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Andrea Cort, tome 1 : Émissaires des morts
Adam-Troy Castro
Albin Michel Imaginaire, roman et nouvelles traduits de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 714 pages, janvier 2021, 26,90€

Alors que naïvement le lecteur pensait avoir affaire à un roman bien plus épais que ce qu’il croyait de prime abord, il découvre que cet ouvrage comporte quatre nouvelles couvrant 300 pages, avant le roman éponyme de 400 pages. Plus de 700 pages au total présentant les premières enquêtes d’Andrea Cort de manière chronologique et non par ordre d’écriture.
Dans l’avant-propos, Gilles Dumay explique le choix tout à fait pertinent de regrouper tous les écrits autour du personnage (nouvelles, novellas et romans) dans trois livres pour le suivre et nous montrer son évolution.
Voilà qui s’appelle respecter les lecteurs !



Les trois premières nouvelles sont les plus récentes du sommaire, alors que la quatrième (une novella de 100 pages) est la première mettant en scène Andrea Cort. Quant au roman « Émissaires des morts », il a remporté le Prix Philip K. Dick récompensant un roman de SF publié directement en poche.

Andrea Cort est une femme qui ne cherche pas la compagnie, elle la fuit même pour se protéger, mais aussi préserver les autres. Un lourd passé la mine toujours, elle n’a jamais pu s’en détacher et la position qu’elle occupe, enquêtrice pour le bureau du procureur, lui rappelle tous les jours qu’elle appartient avant tout au Corps diplomatique. Tout remonte à ses 8 ans sur Bocai quand ses habitants, les humains comme les indigènes, ont été pris d’une folie meurtrière. Ils se sont entretués et Andrea a été retrouvée couverte de sang, après avoir tué son père adoptif. Depuis la vie ne l’a pas épargnée, la prison a forgé son caractère, l’a endurcie et la pleine confiance ne lui a jamais été accordée, on a choisi de la nommer au bureau du procureur pour mieux la garder à l’œil. Elle effraie, fascine et ne laisse personne indifférent, car sa réputation la précède.
Ce personnage complexe est au centre de cette trilogie et, au fil des histoires, son portrait se précise, elle évolue, s’humanisant même, mais est-ce son fait ou celui d’interventions extérieures ? Maître Andrea Cort ne fait rien pour se concilier les bonnes grâces, mais les lecteurs s’y attachent vite, sachant le combat intérieur qu’elle mène tous les jours.

“Avec du sang sur les mains” cerne déjà bien Andrea, car elle agit en femme de conscience, sans obéir aveuglément aux ordres dans l’intérêt supérieur de l’Homsap. Elle quitte une réception qui l’ennuie, s’attire les foudres de l’ambassadrice locale et s’immisce dans les affaires des Zinns, peuple qui s’éteint malgré une technologie très en avance. Andrea ne comprend pas pourquoi ils veulent détenir un criminel humain.
Le lecteur apprend tout de suite que les Homos Sapiens, d’où le terme Homsap, côtoient bien d’autres races extraterrestres, que les relations ne sont pas toujours simples et qu’il faut ménager toutes les susceptibilités. Le passé d’Andrea donne des arguments à ses détracteurs pour la discréditer, mais elle ne faillit pas. Le tableau est brossé pour la suite.

“Une défense infaillible” la ramène à l’époque des classes dans le Corps diplomatique, quand elle faisait tout pour rejeter toute amitié. Tasha Coomb et elle ne pouvaient pas se voir, mais quand sa vie est en jeu, Tasha sait qu’elle peut compter sur Andrea et en appelle à elle. Cette nouvelle se déroule dans la Nouvelle-Londres, le centre de l’empire humain et c’est la plus légère du lot.

« La plupart des traités prévoyaient qu’un humain accusé d’un crime sur un monde sous contrôle extraterrestre restait sous la protection de sa propre espèce, jusqu’à épuisement de tous les recours juridiques. »

Varrick a fauté et risque la mort infligée par écrasement durant des jours entiers. Il espère qu’Andrea lui évitera cette fin particulièrement atroce. Il existe une alternative, mais est-elle préférable ? De plus, cette première sur un humain ne risque-t-elle pas de se répandre sur d’autres planètes, créant bien des problèmes dans l’avenir ? “Les lâches n’ont pas de secret” la met à nouveau face à un semblable, un meurtrier, car c’est bien ainsi qu’elle se définit. Elle aussi a tué, et plus d’une fois, ce qui lui colle à la peau. Même si elle rejette les autres, certains voient en elle des qualités et surtout la personne qui se cache sous cette armure d’impassibilité. Les choses tournent rapidement mal pour Andrea...

