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Vox
Christina Dalcher
Pocket, roman (USA), anticipation sociale / thriller, 435 pages, février 2020, 7,95€

Un parti ultra-conservateur soutenu par l’Eglise a pris le pouvoir aux USA. Depuis, les femmes n’ont plus le droit d’avoir un emploi, sont cantonnées au foyer et elles sont équipées d’un bracelet qui ne leur autorise que cent mots par jour. Au-delà, une décharge électrique, de plus en plus forte, les rappelle à l’ordre.
La narratrice, Jean McClellan, est, ou était, spécialiste du cerveau et des fonctions du langage. A la maison, elle s’éloigne de son mari, qu’elle juge mou, s’inquiète pour son aîné lycéen qui semble séduit par l’idéologie pro-patriarcale, et surtout pour sa petite dernière, en plein apprentissage du langage.
Quand le gouvernement vient la chercher pour reprendre son travail et soigner le frère du président victime d’un AVC, elle s’imagine en position de force... Et découvre peu à peu son aveuglement.



Tous les lecteurs (et critiques/chroniqueurs littéraires) ont pointé la parenté évidente du roman de Christina Dalcher avec « La Servante Ecarlate » de Margaret Atwood, dont le succès a été amplifié par la série TV. On y retrouve en effet le même élément dystopique central : la réduction drastique des droits des femmes, comme un retour en arrière de plusieurs décennies. Mais si chez Atwood l’origine de ce changement est aussi biologique, avec une chute de la fécondité qui dicte un « nouvel ordre social », le déclencheur dans « Vox » est bien plus réaliste : une nouvelle élection, une victoire des conservateurs soutenus des extrémistes religieux. Et l’ère Trump (pas tout à fait finie), qui y ressemble beaucoup, nous a montré les dommages réalisables en peu de temps par des fous au pouvoir... C’est sans doute ce qui a motivé la publication de ce roman en 2018.

Du jour au lendemain, les femmes sont remerciées, résolvant de façon magique le problème du chômage en effaçant la moitié de la population active. Jean est remplacée par un collègue masculin qu’elle sait incompétent, Morgan LeBron, et dont elle nous annonce, dans une première phrase choc, qu’en l’espace d’une semaine, elle l’aura fait tomber, en même temps que le gouvernement et le mouvement PUR.
« Vox » a des accents de thriller, dès son entame donc, qui annoncent la couleur. Au fil des 79 chapitres, nous aurons quelques petits flash-back sur la nouvelle vie des McClellan depuis l’entrée en vigueur des lois PUR, mais l’action se déroule sur une semaine à compter du moment où on vient lui demander de reprendre ses fonctions. On verra les effets pervers de ce nouvel ordre social au travers de leurs relations avec leurs voisins, la façon dont leur aîné se coule dans le discours digne des Jeunesses hitlériennes qui fait désormais parti du cursus obligatoire au lycée. Mais le plus douloureux, c’est de suivre les craintes de Jean à propos de sa petite Sonia, la torture de cette mère qui sait brider volontairement le langage de sa fille pour lui épargner la douleur du bracelet électrique, qui pour empêcher un mal immédiat sait qu’elle détruit irrémédiablement les capacités d’adulte de son enfant. Quelques scènes choc (un réveil en pleurs, un coup de colère) montrent sans nuance la double violence faite aux mères.
On n’est donc pas surpris lorsque Jean négocie, pour son travail, le retrait du bracelet de sa fille. Mais cela n’en rend que plus cruelles les conséquences, plus violente la force du travail de sape d’un tel programme : Sonia refuse de parler, car elle était toute fière de gagner le concours de silence à l’école. Christina Dalcher nous jette à la figure les ravages des choix politiques dans les programmes scolaires, et on pensera à l’enseignement du créationnisme et autres horreurs déjà à l’oeuvre aux USA.

