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Légende (La)
Philippe Vasset
J’ai Lu, n° 12232, inclassable, 219 pages, septembre 2020, 7,20 €


Mémoire, monologue, ressassement du passé et des drames personnels, histoire d’amour, relation d’une dérive, d’une déchéance, et pour finir d’une exclusion, « La Légende » est tout cela à la fois. Mais « La Légende » a un autre sujet, ou plus exactement une multitude de sujets : la vie des saints, la vie de saints sans nombre, la vie de saints anciens ou modernes, et même, en chapitres qui peuvent être lus indépendamment du roman, la vie étrange d’individus aux comportements décalés, obsessionnels, comme isolés et posés sur les marges du monde, qui pourraient être des artistes, des criminels, des saints ou des fous.

Hagiographies de saints incontestables ou de personnages en attente de canonisation, « La Légende » pourrait être considérée également comme une auto-hagiographie en devenir. Car si son narrateur, prêtre défroqué et exclu de la nonciature a plus d’un péché à son actif – péchés que l’on ne découvrira que dans la dernière partie du roman – il n’oublie jamais de faire entendre au lecteur que parmi tous ces saints dont il est spécialiste, il s’en trouve plus d’un qui n’aurait jamais dû être canonisé, tout comme, nous l’avons lu sous la plume de Bruno Fuligni l’on trouve au panthéon bien des crapules qui n’auraient jamais dû y entrer. Et que son comportement clérical déviant se trouve calqué sur celui d’un autre clérical fameux qui, au dix-neuvième siècle, comme tant d’autres sans doute, oscilla entre sainteté et abjection.

Ce prêtre fameux qui fascine le narrateur, qui fascine Laure, une jeune femme qui s’abreuve à ses longs monologues, ses relations érudites, détaillée, et parfois infidèles, de la vie d’hommes et de femmes hors du commun, entre réalité et légendes, entre fantasmes et fiction pure, c’est le prêtre renégat et accusé de satanisme Joseph-Antoine Boullan, qui fascina tant l’auteur Joris-Karl Huysmans qui ce dernier le fit figurer dans un de ses plus fameux romans, « Là-bas » (1891), sous les traits du Docteur Johannès. Un Joseph-Antoine Boullan à tel point fascinant que Huysmans se lia avec lui, hérita de ses papiers, notamment sa terrible Confession que le narrateur de « La Légende », en compagnie de Laure, consulte et recopie dans les archives du Vatican. Un personnage qui fait indiscutablement planer son ombre d’un bout à l’autre du récit. Mais n’oublions pas l’écrivain Huysmans lui-même, dont on a l’impression de voir ici et là le style, ou tout du moins l’influence, par exemple à l’occasion de pages magnifiques, lorsque le narrateur et Laure se prennent de passion pour les corps-reliquaires.

Mais Laure, cette jeune femme fascinée par la vie des saints, et qui à son tour fascine le narrateur, qui est-elle vraiment ? On ne le saura jamais. Trop fasciné pour se poser la moindre question, notre héros, pas un seul instant, n’imaginera qu’elle puisse être l’objet et le sujet de sa chute, le démon tentateur, pour tout dire le diable. Un diable, ironie féroce, nourri au récit des béatifications. Qu’elle transformera un prêtre expert en canonisation auprès du Vatican en cours en mercenaire d’associations religieuses montant à la chaîne des dossiers en canonisations trafiqués, allant jusqu’à prospecter de lointains et douteux marchés africains.

C’est dire à quel point cette « Légende  » est riche – le lecteur en apprendra énormément – , érudite, souvent poignante, pleine d’ironie parfois féroce mais aussi chaotique. Le fil directeur qui au fil des chapitres apparaît difficile à saisir, c’est celui de la dérive d’un narrateur perdu dans le labyrinthe des biographies et des béatifications, mais aussi dans celui des villes et des architectures, avec une fascination particulière pour les zones urbaines à la Ballard, les lieux en déshérence et en marge qui font osciller l’âme. Dans cette « Légende  », on voit pointer à plus d’une reprise cette fascination pour le topos, pour les zones en déréliction qui seront pour l’auteur l’occasion de cette magnifique œuvre de psychogéographie qu’est « Une vie en l’air ».

Roman inclassable, roman fascinant, inabouti peut-être en raison de ce fil directeur insaisissable, en tout cas riche et passionnant, « La Légende » devrait interpeller plus d’un lecteur. Galerie de personnages hors du commun, anciens ou modernes, incroyables pour nombre d’entre eux, et oscillant sur la frontière entre le réel et le songe, cette « Légende  » ouvre grandes aux curieux les portes d’un monde à part ; elle les poussera sans doute à aller se renseigner plus avant, et à découvrir d’autres richesses et d’autres légendes encore.

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Titre : La Légende
Auteur : Philippe Vasset
Couverture : Studio J’ai Lu d’après Rogier van der Weyden
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Fayard, 2016)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 12232
Pages : 219
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : septembre 2020
ISBN : 9782290140277
Prix : 7,20 €



Hilaire Alrune
15 novembre 2020


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