées et porté par l’énergie de ses personnages, ce « New York 2140 » apparaît bien plus convainquant que ne l’était « Aurora  ». Grand roman du New York passé et futur, ode à une ville qui n’a jamais cessé de fasciner, mettant en avant l’espoir, l’adaptation et la résilience, « New York 2140 » est donc un roman lumineux qui permettra espérons-le, d’en éveiller plus d’un aux problèmes dont souffre notre monde et aux solutions qu’il est possible d’envisager.

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Titre : New York 2140 (New York 2140,) 2017)
Auteur : Kim Stanley Robinson
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Sylvie Denis
Couverture : Sophie Martinière
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 667
Format (en cm) :24 x 15
Dépôt légal : novembre 2020
ISBN : 97891028114374
Prix : 25 €



Kim Stanley Robinson sur la Yozone :

- « Aurora »
- « Les quarante signes de la pluie »
- « La Trilogie martiennne »


Hilaire Alrune
7 février 2021


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