La novella “Démons invisibles” la met justement face à ses démons intérieurs. Elle essaie toujours de comprendre ce qui s’est passé sur Bocai, le pourquoi de ce génocide qui la hante toujours et qui lui a gâché l’existence. Ont-ils tous été les jouets de puissances supérieures que leurs sens ne permettaient pas d’appréhender ? Comme dans le cas des Catarkhiens avec lesquels aucune race n’a pu interagir. Un homme en a massacré plus d’un de façon horrible, sans qu’ils aient semblé en souffrir. Les extraterrestres demandent justice, mais selon les traités, c’est aux Catarkhiens de juger le coupable. Clairement impossible... Andrea va tenter de les faire réagir afin de répondre à ses nombreux détracteurs extraterrestres. En les étudiant, bien des similitudes lui apparaissent avec son propre cas.

Dans le roman « Émissaires des morts », des réponses lui seront apportées. Ses vacances sont annulées, car elle est mandatée pour se rendre dans l’habitat Un Un Un, un monde cylindre créé par des IAs-source. Andrea Cort n’est pas à l’aise sur une planète, la nature l’effraie, aussi préfère-t-elle les lieux aseptisés, bien délimités comme les stations orbitales. L’écosystème d’Un Un Un est des plus déroutants. Les rares humains à y vivre appartiennent à une mission scientifique qui vient de perdre deux membres, visiblement assassinés. Elle a été prévenue en haut lieu : trouver le ou les coupables, mais en aucun cas, ce ne doit être une IA. Qui servira de bouc émissaire,si ses soupçons la conduisent vers les IA ? Andrea Cort, tout comme les lecteurs, auront du mal à se faire à cet étrange habitat. L’enquête la pousse à interroger tout le monde, à démêler les non-dits, à se déplacer dans des conditions dangereuses, à survivre, ce qui tient de la gageure face aux attaques qu’elle essuie à deux reprises.
Perdre ses repères concourt à l’intérêt de ce roman, Un Un Un s’avère ébouriffant, le cerveau peine à y appréhender les conditions de vie, l’interaction avec les IA tient du jeu de dupes. Andrea doit flirter avec les limites, se mettre en danger en faisant fi des personnes l’accompagnant pour obtenir une réaction. Elle cherche le coupable, mais aussi des réponses à la grande question qui la taraude sans cesse.
Le récit est passionnant, bien construit en mêlant avec habileté SF et policier. Adam-Troy Castro met ici tout son art pour séduire le lectorat qui ne peut qu’être emballé par ce roman intelligent et exigeant à la fois. Il est aussi d’une grande richesse, balayant le champs de la politique avec des IA qui cachent leur jeu, laissant Andrea trouver un coupable qu’elles connaissent déjà. Les IA ont aussi donné naissance à une race adaptée à cet habitat, avec laquelle l’interaction s’avère compliquée. Il s’agit ici vraiment de SF de haut vol !

Au fil des récits, Andrea Cort évolue. Offrir dans l’ordre chronologique tous les récits la mettant en scène permet justement de la découvrir et de voir comment les événements la changent, comment elle s’humanise au contact d’autres humains, dont les étranges Porrinyard, deux êtres n’en formant qu’un. Chaque brique de cet édifice demande à être assimilée avant de passer à la suivante pour en retirer un plaisir accru.

Ce premier tome de la trilogie « Andrea Cort », dont le second « La Troisième griffe de Dieu » est annoncé pour juin 2021 (croisons les doigts !), pose ce personnage complexe voyant dans des assassins des semblables de par son passé. Ce n’était alors qu’une enfant, mais cela n’a jamais rien excusé et elle est devenue la propriété du Corps diplomatique sans porte de sortie. Contrairement à ceux qui ont signé un contrat pour se tirer d’une situation difficile, elle n’a pas de clause de fin de contrat, il court de son vivant, faisant d’elle une marchandise dont les qualités sont reconnues.
Elle appartient à cette classe de personnages inoubliables, fruits d’un long chemin pavé d’embûches.
Adam-Troy Castro n’est guère connu par chez nous, mais « Émissaires des morts » l’inscrit directement dans le registre des auteurs à ne pas manquer, tant il séduit avec ce superbe recueil de SF à déguster sans modération.


Titre : Émissaires des morts
Sommaire : Avec du sang sur les mains (With Unclean Hands, 2011), Une défense infaillible (Tasha’s Fail-Safe, 2015), Les lâches n’ont pas de secret (The Coward’s Option, 2016), Démons invisibles (Unseen Demons, 2002) et Émissaires des morts (Emissaries from the dead, 2008)
Série : Andrea Cort, tome 1
Auteur : Adam-Troy Castro
Illustration de couverture : Manchu
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Benoît Domis
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Sites Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 714
Format (en cm) : 14,1 x 20,5
Dépôt légal : janvier 2021
ISBN : 9782226443700
Prix : 26,90 €


Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
29 décembre 2020


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