Jean revient également sur ses jeunes années, ses études, et son amitiés avec Jackie Juarez, une militante féministe. Elle, trop scolaire, trop timorée, n’a jamais su retirer ses oeillères, tandis que Jackie lui mettait devant les yeux les preuves que la société était sur la mauvaise pente et qu’il fallait se battre, par la violence si nécessaire, pour défendre leurs droits, défendre l’égalité des sexes. Là encore, l’autrice prend des exemples criants de vérité et d’actualité, des débats où la militante est inaudible, traitée d’hystérique par des bourgeoises WASP entretenues et pleinement satisfaites de leur sort tout droit sorti de l’Amérique d’avant-guerre. Quand ce n’est pas par des hommes de pouvoir de plus de 50 ans, qui sont bien entendu les mieux placés pour parler au nom des femmes... Vous entendez la résonance avec le monde réel ? Bien entendu, Jackie est maitresse de son corps, lesbienne, et donc envoyée en camp de rééducation ouvert par les ayatollahs chrétiens derrière le président.
Est-on encore dans la dystopie ? Non, Vox relève (hélas) de l’anticipation, et plus que probable. Ce qui la rend d’autant plus terrifiante.

Mais les choses ne vont pas durer, puisqu’en une semaine, Jean et ses collègues vont tout mettre à bas. Pour Jean, c’est un danger supplémentaire, puisque son collègue Lorenzo, brillant et séduisant italien (comme ses parents à elle) est aussi son amant, qu’elle est enceinte de peu et certainement de lui, vu qu’elle bat froid son mari, et qu’il lui avoue à demi-mot manigancer pour s’enfuir, grâce à sa nationalité étrangère, et l’emmener avec elle. C’est un dilemme de plus pour la mère, car fuir reviendrait à abandonner Sonia à ce monde immonde.

Je m’étends peu sur la conduite des recherches, aux accents fortement teintés de thriller, puisque le trio Jean-Lin-Lorenzo, qui a déjà trouvé le remède, s’interroge surtout sur le secret du projet, des équipes qui travaillent en parallèle, et découvre un plan bien plus affreux du gouvernement pour davantage opprimer les femmes et leurs opposants. La médecine au service du pouvoir. Là encore, en ces temps de pandémie, sans sombrer dans le complotisme l’écho est net, et rajoute un cran à l’horreur que l’Homme est capable d’infliger à ses semblables.

J’ai beaucoup apprécié qu’en parallèle de sa tentative de renverser le gouvernement, Jean se dessille et réalise qu’une Rébellion s’est organisée, avec des hommes qui refusent les nouvelles lois. Si l’autrice, avec Jackie, nous a montré que c’est l’indolence du plus grand nombre qui a conduit à la victoire de la minorité extrémiste, elle rappelle que les défenseurs ne baissent pas les bras, et que l’adversité réveille certaines consciences, provoque l’étincelle nécessaire. Et que la lutte secrète demande des gens discrets, parfois si discrets que leurs proches ne s’en rendent pas compte...

On pourrait débattre du choix de Pocket de reprendre « Vox », après les éditions Nil, dans une collection « roman étranger » plutôt que sous l’étiquette SF. Il faut y voir le vecteur louable de toucher une plus large part de lecteurs, comme pour « la Servante Ecarlate » chez Robert Laffont et la collection Pavillons. Si cela peut contribuer à éclairer des consciences, et faire de cette anticipation une fiction et jamais une réalité, je ne peux qu’approuver.

Plus réaliste que son modèle, anticipation terriblement possible, composé avec les codes du page-turner et du thriller, « Vox » se lit en tremblant, de peur, de rage, d’émotion.


Titre : Vox (Vox, 2018)
Autrice : Christina Dalcher
Traduction de l’anglais (USA) : Michael Belano
Couverture : Manon Bucciarelli
Éditeur : Pocket (édition originale : Nil, 2019)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 17642
Pages : 435
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : février 2020
ISBN : 9782266297738
Prix : 7,95 €



Nicolas Soffray
1er décembre 2020


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