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Voyage du canapé-lit (Le)
Pierre jourde
Gallimard, Folio, n°6803, inclassable, 315 pages, mai 2020, 8€


Ma grand-mère est morte en pleine forme” : dès la première phrase, le ton est donné. « Le Voyage du canapé-lit » parlera du réel, mais en parlera le plus souvent avec humour. Tout part donc d’un meuble particulièrement laid que la mère de l’auteur souhaite voir emmené dans la ferme familiale de Lussaud, en Auvergne. Une corvée que l’écrivain, en compagnie de son frère et de l’épouse de ce dernier, utilise, au gré de remémorations induites par la traversée de mille et une bourgades, comme un prétexte à plonger dans leurs souvenirs communs, ou dans sa propre mémoire.

« L’infini du voyage en camionnette ou en bus, qui semble ne jamais devoir cesser, je l’avais déjà éprouvée à plusieurs reprises. »

Ce double voyage – à travers la France déjà oubliée, celle des petites routes et des villes de Province, et à travers le passé de l’auteur – est l’occasion de mille anecdotes cocasses, de celles que l’on trouve dans toutes les familles, mais aussi d’autres beaucoup moins attendues. Dans cette camionnette brinquebalante, dans les dialogues entre les trois comparses surgissent, mille thèmes, mille moments, mille historiettes, comme si cette France profonde que Pierre Jourde connaît et décrit si bien n’était rien d’autre qu’une unique et gigantesque madeleine proustienne.

« Comment retrouver un frère égaré dans la jungle guatémaltèque, surtout si le passeport de ce frère traîne quelque part avec assez de shit pour nous envoyer tous les deux aux oubliettes pour un siècle ? »

Délices et déboires de la vie littéraire, secrets de famille, souvenirs d’enfance, méfaits de collégiens, amitiés, sorts contraires et objets contrariants ( Pierre Jourde partageant de toute évidence la conviction de l’auteur britannique Jérôme K. Jérôme, qui considérait que certains objets étaient animés par une infatigable volonté de nuire à leurs propriétaires), expériences et naïvetés, voyages proches ou lointains, aventures picaresques au Tibet ou en Amérique du sud, ce « Voyage du canapé-lit », à travers digressions et divagations, apparaît comme une vision kaléidoscopique, un joyeux chaos à la découverte duquel on s’amuse beaucoup.

« Lorsque vient mon tour de parler, je ne peux pas m’empêcher de faire remarquer que, lorsque nous aurons fini d’évoquer l’insoumission de l’écrivain, nous toucherons un chèque de deux cents euros de la municipalité, ce qui nous rapproche plutôt de l’écrivain officiel que du rebelle inclassable. Mais, rétorque un des rebelles, ce qui compte c’est le contenu de ce qu’on écrit. Ben voyons. »

Si Pierre Jourde a parfois l’ironie facile (sa description des académiciens comme autant de moribonds) l’auteur n’oublie jamais de se désigner lui-même comme cible. Mais tout n’est pas au même niveau et si le recul plein d’amusement sur ses invitations en tant qu’auteur est appréciable, certains développements nous semblent de trop, comme ces anecdotes mettant en scènes certain(e)s plumitifs nullissimes mais (éphémèrement) renommé(e)s. En s’abaissant à croiser le fer avec des individus aussi insignifiants, il écrit des passages totalement insignifiants. Mais cela fait partie du personnage qui toute sa vie se sera régalé de croiser le fer avec ces médiocrités médiatisées qui pensent faire de la littérature.

Passionnants au contraire sont des chapitres comme “ Le livre maléfique” où l’auteur se voit confronté à plusieurs de ses doubles, un de ses homonymes qui lui apporte le courrier qu’il reçoit à sa place, ou un improbable, mais authentique autre Pierre Jourde encore, crédité d’un ouvrage que Pierre Jourde (le vrai) avait pensé à écrire (« Pays retrouvé », initialement envisagé comme titre de ce qui est devenu « La première pierre »), ouvrage que Jourde (le vrai, toujours) retrouve régulièrement sur les tables des salons présentant ses propres œuvres, car nul n’envisage un seul instant qu’il ne puisse en être l’auteur, et qui, pour la même raison, figure également dans certaines des notices biographiques qui lui sont consacrées.

Pour finir, l’ascension périlleuse du canapé-lit à l’étage de la maison de campagne sera l’occasion d’un chapitre aussi hilarant que la tentative d’ouverture d’une boîte de conserve narrée par Jérôme K. Jérôme dans « Trois hommes dans un bateau ». On aura donc fait avec Pierre Jourde un beau voyage, à travers la France et à travers ses souvenirs, et l’on se sera bien amusé en sa compagnie.

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Titre : Le Voyage du canapé-lit
Auteur : Pierre Jourde
Couverture : Marco Bonfati / iStock
Éditeur : Gallimard (édition originale : Gallimard, 2019)
Collection : Folio
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 6803
Pages : 315
Format (en cm) :11x18
Dépôt légal : mai 2020
ISBN : 9782072875311
Prix : 8 €



Pierre Jourde sur la Yozone :

- « Paradis noirs »


Hilaire Alrune
7 octobre 2020


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