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Ecarlate
Philippe Auribeau
ActuSF, Les 3 Souhaits, roman (France), thriller, 496 pages, mars 2020, 19,90€

Providence, en pleine Prohibition. Un massacre a été commis dans un théâtre qui montait une adaptation de « la Lettre Ecarlate » d’Hawthorne. L’agent du (futur) FBI dépêché sur les lieux s’appelle Thomas Jefferson (oui, comme le président, une remarque récurrente). Vétéran, issu d’une famille aisée, il applique ses propres méthodes, comme faire travailler à ses côtés une enquêtrice privée, Diane Crane, et faire conduire sa Cadillac par un chauffeur, Caleb Beauford, noir mais surtout ancien compagnon de combat. Un trio tout-terrain, une équipe apte à obtenir des informations par tous les moyens, dans tous les milieux d’une Amérique encore (et toujours) pleine de contradictions.
Tandis que l’enquête s’éparpille, faute à des témoins rétifs, des proches des victimes pas blancs-bleus et des policiers pas forcément aussi exemplaires que Jefferson, l’agent découvre que la principale cible du massacre, et miraculeusement en vie, a déjà été victime par le passé d’un fait similaire. L’enquête a donc des racines anciennes, qu’il va falloir mettre au jour, et se teinte de croyances mystiques, de cultes au Diable dans des campagnes reculées, là où l’agent n’envisageait qu’une « simple » affaire de mœurs et de jalousie impliquant la mafia locale et les syndicats communistes...



On a « découvert » le talent de Philippe Auribeau dans la suite qu’il donnait aux « Lames du Cardinal » de Pierre Pevel. Il va ici chasser avec la même compétence sur les terres de James Ellroy et ses compatriotes, en nous livrant un polar qui se teinte non seulement de rouge, mais de fantastique au fil des pages.
Il faut saluer une ouverture captivante, avec un crime affreux, des rebondissements d’un chapitre à l’autre tandis que l’on fait connaissance du trio et de leurs liens, et qu’eux s’emparent d’une affaire sordide, que les locaux veulent très vite classer, en faisant porter le chapeau à un récidiviste. L’affaire est tentaculaire, explorer les premières pistes a des répercussions sur les protagonistes (l’un fils du parrain, l’autre syndicaliste) qui sont lourdes de conséquences. Heureusement, Jefferson encaisse plutôt bien les coups - et il va en prendre. Malgré les efforts des uns et des autres, les portes se referment une à une, avant de trouver la bonne piste. On aura vu toute l’Amérique défiler, cette Amérique qui nous est un peu familière, tant la Prohibition a conduit à des fictions mémorables, des « Incorruptibles » de Brian de Palma à la série « Broadwalk Empire », pour n’en citer que deux. Auribeau nous sort le grand jeu, du speakeasy où nos héros descendent incognito au ghetto noir et sa sorcière que seul Caleb pourra approcher, au prix de ses certitudes métaphysiques.

Tout cela est captivant et rondement mené, dans la droite ligne des maîtres du polar noir contemporains cités plus haut, et puis une petite visite à un certain H.P. Lovecraft nous rappelle que nous sommes à Providence, et que ce n’est pas anodin. L’intrigue prend un tour mystique, avec des rednecks à capuches pointues et des notables locaux adeptes des orgies qui finissent mal, et qu’on enfouit sous le tapis. Rajoutez un hôpital psy à la couverture de centre de désintox, et la toile de l’araignée Auribeau est tissée à la perfection, prête pour l’emballement final, ce moment où les enquêteurs dérapent parce qu’ils en ont marre qu’on leur tire dessus, preuve qu’il approchent de la vérité. Ce moment où il devient impossible de lâcher un bouquin qu’on ne déposait déjà qu’à regret au début, avec la hâte d’y revenir. Jusqu’au finale dantesque, sanglant, et suffisamment intrigant pour qu’il nous trotte dans la tête un moment.

Dans « L’héritage de Richelieu », je reprochais déjà à l’auteur de faire « à l’imitation de ». Mais peut-on reprocher d’imiter, d’égaler, peut-être surpasser les maîtres du genre ? Philippe Auribeau produit encore une fois un roman au cordeau, un page-turner modèle du genre, avec une intrigue qui avance à l’alternance des personnages du trio, chacun abordant l’Amérique des années 30 à sa manière, Jefferson avec le poids de son nom et de sa famille, Diane Crane avec toute la liberté d’une femme émancipée, indépendante, qui joue de ses charmes comme de son apparente faiblesse, et Caleb Beaufort subit le racisme encore prégnant, mais fait le pont indispensable entre sa communauté et la Justice. Face à eux, pas forcément le Rêve américain, au contraire, chacun semble montrer ce qu’il a de plus sombre au fond de lui-même, derrière le vernis social. Flics véreux, hommes de pouvoir avides de jeune chair fraîche, héros à qui la situation échappe... même si quelques-uns s’en sortent pas trop mal, le tableau n’est guère reluisant, à l’inverse de notre plaisir de lecture, satisfait de cette peinture à la fois familière et précise.


Titre : Ecarlate
Auteur : Philippe Auribeau
Couverture :
Éditeur : ActuSF
Collection : Les 3 Souhaits
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 496
Format (en cm) : 20 x 13 x 3
Dépôt légal : février 2020
ISBN : 9782376862420
Prix : 19,90 €



Nicolas Soffray
13 octobre 2020


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