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Opération Sabines
Nicolas Texier
Gallimard, Folio SF, n° 662, fantastique urbain, 534 pages, février 2020, 8,50€


Nous sommes en 1937, dans un monde uchronique dominé d’une part, sur le continent, par le Nouvel Empire institué sur les territoires de la République romaine de Weimar, d’autre part, côté insulaire, par les Royaumes Unis (Irlande, Royaume du pays de Galles, Royaume d’Écosse, Royaume de Grande-Bretagne).

Au Royaume-Uni, le jeune Carroll Mac Mael Muad, étudiant en magie passablement dissipé – il étudie surtout l’alcool et les femmes – est recruté contre son gré par le Special Operation Service : celui-ci pense en effet que Mac Mael Muad, ancien ami de Valère Di Maggio, un savant réfugié à Venise sera le mieux à même de le persuader de revenir au Royaume de Grande Bretagne. Le savant est en effet en train d’opérer une percée considérable dans ses recherches, mettant des liens entre les sciences de l’atome et la magie – des liens qui pourraient décupler le pouvoir de la magie, conférant un avantage considérable aux Royaumes Unis. Une exfiltration d’autant plus nécessaire que le Special Operation Service vient d’apprendre que les sbires du Nouvel Empire s’apprêtent à enlever Di Maggio.

C’est donc parti pour une aventure trépidante dans laquelle Carroll Mac Mael Muad est fort heureusement secondé par son serviteur Julius Khool, un vieux soldat Maure blanchi sous le harnais, qui apparaît rapidement, par son expérience, sa sagacité et son sens de la narration, comme le personnage principal, prenant rapidement le dessus sur un jeune homme falot et sans personnalité. En donnant la voix à ce personnage truculent, lui aussi parfois dissipé mais bien plus intelligent et plus instruit que son maître, et pourvu d’une belle élocution, Nicolas Texier déroule son récit avec une jolie plume, une tonalité à l’ancienne qui colle à la perfection à l’univers mis en place.

On regrette donc que ce qui apparaît comme l’atout majeur du roman en devienne le défaut. Car, hélas, un ton à l’ancienne ne devrait pas exclure la fluidité, alors que Julius Khool ne recule devant aucune surcharge, et encore moins devant des avalanches de subordonnées qui font redites et répétitions. Ainsi le procédé qui dans un premier temps contribue non seulement à donner une véritable densité à ce personnage, mais aussi à le rendre sympathique, finit-il à la longue par desservir le roman. On a l’impression d’un orateur bien trop bavard qui, ravi d’être parvenu à capter l’attention du public, fait durer, encore et encore, et finit par lasser jusqu’au dernier de ses auditeurs. Ces dilutions et digressions incessantes donnent au final le sentiment que les cinq cents pages du récit auraient pu être facilement amputées d’un bon tiers, si ce n’est plus. Et si cet « Opération sabines » donne l’impression d’avoir souffert d’un défaut, voire d’une absence, de travail éditorial, c’est aussi pour d’autres raisons. On note ici et là des insuffisances de relecture (exemple : « Pour ma part, j’ignorais complètement tout à propos de ces volatiles », page 191 ; « Le crépuscule nous atteint un peu plus tard, vers autre heures », pour « atteignit », page suivante). Certaines maladresses narratives criantes n’auraient jamais dû être conservées : ainsi, au chapitre huit, en plein cœur de l’action, au mépris de toute vraisemblance, alors que tous se précipitent au secours du savant que sont en train d’enlever les sicaires du Nouvel Empire, Julius Khool interrompt sa course pour baguenauder dans un salon, examine les livres dans une bibliothèque, en empoche un uniquement pour justifier, quelques pages plus loin, que ledit livre lui sauve la vie lorsqu’on lui décoche un carreau d’arbalète. Paresse éditoriale incompréhensible, enfin, cette absence de table des matières alors que l’ouvrage est composé d’un roman en trois parties et trente chapitres souvent joliment nommés (“ Où nous buvons en compagnie d’un spectre avant d’affronter d’effroyables créatures”, “ Où nous sommes à nouveau sauvés par le sacrifice d’une dame et devons faire parler un pendule puis les armes”), d’une nouvelle, d’une liste des principaux personnages, et enfin d’annexes consacrées au monde inventé par Nicolas Texier. Un auteur, donc, qui a su créer un univers riche, détaillé, enrichi de nombreuses références historiques et littéraires, mais aussi un auteur qui aurait mérité d’être mieux accompagné, mieux conseillé, mieux traité.

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Titre : Opération Sabines
Série : Monts et Merveilles, Tome I
Auteur : Nicolas Texier
Couverture : Lucille Piketty
Éditeur : Folio (édition originale : Les Moutons électriques, 2018)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman
Numéro : 662
Pages : 534
Format (en cm) : 11x18
Dépôt légal : février 2020
ISBN : 9782072870972
Prix : 8,50€



Hilaire Alrune
5 septembre 2020


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