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Marche du Levant (La)
Léafar Izen
Albin Michel Imaginaire, roman (France), Science-Fiction, 648 pages, septembre 2020, 24,90€

La Terre met 300 ans à tourner sur elle-même. Les habitants ont dû s’adapter à ces Longs Jours, progressant régulièrement pour suivre ce lent écoulement du temps. Odessa, la capitale de la Marche Centrale évoluant dans la partie diurne, est déplacée de quelques centaines de pas chaque journée de l’ancien temps, ses bâtiments étant montés sur roues.
Juste passée maître dans sa Guilde, l’assassine Célérya est chargée d’une délicate mission : harceler les Guetteurs, le peuple vivant dans le désert à la frange de la partie ensoleillée et exploité par le pouvoir en place. Même si cette tâche la rebute, elle l’accomplit avec zèle dans l’attente de son rappel à Odessa. Lors de la dernière expédition, une petite fille dénommée Akeyra est enlevée, elle est l’espoir de tout un monde d’après les Versets annonçant l’ouverture de l’Arche du Destin.
Est-ce le début de la fin ?



Léafar Izen développe son roman autour du concept d’une Terre tournant très lentement sur elle-même : 300 ans au lieu de 24 heures ! Autant dire que cela change considérablement la donne et qu’il faut un moment avant de cerner toutes les implications de l’idée de départ. Pour schématiser grossièrement, rester sur place impliquerait de vivre une journée étirée sur 150 ans, de cuire à petit feu, avant une nuit de la même durée, s’achevant sous de grandes épaisseurs de glace, ce qui n’est guère envisageable. Résultat : les humains suivent cette nouvelle course du temps, se déplaçant sans cesse : ceux du Levant suivent l’aurore et ceux du Couchant le crépuscule, tous caressant l’espoir d’abandonner cette ronde infernale en passant par l’Arche du Destin ne s’ouvrant qu’exceptionnellement. Et d’après les calculs ce Long Jour serait le bon !
Les Versets annoncent comment cela adviendra, comment une enfant sera trouvée, grandira, deviendra archiprêtre puis reine, pour conduire son peuple vers une ère nouvelle. Il est intéressant de voir la façon dont les croyants permettent aux événements de coller aux écrits. Ainsi le Guetteur Ak Bhalak se fait fort d’infléchir le hasard pour qu’il colle à ce qu’il doit être et qu’Akeyra épouse le destin qui doit être le sien.
Tout aussi intéressant s’avère la manière dont la société a évolué pour s’adapter aux conditions : certains suivent le front de glace, d’autres le redoux pour planter des arbres qui seront récoltés une trentaine d’années plus tard quand la cité mobile devrait arriver sur les lieux... Le lecteur doit faire un réel effort d’adaptation pour embrasser le fait qu’il existe toujours des saisons, car la Terre orbite toujours autour du soleil, que le temps est rythmé par des jours qui n’en sont pas vraiment, car l’alternance jour-nuit n’a plus cours. L’auteur réussit parfaitement à déstabiliser le lecteur en le sortant de sa zone de confort.

Même s’il s’agit de SF, il est difficile de ne pas avoir le sentiment de lire de la fantasy avec ces Versets annonçant des temps nouveaux, cette quête vers l’Arche du Destin, cette enfant au destin exceptionnel, la société en général avec des armes telles que des épées, des arcs... Pour les besoins du récit, Léafar Izen prête à ces habitants du futur une longue vie, atteindre cent ans n’est pas un problème, ce qui n’est pas facile à avaler au vu de la situation. C’est ainsi que « La Marche du Levant » s’attache à deux personnages principales, deux femmes Akeyra et Célérya âgée d’une vingtaine d’années de plus. Au terme du récit, toutes deux dépasseront le siècle d’existence.
Forcément, seuls les événements significatifs sont mis en avant, notamment la prise de pouvoir à Odessa, puis le rapprochement avec la Marche des Tropiques, autre peuple du Levant évoluant plus au sud et se déplaçant essentiellement par voie maritime. Les plans se font sur des décennies et il n’est pas rare qu’une simple rencontre soit programmée des années à l’avance, ce qui est déstabilisant, car il y a une impression d’à-coups dans le déroulement. La dernière partie s’attache bien sûr au terme du voyage, à l’attente du jour où l’Arche pourra être traversée, mais il faut attendre que les glaces la protégeant fondent, barrer son chemin aux hordes du Couchant... ce qui prend des décennies. Le facteur temps demande vraiment à être apprivoisé, car il s’écoule toujours plus vite au fil du récit. Rien que la traversée de l’Atlantique prend trente années, mais juste quelques pages. Tous les repères basculent et Léafar Izen joue aussi sur ce plan avec les lecteurs.

Quelques rares batailles émaillent ce roman, mais c’est surtout le cheminement et la façon dont la prophétie s’accomplit qui comptent. « La Marche du Levant » manque un peu de rythme, car il ne se déroule pas à la course mais au rythme de la marche, ce qui permet de prendre le temps, de s’attarder sur les détails pour mieux mettre en avant cette situation exceptionnelle. Où l’auteur désire amener ses protagonistes ? La question ne trouve de réponse que dans les dernières pages, elle a le grand mérite d’être originale, même si elle soulève d’autres interrogations.

« La Marche du Levant » développe un futur étonnant et original avec ce ralentissement de la rotation terrestre. À travers les destins exceptionnels de deux femmes, Léafar Izen montre comment la vie s’est adaptée, comment l’espoir de sortir de cette marche forcée pousse certains à obéir à une vieille prophétie, comme si le hasard n’avait plus cours. Des temps forts alternent avec des moments plus contemplatifs, illustrant la longue fuite du temps, des plans aux longs cours demandent des décennies pour s’accomplir, le lecteur se laisse bercer par les événements, par l’inéluctabilité de l’histoire finalement déjà écrite. Cette rotation au ralenti ne manquera aussi pas d’interpeller sur la notion de temps.

« La Marche du Levant » n’est pas le genre de livre que l’on pose avant de passer à un autre. Il laisse son empreinte, car cette marche inexorable pour garder sa place au soleil marque les lecteurs.
Un fort beau livre !


Titre : La Marche du Levant
Auteur : Léafar Izen
Illustration de couverture : Hervé Leblan
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Sites Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 648
Format (en cm) : 14,1 x 20,5
Dépôt légal : septembre 2020
ISBN : 9782226449368
Prix : 24,90 €


Autres livres de la collection sur la Yozone :
- « Mage de bataille, tome 1 » de Peter A. Flannery
- « American Elsewhere » de Robert Jackson Bennett
- « Les étoiles sont légion » de Kameron Hurley
- « La cité de l’orque » de Sam J. Miller
- « Terminus » de Tom Sweterlitsch
- « Le chant mortel du soleil » de Franck Ferric
- « Une cosmologie de monstres » de Shaun Hamill
- « La fleur de Dieu », tome 1, tome 2 et tome 3 de Jean-Michel Ré
- « Rivages » et « La fin des étiages » de Gauthier Guillemin
- « Un océan de rouille » de Robert C. Cargill
- « Le magicien quantique » de Derek Künsken
- « Le livre de M » de Peng Shepherd

- Un entretien avec Gilles Dumay

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
21 août 2020


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